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Ecrivain de la comédie romande - Page 206

  • Les pères d'Adam

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    Dans cette vie, j’ai l’impression qu’on change de père comme de chemise. Quand l’un s’en va, un autre le remplace. Puis un autre encore. Puis un autre et un autre encore. Jusqu’à présent j’ai eu trois pères et je suis sûr que ce n’est pas fini. Le premier m’a donné la vie et le goût de partir le plus loin possible du marigot où je suis né. Le deuxième m’a couvert de cadeaux pour se donner bonne conscience. Il m’a appris le superflu et le futile — l’extase matérielle. On s’est éclaté comme des dingues et tout s’est terminé dans le sang et les larmes. Et mon troisième père, lui, il s’échine à m’apprendre l’oubli. Il veut que je découvre comme Yôshi le moi particulier qui se cache sous l’écorce du corps et des sensations fausses.

    « Tout le monde cherche son père, me répète Jack. On met parfois une vie entière à le trouver. »

    Et Yôshi de surenchérir :

    « Les enfants sont des débris dans l’affection des pères. »

    Et Jack d’ajouter, zen :

    « Un père reste un père ».

    Et Yôshi, l’air sentencieux :

    « Un père est toujours grand : on le voit à son ombre. »

    Et Jack citant Corneille, avec l’accent anglais :

    « Ma valeur est ma race et mon bras est mon père. »

    Et Yôshi, citant Diderot, en ricanant :

    « Dieu ? Un père comme celui-là, il vaut mieux ne pas en avoir. »

    Et Jack citant Abla Farhoud :

    « Un jour j’ai demandé à mon père : “Qui aimes-tu le plus de tous tes enfants ?” Il a répondu : “J’aime le petit jusqu’à ce qu’il grandisse, le malade jusqu’à ce qu’il guérisse et l’absent jusqu’à ce qu’il revienne.” Et moi ? Je ne suis pas petite, je ne suis pas malade et je suis à côté de toi. Mon père a répondu : “Le petit devient grand, le malade finit par guérir, mais toi, tu es toujours mon enfant, jusqu’à la mort, et même au-delà de la mort.” »

  • Staro, le dernier maître

    images-1.jpegIl y avait beaucoup de monde — et du beau monde ! — mercredi dernier, au Victoria Hall, pour la remise du Prix de la Fondation pour Genève à Jean Starobinski. L'académicien français Pierre Nora nous a rappelé, en grandes lignes, la carrière de celui que tous les étudiants genevois appellent familèrement (et affectueusement) Staro. Licence de Lettres, puis doctorat de médecine, puis doctorat de Lettres. Sans oublier le diplôme de piano… Difficile, pour un seul homme, de faire plus, et mieux ! Remi Pagani a eu raison de rappeler la méfiance des autorités genevoises de l'époque (1913) face au père Starobinski, émigré polonais venu trouver refuge en Suisse, que l'on mettra cinq ans sous surveillance policière et qui, ultime affront, devra attendre 30 ans pour se voir accorder la nationalité suisse.

    Mais le meilleur moment de la soirée, ce fut, bien entendu, le discours de Staro lui-même. Diction inimitable, élégance du style, propos mêlant à la fois saveur et savoir. J'ai repensé en l'écoutant (comme tous ceux qui furent ses étudiants) aux cours de littérature et d'histoire des idées qu'il a donnés à l'Université de Genève pendant près d'un demi-siècle. Il y a un style Staro : clair, érudit sans ostentation, intelligent. En un mot : musical. Dans son discours, Staro a rendu hommage à ses maîtres Marcel Reymond, Albert Béguin, Jean Rousset. En l'écoutant, je me suis aperçu qu'il était sans doute le dernier maître, et que j'avais eu bien de la chance à l'avoir rencontré et suivi.

    En effet, qui peut citer, aujourd'hui, un seul nom de professeur de Français à l'Université de Genève ? Personne. Après une génération exceptionnelle de professeurs qui étaient des maîtres (Butor, Rousset, Steiner, l'extraordinaire Roger Dragonetti), le désert a lentement gagné du terrain. Pour aboutir à une manière de no man's land. C'est ainsi que Genève, qui était un phare dans les études de Français, est devenue, en quelques années, une université de province. Qui bientôt, sans doute, devra fermer ses portes au profit de l'université de Lausanne, bien plus active dans son domaine.

    « Aujourd'hui, me glissait une amie à la fin de la soirée, il n'y a plus de maître. Il n'y a que des experts ! Plus personne ne circule avec autant d'aisance que Staro entre littérature et médecine, musique et histoire de la folie, linguistique et philosophie. On est plus volontiers spécialiste « Des paysans du lac Paladru entre l'an 1000 et 1010 » que généraliste éclairé. »

    C'est tout le drame. Staro, le dernier maître, nous l'a confirmé brillamment l'autre soir.

  • Le monde va mal, mais je vais bien !

    images.jpegAinsi donc le Salon international du Livre et de la Presse a fermé ses portes à Genève. Comme chaque année, les chiffres de fréquentation vont être excellents (autour de 100'000 entrées) et tout le monde, la mine réjouie, se donnera rendez-vous l'an prochain pour de nouvelles aventures culturelles…

    Les éditeurs en général, et les éditeurs romands en particulier, pratiquent la méthode Coué. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Pourtant, il suffit d'une visite au Salon pour se persuader du contraire. Les allées sont plus larges et les stands moins nombreux. Plusieurs éditeurs ont renoncé à venir à Genève (Flammarion, le Seuil, l'Âge d'Homme, Xénia, etc.). Certes, les badauds sont de plus en plus nombreux, comme les ONG et les stands de kébab. Mais qui achète encore des livres ? Et, parmi cette offre pléthorique, des livres de littérature, romande en particulier ? Combien tel auteur reconnu a-t-il signé d'exemplaires de son dernier ouvrage ? Combien Gallimard, L'Aire, Grasset ou Zoé ont-ils vendu de nouveautés ? Les chiffres — et pour cause ! — ne seront jamais divulgués…

    Et la presse, précisément ?

    Elle va aussi mal que les éditeurs littéraires. Tous les journaux tirent la langue, se battent pour s'arracher quelques pages de pub et se regardent en chiens de faïence. Le Temps, journal réputé culturel, n'était pas au Salon. Trop cher. D'autres journaux, qui autrefois pavoisaient, ont dû se contenter de stands modestes. Car les temps sont durs. La crise n'est pas un vain mot. Les lecteurs, de plus en plus, se rabattent sur le Net ou s'informent par d'autres moyens que les média traditionnels.

    Là aussi, c'est la méthode Coué. Chacun attend que l'autre dépose en premier son bilan…

    Cette situation est comparable à celle de la Grèce. Laquelle vit à crédit, comme certains journaux et certains éditeurs, depuis plusieurs années. Un jour, pourtant, la réalité nous rappelle à son bon souvenir. Et le réveil, alors, est douloureux…