Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ecrivain de la comédie romande

  • Hommage à une amie disparue

    Vendredi dernier, je reçois un coup de téléphone d'une amie, Marlyse E., un peu perdue de vue. Elle me dit qu'elle est aux soins palliaifs et m'annonce la date de sa mort : mardi 13 juin. Je suis sous le choc. Elle a une petite voix grêle, presque un murmure. C'est une femme extraordinaire, de tête et de caractère, comme on dit. Je l'ai connue quand elle dirigeait l'antenne romande de Pro Helvetia, à Carouge. La Grande époque des projets fous. Une énergie et une vitalité débordantes. Pro Helvetia avait encore des ambitions romandes. C'était une ruche d'idées et de créativité. Elle m'a envoyé six mois à Ann Arbor, au Michigan, dans le Midwest américain pour remplacer au pied levé Nicolas Bouvier, qui était malade. Et, en 1997, elle m'a envoyé à Toronto, avec l'ami Claude Frochaux, où j'ai eu le bonheur d'être accueilli par une charmante assistante à l'Université de Glendon, Corine Renevey, qui deviendra mon épouse (rapatriée du Canada !) Personne ne le savait, sauf toi, peut-être, qui avait des intuitions de sorcière bien aimée.

    Marlyse, je pense à toi.

    A ta passion de la peinture et de l'écriture (tu as publié plusieurs livres, dont un recueil de poèmes aux éditions de l'Aire). A ton humour et à ta vitalité. Ton frère Pascal était un organiste réputé. Il est parti trop tôt. Comme toi. Tu vas le retrouver, quelque part, dans ce voyage mystérieux, ainsi que ce cher René Feurer, peintre génial, dont tu fus l'amie. Cela ne me console pas. Tu vas beaucoup manquer à ceux qui t'aimaient.

    Bon voyage, ma chère Marlyse, je t'embrasse et je suis avec toi.

  • Portrait de groupe autour d'un mort (Alain Bagnoud)

    Récent vainqueur du Prix du polar romand avec De la part du vengeur occulte (BSN éditeur), Alain Bagnoud (né en 1959) nous donne aujourd'hui un roman plus personnel, à moitié autobiographique, qui restitue la figure d'un ami flamboyant, Jean Winiger, avec lequel Bagnoud avait co-signé son premier livre, Les Épanchements indélicats, paru aux éditions de l'Aire en 1989. Sous un titre un peu crypté, L'Amant de la déesse Lune*, titre qui va bien sûr être élucidé dans le roman, Bagnoud brosse un portrait de groupe, comme il les affectionne et comme il sait si bien le faire, et le portrait d'une époque. 

    Tout tourne ici autour d'un mort : Pablo, personnage fascinant par ses talents et ses ambiguïtés, hâbleur, fou de littérature, beau comme un dieu, infatigable amateur de disputes et de fêtes, bisexuel assumé, épris de poésie et d'amours passagères, etc. Sibylle, qui fut son amie et garde pour lui une fascination absolue, mène l'enquête, non sur la disparition de Pablo, mort des suites d'un alcoolisme notoire, mais sur ses œuvres — un mystérieux roman qu'il aurait achevé en secret et dont personne ne sait rien, L'Amant de la déesse Lune

    Sibylle interroge les amis de Pablo, en Suisse comme en Italie, ses maîtresses et ses amants, sa famille aussi, de modeste origine espagnole. Par facettes, elle dessine peu à peu un portrait complet, en éclairant les zones d'ombre de sa vie, qui sont nombreuses. Mais en peaufinant ce portrait d'un absent, c'est le tableau d'une époque et d'un groupe d'amis que Bagnoud nous offre, comme dans plusieurs de ses livres précédents. L'époque était à la liberté, aux rêves d'absolu, à l'expérimentation et à la transgression des normes en vigueur. Pablo en est la figure incarnée. Une sorte de Christ sacrifié sur l'autel de l'époque. Mais ses amis, qui se réunissent une fois par semaine pour un apéro au Café de la Fouine, ne sont pas en reste. Ils sont vivants, eux, criards et fêtards. Mais combien de rêves avortés ? De déceptions et d'amertume à peine cachées ? Sibylle les interroge, mais n'en tire pas grand-chose.

    Le fin mot de l'affaire sera apporté par Bill, un ex-amant devenu banquier, qui se trouve être le dépositaire de nombreuses lettres et de papiers personnels que Pablo a confiés à son ancien prof de collège. Dans cette galerie de portraits, parfois à peine esquissés, Bill n'est pas le moins intéressant, car il n'appartient pas au milieu artistique que fréquentait surtout Pablo. Et Bill apporte une autre touche à cette figure en absence qui a tant fasciné ses amis.

    Un beau roman, riche et chaleureux.

    * Alain Bagnoud, L'Amant de la déesse Lune, éditions de l'Aire, 2022.

    Le lundi 6 mars, au café-restaurant Arômes et Saveurs, rue Ancienne 36, à Carouge, aura lieu une grande soirée littéraire, organisée par La Compagnie des Mots, qui reçoit ce soir-là, les écrivains Alain BAGNOUD, Pierre BÉGUIN et Jean-Michel OLIVIER.

    Une soirée à ne pas manquer : l'entrée est libre !

    Venez nombreux !

  • L'épopée du Théâtre de Carouge (Patrick Ferla)

    J'avais treize ans. J'étais élève au Cycle de Budé — un élève turbulent et bagarreur. Une fois par semaine, nous avions droit à des cours de diction. La première année, mon prof s'appelait Philippe Mentha ; la dernière année, Georges Wod. Avec Mentha, la classe était dans un joyeux chaos, mais un chaos stimulant et respectueux. Avec Wod, pas un bruit, tant il en imposait physiquement et psychologiquement. De cette époque, probablement, date mon goût, très ancien, pour le théâtre.

    On retrouve ces deux figures centrales du théâtre romand dans le beau livre de Patrick Ferla, Les ailes de l'imaginaire, conversations avec Jean Liermier*.  On ne rendra jamais assez justice à Ferla — passionné de théâtre, mais aussi de littérature — d'avoir animé et soutenu, pendant des décennies, la vie culturelle romande. Il nous vivre ici, à travers un dialogue avec Jean Liermier, l'actuel directeur du Théâtre de Carouge, l'aventure homérique qu'a représenté ce théâtre fondé en 1958 par François Simon, l'écrivain Louis Gaulis et le jeune comédien Philippe Mentha dans la petite cité sarde.

    Ferla nous raconte les temps héroïques, la recherche d'une salle, les premières représentations dans une salle de paroisse rafistolée par les comédiens eux-mêmes, les succès, les déboires, de ces pionniers de l'art dramatique en Suisse romande. Puis vinrent Georges Wod, l'extraordinaire engouement populaire (plus de 10'000 abonnés !), puis François Rochaix et enfin Jean Liermier, qui prit les commandes du théâtre en 2008. Personnage atypique, à la fois comédien, metteur en scène et directeur de salle, le pétillant Liermier a su redonner une seconde vie au Théâtre de Carouge, non seulement par ses mises en scène, mais aussi par ses programmations, ses idées novatrices, son enthousiasme. Ferla rend justice à ce saltimbanque de talent, à l'énergie inépuisable, qui prône un théâtre à la fois populaire et de grande qualité. On suit le parcours de ce fils (et frère) d'aviateurs, né à Annemasse en 1970, mais aussi grand voyageur et découvreur de talents. Les étapes de sa « carrière », les rencontres décisives (Claude Statz, Patrice Chéreau, Claude Engel, etc.), la vision du théâtre qu'il se forge peu à peu.

    Ce livre d'entretiens est ponctué de nombreuses interventions de comédiens, de femmes et d'hommes de théâtre, de politiques aussi, qui ajoutent une touche particulière au portrait de Liermier et à l'histoire du Théâtre de Carouge — une histoire exemplaire et remarquable. Il comporte également de nombreuses illustrations couleurs des spectacles mis en scène par Liermier, à Carouge et ailleurs, qui nous rappellent de magnifiques souvenirs.

    Un livre à feuilleter sans nostalgie, mais avec beaucoup d'émotion.

    * Patrick Ferla, Les Ailes de l'imaginaire, conversations avec Jean Liermier, éditions Slatkine, 2022.