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adam

  • L'ère du soupçon

    images-3.jpegIl faut imaginer Adam heureux. Il était seul sur terre. Autour de lui, rien que la nature vierge et sauvage. Il pouvait délirer des heures dans la forêt sans que personne ne l’interrompe ou ne le contredise. Ève n’était pas encore là pour lui couper la parole. Mais parlait-il déjà ? Pour dire quoi et à qui ? Avait-il donné un nom aux fleurs des prairies, aux nuages du ciel, aux animaux qui menaçaient sa vie ?

     Le premier homme est important. Mais c’est un mythe : l’Unité primordiale, la Vérité immaculée, l’Origine pure. Tout cela a été inventé après coup. Par les religions, la philosophie, la morale. Il n’y a plus qu’une poignée de nostalgiques pour croire encore à l’unité indivisible de l’homme, et à sa pureté naturelle.

    Car tout commence, en vérité, avec le deuxième homme — autrement dit la femme. C’est Ève qui, en même temps qu’elle jette Adam dans les tourbillons de l’histoire et de la connaissance (c’est-à-dire de l’évolution), invente le langage. Les mauvaises langues prétendent d’ailleurs que depuis que la femme a inventé la parole, elle ne veut plus la rendre ! Oui, c’est l’autre qui invente la langue, qui suscite le dialogue, qui provoque la contradiction. C’est l’autre qui, par sa présence, son écoute, vous remet constamment à votre place quand vous vous égarez. C’est l’autre qui, d’un sourire ou d’un mot cruel, débusque vos mensonges.

     Avec le deuxième homme — disons la femme ! — commence l’ère du soupçon.

     Seul, l’homme n’existe pas. Il se ment sans cesse à lui-même. Il se berce d’illusions. Il se croit le maître du monde.

    DownloadedFile.jpegC’est ce qui est arrivé, il y a peu, à Jérôme Cahuzac, ministre français des Finances, donnant des leçons de morale à la terre entière avant de se prendre les pieds dans un tissu de mensonges. Certes, sa femme l’avait dénoncé. Médiapart a suivi. Et, comme une meute, les journalistes, l’ont dévoré vivant. C’est aujourd’hui le sort des gens que l’on soupçonne…

     En même temps, par un curieux hasard (à qui profite-t-il ?), des milliers de noms d’avocats et d’hommes politiques circulent sur des listes noires, les « Offshore leaks ». Tous des menteurs et des fraudeurs potentiels ! L’ère du soupçon est généralisée. Aux yeux de ces nouveaux inquisiteurs, tout le monde est suspect a priori. Il ne s’agit pas seulement de surveiller son voisin : il faut aussi le dénoncer si l’on remarque quelque chose d’anormal (on appelle ça des whistleblowers). La presse, chargée d’instruire le dossier, est ravie : elle peut jouer les redresseurs de tort. Le feuilleton est infini, et les tirages remontent. Mais est-ce bien moral ?

    Adam ne connaissait pas le soupçon. Il était seul et brave. Il luttait pour sa survie, terrassait des mammouths, traversait des fleuves à la nage. Était-il heureux pour autant ? Je n’en suis pas certain. Car quand il réalisait un exploit, à qui voulez-vous qu’il aille le raconter ?

  • Dernières nouvelles de Pointe-à-Pitre

    La littérature ne connaît pas de frontières. C'est sa force et son charme. Voici un écho sympathique de mon dernier livre sur radio massabielle (pointe à pitre).

    olivier_orgie_270-z.jpgLe 18 octobre dernier, nous chroniquions ici-même L'amour nègre, récompensé par le Prix Interallié, dont le personnage principal, Moussa, rebaptisé Adam, avait été adopté par un couple d'acteurs hollywoodiens. Son auteur, Jean-Michel Olivier continue avec cette famille non pas recomposée mais plutôt décomposée avec APRES L' ORGIE dont l'héroïne,  Ming, Chinoise aux yeux bleus, a également été adoptée par les vedettes du grand écran, ce qui fait qu'elle est la demi-soeur d' Adam. Cela ne l'empêchera pas d'avoir une relation quasi incestueuse avec le jeune Africain.
    De la Chine où sa mère était parfois figurante de cinéma et plus souvent prostituée à l' Italie, où nous rencontrons un clône de Berlusconi, plus berlusconien que l' original, en passant par les USA et la Suisse où elle a été pensionnaire dans une pension luxueuse, nous suivons le parcours de Ming, au fil des confidences distillées à un psychanaliste. Cynique ? Désabusée ? Réaliste ? La jeune fille n'a pas fini d'étonner son interlocuteur... ni le lecteur.
     APRES L' ORGIE de Jean-Michel Olivier,  éditions de Fallois, 234 pages, 18 € (22 FRS en Suisse)
     Retrouvez A L' ECOUTE DES LIVRES chaque mercredi à 18h30 sur Radio Massabielle (97.8 Mhz et 101.8 Mhz)

  • Les deux littératures

    AVT_Georges-Bataille_5597.pjpeg.jpeg« Il y a deux types de littérature, écrivait Georges Bataille. La première, plate et anecdotique, fait la une des gazettes, et se vend bien. La seconde, allégorique et souterraine, fait son chemin dans l'ombre et intéresse les lecteurs à venir. »

    On ne saurait mieux définir notre époque qui préfère le plat, le sordide et les mensonges de l'autofiction à la littérature d'invention, la fable, la création d'un monde singulier. Tout se passe comme si, de tous les mouvements littéraires, le réalisme avait définitivement remporté la partie. Il suffit de passer en revue quelques stars de la rentrée française. Dans Les Lisières*, Olivier Adam, nous raconte, pour la énième fois, l'histoire d'un homme abandonné par son épouse, et séparé de ses enfants. Avec force détails et serrements de cœur. DownloadedFile-1.jpegL'inénarrable Christine Angot, dans Une semaine de vacances**, nous ressert la resucée de son inceste (une fellation au jambon-beurre) en ne nous épargnant aucun détail. Telle autre, Félicité Herzog***, avec une rage inassouvie, déboulonne la statue de son père, dans un style au plus près du trottoir.

    « Le réalisme, disait mon cher professeur Roger Dragonetti, c'est la lèpre de la littérature. » Et cette lèpre, semble-t-il, a gagné aujourd'hui toute la littérature…

    De l'autre côté, il y a le poème, la fable, le roman philosophique ou satirique. Cette littérature commence avec Homère et passe (pour aller vite) par Rabelais, La Fontaine, Swift, Voltaire, Nerval et, plus près de nous, Joyce, Kafka, Céline, images-1.jpegKundera, Quignard****, etc. Il s'agit toujours de rendre compte du monde et de ses aberrations, mais en créant un langage singulier. À chaque époque sa langue, me direz-vous. Rien de plus vrai.

    Et le romancier (le poète en mouvement) doit inventer la sienne pour provoquer (découvrir, dévoiler) la vérité.

    * Olivier Adam, Les Lisières, Flammarion, 2012.

    ** Christine Angot, Une semaine de vacances, Flammarion, 2012.

    *** Félicité Herzog, Un héros, Grasset, 2012.

    **** Pascal Quignard, Les désarçonnés, 2012.