Pascal Louvrier aime les monstres. Il s'est déjà frotté à Johnny Hallyday, Françoise Sagan, Michel Delpech, mais aussi Fanny Ardant, Georges Bataille, Amy Winehouse. À chaque fois, c'est une plongée dans l'univers d'un monstre que nous avons tant aimé. Aujourd'hui, c'est au tour de Gérard Depardieu de passer au scalpel de Pascal Louvrier. Cela donne un livre touffu et passionnant, Gérard Depardieu à nu*, publié aux éditions de l'Archipel.
Très vite, depuis ses débuts (les années 70), Depardieu a fait partie de notre famille. Acteur inclassable, toujours imprévisible, doté d'un naturel époustouflant, maître de l'émotion comme du rire, toujours surprenant (est-ce bien le même acteur qui joue dans les Valseuses et dans Cyrano ?). Depuis 50 ans, c'est l'homme aux mille visages, capable de tout jouer et de prêter son corps (quelle incroyable présence corporelle !) à tous ses personnages.
Pascal Louvrier le suit à la trace depuis l'enfance pauvre à Chateauroux (le père alcoolique, la mère qui veut tuer son enfant à naître). L'adolescence tapageuse, flirtant avec la prostitution et la délinquance. Puis la fuite à Paris. La chance inouïe d'être pris sous l'aile d'un grand comédien, Jean-Laurent Cochet, qui voit tout de suite en lui le comédien de génie. Puis les débuts au théâtre. Puis les premiers contrats au cinéma. Jusqu'au triomphe des Valseuses (1974)…
Pourtant, la vie de Depardieu n'est pas un long fleuve tranquille. Combien de coups et de blessures reçus depuis Chateauroux ? Sans compter les excès de toute sorte qui vont plus d'une fois le mettre à terre. L'acteur tentera bien, pourtant, de « se ranger » en épousant la bourgeoise Elisabeth, issu des beaux quartiers, qui lui donnera deux enfants, Guillaume et Julie. Mais la vie de famille n'est pas pour lui. Le mariage se délitera. Et Guillaume, qui aura enchaîné les malheurs, mourra d'une pneumonie à 37 ans.
Louvrier retrace cet épisode avec empathie et lucidité. Comment survivre à la mort de son enfant ? En se jetant, corps et âme, dans les projets de films, bons ou mauvais, en s'abrutissant de travail, en parcourant le monde, de plus en plus, pour nourrir une insatiable curiosité.
D'abord quitter la France, qui lui prend quand même 87% de ses revenus. Chercher asile ailleurs, en Belgique, en Russie, en Algérie. Tourner de moins en moins de films, ensuite, car le cinéma d'aujourd'hui effraie Depardieu par sa vacuité, son inanité. Produire son propre vin, en France comme en Italie. Tourner le dos aux conventions et se moquer du qu'en-dira-t-on.
Le livre de Louvier se termine sur le portrait d'un autre Depardieu, qui n'est plus tout à fait le même que celui des débuts, même si l'on peut entendre encore son rire monstrueux. Un acteur philosophe qui a toujours à portée de main une édition des Confessions de Saint-Augustin, ce voyou repenti, cette ancienne petite frappe, comme lui — cet homme seul. L'image est belle est restera longtemps dans nos mémoires.
* Pascal Louvrier, Gérard Depardieu à nu, éditions de l'Archipel, 2022.