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Ecrivain de la comédie romande - Page 148

  • Ce fou de Dimitri

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    Le 28 juin 2011, Vladimir Dimitrijevic — alias Dimitri — trouvait la mort sur une route de campagne entre Lausanne et Paris. Pendant vingt ans, tous les samedis, j’ai eu la chance de retrouver cet homme d’exception au Rameau d’Or, sa librairie genevoise. Sa vraie patrie était les livres. Et c’est là, au milieu des cartons et des piles de nouvelles parutions, qu’il était véritablement chez lui. Toujours il avait un nouvel ouvrage à me montrer. Un auteur inconnu à me faire découvrir. Un coup de cœur. Car c’est par la passion, toujours intacte, un flair unique pour déceler un talent proprement original, que cet homme au caractère bien trempé, qui fonda en 1966 les éditions L’Âge d’Homme, parvenait à faire partager ses goûts et son enthousiasme.

    Concernant Dimitri, ce mot sonne juste, qui désignait, en grec ancien, l’inspiration, voire la possession par le souffle divin. Plus tard, avec Pascal, Spinoza et Nietzsche, l’enthousiasme sera lié à l’expérience mystique, à la joie extatique, à une forme de dévotion jalouse à un idéal ou une cause, qui se traduit par la joie et l’excitation. Mais aussi, dans un sens plus sombre, l’enthousiasme implique un esprit partisan, aveugle aux difficultés et sourd aux arguments adverses.

    Pour moi, Dimitri restera cet esprit enthousiaste, au double sens du terme : un passeur d’exception, habité par une force mystique quelquefois effrayante de certitude, et un homme en proie aux démons partisans, capable de tout sacrifier aux idées qui l’animent.

    Certains jours, je l’ai vu guilleret, une pile de livres sous le bras, impatient de me recommander tel classique de la littérature russe ou slave. Il m’en parlait pendant des heures avec une telle adoration que j’avais hâte de rentrer au plus vite chez moi pour dévorer le livre si brillamment recommandé.

    D’autres jours, d’humeur plus ténébreuse, je le trouvais en proie aux mille soucis d’une maison d’édition. Taciturne. Ombrageux. D’une ironie mordante sur ses collègues, et même les écrivains qu’il publiait. Alors, peu de gens trouvaient grâce à ses yeux. Telle poétesse locale, adepte du minimalisme, se contentait de faire du goutte-à-goutte. Tel autre, écrivain réputé, avait perdu tout talent dès lors qu’il avait quitté le giron de L’Âge d’Homme ! Philippe Jaccottet était « un poète pour dames patronnesses » ! Jacques Chessex, un « faiseur à succès » ! Maurice Chappaz, un « grippe-sou bucolique » !

    C’était la même passion — tantôt ardeur joyeuse, exaltation communicative, admiration sans borne — mais à l’envers.

    amour negre.jpgDernière image de Dimitri : quand, un certain jour de novembre 2010, l’œil rivé à l’écran de l’ordinateur, il a appris, à Lausanne, que je venais de recevoir à Paris le Prix Interallié pour L’Amour nègre * (une première pour un écrivain suisse), il m’a aussitôt appelé pour me dire sa joie. Mais le mot est trop faible. Je l’entendais rire et chanter au bout du fil. Et Marko Despot, son fidèle bras droit, qui se trouvait à ses côtés dans les bureaux de la tour Métropole, m’a assuré que ce jour-là Dimitri dansait.

    * Jean-Michel Olivier, L’Amour nègre, Le Livre de Poche.

     

  • Constantin, l'irréductible

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    S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer : ses cheveux en pétard, son accent rocailleux, sa gueule tantôt placide et tantôt renfrognée. À lui seul, il incarne le Valais de toujours. La légende du passé et la ruse du présent. Un esprit de conquête et une soif de revanche sur le sort toujours hostile.

    Ce n’est pas Christophe Darbellay, politicien à bout de souffle, ni Philippe Nantermod, jeune loup en quête d’avenir. Quoi qu’il fasse, et même quand il ne fait rien (ce qui est rare), il parvient à noircir les pages des journaux. Tous les hommes politiques, de son canton et d’ailleurs, devraient l’engager pour leur communication, car en matière de buzz, il est imbattable !

    L’année dernière, pour lui, a été un cauchemar. Mal conseillé par des avocats vétilleux, il s’est lancé dans une croisade perdue d’avance contre les instances du football européen. N’est pas Don Quichotte qui veut ! Malgré tous les recours, appels désespérés aux tribunaux civils des quatre coins de ce pays et d’ailleurs, il a perdu sur toute la ligne. 36 points de pénalité ! On n’a jamais vu ça. Et son équipe de foot, l’une des meilleures sur le papier, n’a pu échapper à l’humiliation des matches de barrage. Elle aurait dû être deuxième : elle a fini dernière. Ce qui n’est pas glorieux.

    Un autre que lui, probablement, aurait posé les plaques, comme on dit. Assez de tracasseries ! Trop de temps, d’argent perdu ! Il y a d’autres choses, dans la vie, que les procès à répétition et une équipe de traîne-savates.

    Mais ce n’est pas un homme à renoncer. En quoi il incarne la légende. Les échecs et les quolibets le rendent toujours plus fort.

    Il est donc reparti de plus belle. Avec cet enthousiasme et ce flair qui n’appartiennent qu’à lui. D’abord il engage un nouvel entraîneur : Sébastien Fournier. Un prince des pelouses. Énergie, intelligence, générosité. Pour l’avoir vu jouer aux Charmilles, je peux vous dire que Fournier, depuis toujours, est l’homme qui peut faire basculer un match. Il ne s’avoue jamais vaincu. C’est la grâce incarnée. Ensuite, il va chercher en Italie l’intraitable Gattuso, ce joueur qui a fait tant de mal aux Bleus en 2006. Un coup de pub et de génie. En attendant sans doute d’autres surprises qu’il va tirer de son chapeau.

    Car c’est un prestidigitateur — même si ses tours de magie ne réussissent pas toujours. Il donne vie au football suisse. Il incarne le défi et l’envie de se battre. Il sait retourner presque toutes les situations à son avantage. À chaque instant, il invente l’avenir. Il a le goût du risque et la soif d’entreprendre.

    Rendons justice à Christian Constantin : il aura agacé beaucoup de monde, horripilé ses fans, irrité les cadors du foot par ses tracasseries sans fin. Pourtant, dans le paysage médiatique du pays, il est irremplaçable. Quelque part entre Astérix et Guillaume Tell, c’est notre irréductible Helvète.

     

  • La source et le pardon (Vuilleumier)

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    Avec La Rémission*, Jean Vuilleumier nous donne sans doute l'un de ses plus beaux livres. Ce bref roman, intense et tendu comme une corde, met en scène la confrontation d'un vieux libraire, Germain Lancelot, avec l'homme qui, une vingtaine d'années auparavant, a violenté sa sœur. Face à face impromptu, à la fois passionnel et dépassionné, entre deux hommes que tout sépare (sinon l'amour des livres).

    L'originalité du livre de Vuilleumier tient en ceci que chacun des deux hommes cherche en l'autre une forme de rémission : le coupable, d'abord, qui, loin de refuser sa faute, l'accepte, l'assume, veut en payer le prix, mais a besoin du regard de Germain pour être absous ; quant au libraire, il se trouve lui aussi en sursis, puisqu'atteint d'un cancer il vit une rémission dont il essaie de profiter.

    Tout le roman tient dans cet intense suspens : peut-on pardonner une faute, même ancienne, même monstrueuse ? Et quel est le prix du pardon ?

    Si ces thèmes rappellent d'autres livres de Vuilleumier (L'Allergie, La Substitution), l'écrivain genevois use ici d'une palette tout à fait différente : une grande sérénité baigne ces pages souvent joyeuses, arrosées de bons vins (Chiroubles…), agrémentées de douces nourritures terrestres. Comme si le temps, ou l'approche de la mort, avait tué en Germain Lancelot toute forme de ressentiment, le préparant à rompre enfin « le cercle magique de la haine et de la vengeance ».

    Sans amour et sans haine : voilà les derniers mots de cet homme en sursis qui trouve une délivrance à ses tourments dès la seconde où, tacitement, « il se charge de l'ancienne faute de son visiteur, afin d'en partager avec lui le poids. »