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  • L'épopée du Théâtre de Carouge (Patrick Ferla)

    J'avais treize ans. J'étais élève au Cycle de Budé — un élève turbulent et bagarreur. Une fois par semaine, nous avions droit à des cours de diction. La première année, mon prof s'appelait Philippe Mentha ; la dernière année, Georges Wod. Avec Mentha, la classe était dans un joyeux chaos, mais un chaos stimulant et respectueux. Avec Wod, pas un bruit, tant il en imposait physiquement et psychologiquement. De cette époque, probablement, date mon goût, très ancien, pour le théâtre.

    On retrouve ces deux figures centrales du théâtre romand dans le beau livre de Patrick Ferla, Les ailes de l'imaginaire, conversations avec Jean Liermier*.  On ne rendra jamais assez justice à Ferla — passionné de théâtre, mais aussi de littérature — d'avoir animé et soutenu, pendant des décennies, la vie culturelle romande. Il nous vivre ici, à travers un dialogue avec Jean Liermier, l'actuel directeur du Théâtre de Carouge, l'aventure homérique qu'a représenté ce théâtre fondé en 1958 par François Simon, l'écrivain Louis Gaulis et le jeune comédien Philippe Mentha dans la petite cité sarde.

    Ferla nous raconte les temps héroïques, la recherche d'une salle, les premières représentations dans une salle de paroisse rafistolée par les comédiens eux-mêmes, les succès, les déboires, de ces pionniers de l'art dramatique en Suisse romande. Puis vinrent Georges Wod, l'extraordinaire engouement populaire (plus de 10'000 abonnés !), puis François Rochaix et enfin Jean Liermier, qui prit les commandes du théâtre en 2008. Personnage atypique, à la fois comédien, metteur en scène et directeur de salle, le pétillant Liermier a su redonner une seconde vie au Théâtre de Carouge, non seulement par ses mises en scène, mais aussi par ses programmations, ses idées novatrices, son enthousiasme. Ferla rend justice à ce saltimbanque de talent, à l'énergie inépuisable, qui prône un théâtre à la fois populaire et de grande qualité. On suit le parcours de ce fils (et frère) d'aviateurs, né à Annemasse en 1970, mais aussi grand voyageur et découvreur de talents. Les étapes de sa « carrière », les rencontres décisives (Claude Statz, Patrice Chéreau, Claude Engel, etc.), la vision du théâtre qu'il se forge peu à peu.

    Ce livre d'entretiens est ponctué de nombreuses interventions de comédiens, de femmes et d'hommes de théâtre, de politiques aussi, qui ajoutent une touche particulière au portrait de Liermier et à l'histoire du Théâtre de Carouge — une histoire exemplaire et remarquable. Il comporte également de nombreuses illustrations couleurs des spectacles mis en scène par Liermier, à Carouge et ailleurs, qui nous rappellent de magnifiques souvenirs.

    Un livre à feuilleter sans nostalgie, mais avec beaucoup d'émotion.

    * Patrick Ferla, Les Ailes de l'imaginaire, conversations avec Jean Liermier, éditions Slatkine, 2022.

  • Mélancolie du souvenir (Frédéric Pajak)

    Depuis une vingtaine d'années, Frédéric Pajak se raconte (et se construit) en images et en mots. Il a inventé un genre littéraire singulier : le récit écrit et dessiné. Ce n'est ni un roman graphique, ni une BD, ni même un texte illustré de dessins. Chez lui, textes et dessins se répondent, mais de manière allusive, sans que jamais l'un prenne le dessus sur l'autre.  On peut lire les livres de Pajak comme un double récit, strictement parallèle, dont les images et les mots se rejoignent, sans doute,  mais à l'infini.

    Son dernier livre, Dans le calme du soir*, noua plonge avec délice dans la mélancolie du souvenir. Pajak évoque les villes où il a vécu (Paris, Strasbourg, Lausanne, Aoste, Mantoue, Arles), en nomade convaincu, et il brosse le portrait, gourmand et affectueux, de ses oncles, en particulier, qui deviennent, sous sa plume, des personnages hauts en couleur. Pajak se retourne, avec nostalgie, sur ce passé plus ou moins lointain pour le revivre et l'éclairer. Et l'on part avec lui pour ces villes que l'on connaît bien et que l'on aime, et que Pajak ressuscite avec le double talent qui est le sien : l'écrivain et le dessinateur.

    « La nostalgie nous prouve que nous avons vécu des choses importantes. » disait un philosophe français. En se racontant, Pajak nous donne les clés d'un passé qui est le sien, mais aussi le nôtre. Et qui vibre encore, par l'image et les mots, dans la mémoire de chacun d'entre nous.

    * Frédéric Pajak, Dans le calme du soir, éditions Noir sur Blanc, 2022.