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salon du livre

  • Petit éloge des salons*

    fullsizerender.jpgAu commencement, il y a le désir ; s’il n’y a pas de désir, il n’y a pas de commencement.

    En 1986, je lance, avec deux amis proches (Anne de Charmant et Frank Fredenrich) une revue culturelle : SCÈNES Magazine. Le désir était fort. Et un peu inconscient. Il n’y avait pas, en Suisse romande, de magazine exclusivement consacré à l’actualité artistique. Le pari était fou. Il tient toujours, 30 ans plus tard.

    La même année, Pierre-Marcel Favre et quelques autres (dont l’éditeur Vladimir Dimitrijevic) lancent à Genève le premier Salon du Livre et de la Presse. C’est un pari risqué. images-3.jpegÀ l’époque, il suscite des sourires gênés ou des remarques acerbes. La Suisse est un petit pays : qui cela peut-il bien intéresser ? On n’aime pas, chez nous, les têtes qui dépassent. Et, au Salon du Livre, il y a beaucoup de têtes qui dépassent…

    Lors de l’inauguration, je m’en souviens, les stands n’étaient pas si nombreux (et beaucoup étaient vides). Les journaux de la place, qui avaient accepté de jouer le jeu, occupaient les postes les plus en vue. Avec SCÈNES Magazine, nous avions un emplacement stratégique. Cela nous permit de présenter notre toute nouvelle revue à une foule de lecteurs, plus ou moins curieux, dont une grande partie s’abonnèrent sur-le-champ (c’est au Salon du Livre que la revue recrute le plus de nouveaux abonnés). Pour moi, ce fut également l’occasion de croiser, au carrefour des allées, des écrivains que je rêvais de rencontrer, comme Antonio Tabucchi, Pascal Quignard, Jacques Chessex, Alexandre Zinoviev, Pascal Bruckner, Bouthaina Azami (photo ci-contre) images-2.jpeget tant d’autres. De ces rencontres inopinées, autour d’un verre de vin ou d’une tasse de café, est née une amitié qui dure encore...

    Au fil des ans, le Salon s’est transformé. Des journaux ont disparu (Le Journal de Genève et La Suisse). D’autres sont apparus (Le Temps). Il a pris, peu à peu, des allures de grand souk — ce qui a découragé certains visiteurs qui s’y rendaient chaque année. Trop de bruit ! Trop de remue-ménage ! Les livres aspirent à la solitude et au silence de la lecture.

    Lieu de rencontre, d’échange et de débats, le Salon du Livre est devenu indispensable. Pour les éditeurs, qui peuvent exposer leurs livres. Pour les auteurs, qui peuvent rencontrer leurs lecteurs (s’ils le souhaitent). Pour les journalistes, qui voient se rassembler, à cette occasion, tout le petit monde littéraire, dispersé aux quatre coins de la francophonie. Pour le public, enfin, c’est-à-dire vous, moi, qui peut se retrouver autour d’une passion commune pour la littérature.

    * Ma contribution au magnifique ouvrage édité par Isabelle Falconnier et Adeline Beaux à l'occasion du 30è anniversaire du Salon du Livre de Genève.

     

  • Première rencontre

    par Isabelle Æschlimann

    images-3.jpegLa première fois que je l’ai vu, j’étais dans le rayon des nouveautés à l’entrée d’une librairie. Il y avait foule. Placé sur le rayon du bas, j’essayais de me faire remarquer aux yeux des passants en bombant ma couverture au joli papier structuré pour donner envie aux curieux de me saisir et de lire mon dos. Lui occupait la meilleure place à hauteur d’yeux. Plus grand que nous autres, il en imposait malgré lui, davantage servi par sa couverture immaculée et son titre accrocheur, dont le i rouge attirait immanquablement l’attention. Il arborait fièrement son bandeau «prix interallié 2010» comme une miss Suisse qui reviendrait dans la cour de son ancienne école.
    La nouvelle arrivée dans la scène littéraire romande et le prix interallié à la renommée internationale allaient faire connaissance. J’ai tout à apprendre de lui. Mais qu’allais-je bien pouvoir lui apporter dans le cadre de cette période d’échanges organisée par le Salon du Livre?
    Après avoir dévoré ses livres, je brûle de connaître leur auteur. Attablés dans une brasserie, nous parlons à bâtons rompus. Son visage est sérieux. La littérature est une histoire sérieuse. Mais soudain un trait d’humour fuse et son visage s’illumine, ses joues arrondies par son rire lui donnent un airchaleureux.
    Je me sens intimidée. Un peu tendue. Me voilà en face de L’Enfant secret qui a su se mettre dans la peau d’un psychanalyste, d’une jeune femme asiatique, d’un africain. Cela prouve une capacité d’empathie, d’observation hors normes. Il ne se contente pas de vous écouter, il sonde votre âme, recherche vos failles, car pour être intéressant un personnage doit avoir des fêlures.
    Nous échangeons nos sentiments sur nos livres respectifs. J’aimerais tout savoir. Son processus d’écriture, sa démarche pour commencer une histoire. Je le bombarde de questions, il me dit qu’il écrit pratiquement tous les jours. Il me raconte son expérience de critique de théâtre, lorsqu’il écrivait ses chroniques à chaud au milieu de la nuit afin de rendre son article avant la clôture du journal.
    Il s’intéresse lui aussi à ma façon de travailler. On voit les rouages tourner dans sa tête. Va-t-il utiliser une de mes réflexions ou un trait de mon caractère pour l’un de ses personnages? Avec les écrivains on ne sait jamais...…Il veut comprendre nos différences, mes références. Il a une voix agréable, il parle bien. Je sens qu’il a l’habitude d’évoquer sa passion.

    Son ton est posé. Il a du sang italien et pourtant il n’a rien de cette exubérance du sud. Ses mains ne virevoltent pas, il n’y a pas d’éclats, il est zen. Plus Suisse qu’Italien de ce côté-là. Soudain il sourit. Ses fossettes lui donnent un air généreux. «Bon, mangeons!» Voilà l’Italien. Il se frotte les mains, saisit la carte. Il me propose d’échanger des emails à un rythme rapproché. Je devine qu’il aimerait tisser un lien entre nous, dans le même but: apprendre l’un de l’autre. Je suis surprise par son investissement. Je ne pensais pas que cette expérience allait être aussi riche.
    Je m’interroge sur la construction de ses livres, chaque fois différente, jusqu’à innover complètement avec la conversation d’Après l’Orgie. Il me dit que chaque livre impose par lui-même sa construction. Que c’est le livre qui dicte le type de narration.
    Je lui raconte que je redoute encore les conséquences des mots sur mon entourage. Que je ne me sens pas encore libre d’écrire sans craindre de perturber mes proches et peut-être même de me révéler à moi-même. Il me dit «Il faut écrire, sortir tout ça de toi et ensuite tu décideras si cela a lieu d’ être dans ton livre». Il ouvre grand les fenêtres de mon atelier, il pousse les meubles au bord et me fait une place pour danser. Danser avec moi-même, sans entraves, comme Nell dans la forêt. Il me raconte le plaisir qu’il a eu à être dans la peau d’Adam, le jeune africain de L’Amour Nègre qui lui a valu le prix interallié. Ses
    personnages sont si opposés à lui, je suis impressionnée par sa capacité à se mettre dans leur peau. « Il faut croire qu’ il vivait en moi depuis longtemps! Au fond, il suffit de donner la parole aux fantômes qu’on trimbale en nous... »
    Le chemin sera encore long, mais Jean-Michel a posé la première pierre. Ces trois mois d’échanges ne me laisseront pas indemnes. A mon grand bonheur. Merci Jean-Michel.
    Isabelle Aeschlimann

  • Conversation avec Isabelle Æschlimann*

    images-1.jpegQuand et pourquoi avez-vous décidé que l’écriture tiendrait une place prépondérante dans votre vie?
    JMO — J’ai commencé par la musique et par la poésie. Puis, insensiblement, vers 15-16 ans, les deux se sont fondues au point de ne faire plus qu’une. Il n’y a pas de décision làdedans. L’écriture s’est imposée comme une planche de salut. Une tour de guet pour observer le monde et le comprendre.
    IA — C’est venu graduellement. J’ai toujours écrit, mais je m’éparpillais dans plusieurs formes d’art. Vers 25 ans, je me suis dit que ce serait bien d’en choisir une et de l’approfondir. L’écriture était celui qui comblait le plus mon besoin de m’exprimer. Cela me procure un plaisir sans pareil. Je ne peux plus m’en passer. Si je n’écris pas, je ressens un vide en moi.


    Qu’est-ce que ce choix a impliqué et implique dans votre vie?
    JMO — Écrire, pour moi, c’est la règle des trois S: solitude, silence, secret. On écrit toujours seul, dans le silence et le secret à révéler. Cela n’implique pas une vie solitaire. Mais un espace de solitude et de silence. Un jardin secret. Ce jardin, pour moi, est ouvert au monde. Il a un nom: c’est le roman. Un lieu qui engloberait toutes les disciplines: la musique, la peinture, la philosophie, la psychanalyse... Ce que Joyce a fait dans Ulysse, par exemple. Un roman total.
    IA — Comme toutes mamans qui travaillent à temps partiel, cela implique de l’organisation et de la discipline envers soi-même. images-2.jpegJ’ai dû trouver un équilibre entre le travail, ma famille, mes amis et l’écriture. Lorsqu’on pratique un sport de haut niveau, c’est plus reconnu. Mais manquer un événement ou se priver de quelque chose «pour écrire», cela fait sourire. Je ne prétends à aucune mission. Mais un romancier apporte un regard personnel sur la société d’une époque. Il soulève des questions, provoque des réactions.


    Quel statut ont les écrivains dans notre pays en particulier et le monde en général ?
    JMO — En Suisse, les écrivains ont peu de place, hélas. Certains sont largement subventionnés, d’autres ne reçoivent jamais un sou. Mais cela ne leur confère aucun statut social. D’une manière générale, ils ont beaucoup de peine à faire entendre leur voix. En France ou en Allemagne, les écrivains ont souvent une tribune dans les journaux ou les hebdomadaires, alors qu’en Suisse, on leur donne rarement la parole. On a peur de leur voix.
    IA — Je ne fréquente pas le milieu littéraire dans mon quotidien. Mais il me semble que les écrivains sont discrets. Et je constate qu’être écrivain est une activité que l’on pratique à côté d’un «premier métier»...…


    Écrire en Suisse, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
    JMO — Pour reprendre le titre d’une émission de télévision célèbre, chaque écrivain a des racines et des ailes. Je ne crois pas aux écrivains hors sol. Où qu’on aille, un peu de terre natale reste toujours collé à nos semelles. Ce n’est pas un poids ou une limitation. Regardez encore Joyce: il porte son Irlande natale en lui et c’est à partir de cet héritage qu’il écrit. Pour mieux s’envoler. Aller à la rencontre du monde et des autres.
    IA — Cela implique de garder les pieds sur terre et rester modeste. La scène littéraire est assez discrète en Suisse, peu mise en avant. Notre succès garde des proportions à l’échelle romande. L’immense avantage en revanche, est qu’au niveau régional, les gens nous soutiennent. Je suis jurassienne, je vis dans le canton de Vaud depuis 8 ans, et les deux cantons m’ont soutenue lors de mon entrée en littérature.


    Que peut, et doit, transmettre un écrivain à un autre écrivain?
    JMO — Ce n’est pas à l’école qu’on apprend à écrire. C’est en lisant, encore et toujours, les livres des autres. En dévorant les bibliothèques. En écumant les librairies. Je crois que la transmission se fait surtout par la lecture. Une sorte de «transsubstantiation». Mais fréquenter des écrivains (ou des artistes en général) est extrêmement précieux. J’ai eu la chance de fréquenter de grands écrivains comme Aragon, Chessex, Quignard, Starobinski, Derrida. Ils m’ont beaucoup encouragé, non pas par leurs conseils, mais par leur amitié et leur écoute.

    IA — Le processus de création est un acte bien mystérieux et chaque écrivain a quelque chose de différent à transmettre. Tout est intéressant! Ceci dit, écrire reste une activité solitaire et un dialogue avec soi-même.

    Peut-on apprendre à écrire?
    images-4.jpegJMO — Je n’ai jamais appris à écrire. C’est la vie, ses bonheurs et ses drames, et la langue dans laquelle je suis né qui forgent mon écriture. J’écris avec mon corps et mes émotions. J’invente une voix dans la langue. Ce qui me pousse en avant? Le désir de vivre d’autres vies, sans doute. De voyager grâce aux livres des autres et d’élargir mon horizon.
    IA — Du moment que les idées sont là, bien sûr que l’on peut apprendre à écrire. D’ailleurs en Amérique, il y a des écoles d’écrivains. C’est avant tout du travail. De mon côté, je lis énormément en essayant d’analyser ce que je lis, de comprendre comment l’auteur a construit son texte. C’est la meilleure école. Ensuite je remanie mes phrases des dizaines de fois jusqu’à ce que mon texte et son rythme me conviennent.


    Que vous amènent les discussions et le compagnonnage avec votre poulain/avec votre parrain? Qu’appréciezvous chez lui ?
    JMO — Je trouve extrêmement stimulante la rencontre avec un autre écrivain. Le dialogue, l’échange, le partage d’expériences a priori très différentes (le parrain est rodé au milieu littéraire, tandis que le poulain - ou la pouliche! - n’en connaît pas encore les ficelles). J’aime la fraîcheur de mes conversations avec Isabelle, comme j’ai aimé le rythme et la vivacité de son livre, «Un été de trop». J’aime surtout
    l’espérance de ce qui va suivre: le livre à venir. Celui qu’on rêve. Le livre qui n’existe pas encore.
    IA — J’éprouve un énorme plaisir à parler littérature pendant des heures, de pouvoir poser toutes les questions que j’ai toujours eu envie de poser à un auteur aussi reconnu que Jean-Michel. Il fait preuve d’une grande humilité. Peut-être parce qu’il enseigne à des jeunes qui n’ont aucune idée de la chance qu’ils ont! Par son métier, il a une perception pédagogique de l’écriture. Il essaie d’intéresser les
    jeunes à son art, de leur démontrer la puissance des mots. C’est magnifique. Concernant son style d’écriture, il ne choisit pas la voie de la facilité. Il veut progresser, explorer de nouveaux horizons. Lorsqu’une recette fonctionne, au lieu de resservir le même plat, il en essaie une autre. Il se met en danger à chaque fois. C’est une leçon: ne pas se reposer sur ses acquis. Mais cela pourrait aussi être: ne te sens jamais enfermée dans un carcan. Jean-Michel est avant tout un père et j’aime sentir que même à son niveau, ce qui nous rattache à la réalité est notre famille. S’il était un célibataire endurci qui s’était consacré à l’écriture, il y aurait un gouffre entre nous. Alors que là, il devient un modèle.
    Concilier famille et écriture est possible. Et c’est même ce qui nous nourrit. Elle est notre énergie, essentielle à notre équilibre. ■

    *En réponse à des questions d'Isabelle Falconnier.

    Photo © Thomas Zoller