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all that jazz

  • L'horizon d'une quêteuse de vent (Bernadette Richard)

    119603558_3346634788776959_4193386225546742826_n.jpgIl y a des pépites dans le dernier recueil de nouvelles de Bernadette Richard (Prix Rod 2018), intitulé L'Horizon et après*. Vingt-cinq textes écrits de 1992 à aujourd'hui, certains publiés dans des revues, d'autres parfaitement inédits. On y retrouve les thèmes chers à cette graphomane chaux-de-fonnière : le désir d'ailleurs, la solitude, les destins fracassés, les amours impossibles, la séduction, la fuite. La langue est belle, musicale, singulière. 

    Le livre s'ouvre sur une réflexion saisissante sur la ligne, celle du destin comme des convenances, celle du désir comme de l'imaginaire. Une nouvelle qui date de 1993 (publiée au Canada) et qui n'a pas pris une ride. La narratrice, aimantée par le désir d'ailleurs, cherche à atteindre l'horizon — encore une ligne imaginaire. Plus loin, c'est le « beau mec » en voiture de sport, fasciné par une femme fatale, qui achèvera sa course dans un précipice, victime de ses fantasmes. Plus loin encore, une femme marche en plein désert, en plein soleil, à la recherche d'un mirage qui pourrait être elle-même.

    images-3.jpeg« Je ne suis plus que carcasse, souffle-t-elle, privée de corps, de chair frémissante, bientôt squelette ambulant. Et je ne me suis aperçue de rien. »

    Le ton général est plutôt sombre, un peu désabusé, toujours empreint d'une ironie mordante. Les hommes n'en sortent pas indemnes, ni les femmes, d'ailleurs. Seuls les chats, dans cette satire sociale très réussie, tirent élégamment leur épingle du jeu, toisant l'agitation humaine avec philosophie. La nature est également célébrée dans plusieurs nouvelles — peut-être est-ce elle qui garde l'horizon ?

    Une mention particulière pour les dessins qui accompagnent chacune des nouvelles de ce recueil, nouvelles agrémentées d'une splendide lettrine. Aeschlimann_Dessin_miralles_2-715x1024.jpgIls sont l'œuvre de Catherine Aeschlimann, une vieille complice de Bernadette Richard, qui donne chair et vie aux textes eux-mêmes et les prolongent plutôt qu'ils ne les illustrent. Une belle complicité artistique !

    * Bernadette Richard, L'Horizon et après, nouvelles, Torticolis et Frères, La Chaux-de-Fonds, 2020.

  • Angoisse et tremblements (Serge Bimpage)

    images-2.jpegCinq ans après La peau des grenouilles vertes*, un polar inspiré par l'affaire de l'enlèvement de Joséphine Dard, Serge Bimpage, ancien journaliste au Journal de Genève, à l'Hebdo et à la Tribune de Genève, nous donne Déflagration**, son livre le plus abouti. Brassant une multitude de thèmes d'actualité (le réchauffement climatique, le mouvement #MeToo, le confinement, la collapsologie), il construit un roman riche et fort qui tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre de ses 500 pages.

    Impossible de raconter les détails de cette déflagration sans risquer de jouer les spoilers! Il faut laisser au lecteur le plaisir de se faire mener en bateau, si j'ose dire, par une écriture alerte et surprenante qui vole de péripéties en rebondissements, multiplie les personnages et les intrigues, passe au scanner nos peurs et nos fragiles émotions.

    images-3.jpegSolidement construit en trois parties (avant, pendant, après), le roman suit les méandres et les doutes de Julius Corderey, professeur d'Histoire à l'Université de Genève et auteur d'un livre qui a fait date, autrefois, Une île au milieu de l'Europe (livre, par ailleurs, dont on ne saura rien). Mais la gloire est lointaine et fugace. Il ronge aujourd'hui son frein entre une épouse, la riche Inès, dont il passe son temps à se séparer, une assistante slave qui lui réservera quelques surprises, des étudiants médiocres et une mère, Amélie, qu'il a reléguée dans un EMS de luxe. Sa vie est une fragile construction qui menace à chaque instant de s'écrouler.

    Et, bien sûr, c'est ce qui se passe!

    Mais pas de la manière attendue. La première partie, menée tambour battant, repose sur un constat d'échec (sentimental et professionnel). C'est aussi un coup de semonce. Une sorte d'avertissement qui permet à notre professeur, « un peu réac et passéiste » de se réveiller et de trouver la force de se reconstruire, comme on dit aujourd'hui.

    C'est alors que la catastrophe survient, parfaitement imprévisible (et à vrai dire quelque peu improbable). Le terre se réveille brusquement et se révolte. Le Petit-Pays, bâti sur une ancienne et profonde faille géologique est pris de soubresauts. Et des torrents de lave se déversent sur le plateau, formant une sorte de bouchon sur le lac de Constance et menaçant d'inonder les grandes villes du pays.images-4.jpeg L'hypothèse est séduisante (même si elle est fragile) et parfaitement d'actualité. Car cette menace conduit les autorités, pour protéger la population, à imposer un confinement qui ressemble beaucoup à ce que nous avons vécu (le roman de Bimpage, commencé il y a plusieurs années, a été rédigé avant la saga du Covid-19 et montre qu'une fois de plus les écrivains sont en avance sur leur temps !). Cette deuxième partie, qui ramènera Corderey dans le village de son enfance, Marmottence, au cœur du pays d'En-Haut, creuse à la fois l'angoisse de la catastrophe imminente et le besoin de retrouver des racines et un socle solide à sa vie (il est « confiné » dans le chalet d'Amélie et retrouve les gestes et les émotions d'autrefois). En plus d'une réflexion sur les changements climatiques, Bimpage aborde le thème des réfugiés, étrangers au petit village, qui viennent chercher refuge à Marmottence. 

    Quelle conclusion apporter à ce roman touffu et très hégélien (thèse, antithèse, synthèse) ? Après tant de bouleversements, comment ce brave professeur Corderey va-t-il réagir ?

    Il a beaucoup changé, comme tous les habitants du Petit-Pays. Il a tenté de faire de l'ordre dans sa vie en se débarrassant du superflu ou du superficiel. L'après va-t-il ressembler à l'avant ? Ce serait dramatique. On sent Bimpage partagé entre son désir de changement (tout recommencer à zéro) et son aspiration à revenir à la vie d'avant (une vie somme toute routinière et bourgeoise). Il y a bien quelques lignes de fuite, en particulier du côté des collapsologues qui se réunissent en secret à Marmottence pour préparer la fin du monde. Mais on sent que l'auteur n'y croit pas. Pas plus qu'il ne croit au retour au status quo ante. Cette conclusion laisse le lecteur dans l'expectative et le renvoie à ses propres interrogations. 

    C'est un livre important que ce Déflagration de Serge Bimpage — un livre qui ne laisse pas le lecteur indemne et fait trembler en lui des peurs très anciennes et irraisonnées. L'auteur y a mis beaucoup d lui-même et il ne triche pas. Ses personnages nous accompagnent encore bien après que l'on a refermé le roman. 

    Une réussite.

    * Serge Bimpage, La Peau des grenouilles vertes, roman, éditions de l'Aire, 2015.

    ** Serge Bimpage, Déflagration, roman, éditions de l'Aire, 2020.

  • L'affaire Polanski nous rend fous (et folles) !

    Unknown-1.jpegL'affaire Polanski rend fou : elle concentre en elle bien des passions incandescentes. Le néoféminisme, d'abord, teinté de misandrie et de politique, mais aussi la pédophilie, les violences sexuelles, sans oublier un élément déterminant, l'antisémitisme. Cela fait beaucoup pour un seul homme ! Mais cela explique aussi les vagues de haine, d'incompréhension et de bêtise que suscite cette « affaire » sur les réseaux sociaux. 

    On l'oublie bien sûr, car notre époque est amnésique, mais l'« affaire » a déjà fait un mort — au moins. Rappelez-vous, en octobre 2009, l'écrivain Jacques Chesseximages.jpeg (©photo de Patrick Gilliéron Lopreno), pris à partie, au sujet de Roman Polanski par un médecin du nord-vaudois (qui a courageusement pris la fuite), s'écroulait dans la bibliothèque du gymnase d'Yverdon, victime d'une crise cardiaque…

    À cette époque, j'avais consacré une chronique à cette « affaire » (lire ici), puis encore deux autres. Jamais je n'ai eu autant de commentaires (au total une centaine), mélangeant tous les aspects du scandale présumé, mais portant avant tout sur la question des violences pédophiles (d'innombrables témoignages de victimes abusées). Bien avant la vague #MeToo. Preuve que la parole des victimes ne demandait qu'à être entendue.

    Pendant dix ans, l'« affaire Polanski » s'est faite oublier. Or le feu couvait sous la braise. Le réalisateur a beaucoup travaillé. Mais il a fallu attendre J'accuse, un-poster-du-film-j-accuse-de-roman-polanski-photo-prise-le-13-novembre-2019_6251358.jpgun film magnifique qui tout à la fois dénonce l'antisémitisme et célèbre le courage de l'homme qui a osé défendre Dreyfus, pour qu'un nouveau scandale éclate. Je ne reviendrai pas sur ce nouveau lynchage qui a permis à certaines féministes excitées de réclamer qu'« on gaze » Polanski…IMG_3898-2.JPG

    Aujourd'hui, lors d'une misérable cérémonie des Césars, on se moque de sa taille (« un nain»), on écorche son nom (Jean-Pierre Daroussin), on oblige un comédien à faire le salut nazi sur scène (!). Pour rire, bien sûr. Une écrivaine néo-punk à la dérive, amoureuse des frères Kouachi, crache son venin dans Libération sur un réalisateur de films dont le talent la dépasse. On en revient aux bonnes vieilles méthodes en vigueur en Allemagne ou en URSS il n'y a pas si longtemps. Et cela ne scandalise personne…

    Vite ! Passons à une autre « affaire » !