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  • Un roman mosaïque (Virgile Élias Gehrig)

    Unknown.jpegNe vous attendez pas, avec Virgile Élias Gehrig, à une promenade de tout repos. L'auteur aime les méandres, les chemins de traverse, les déambulations rêveuses. Après trois livres à l'Âge d'Homme (un roman, un recueil d'aphorismes et des poèmes), il nous donne aujourd'hui une somme impressionnante, Peut-être un visage*, tant par son ampleur vagabonde que par son style baroque.

    On commence à écrire — surtout en Suisse romande — dès que l'on sent sa vie s'effilocher, ses certitudes s'écrouler, son identité se perdre au fil des jours et des rencontres. C'est ce qui arrive au héros du roman de Gehrig, Thomas, qui souffre d'un mal étrangement helvétique : comme Nicolas Bouvier dans le Poisson Scorpion, il sent un beau matin son visage disparaître. Son épouse est enceinte de leur premier enfant, son père est à l'hôpital : pour conjurer (et cacher) cet effacement, Thomas va disparaître à son tour. Corps et biens. Lui, l'enraciné dans sa langue et son pays, va quitter sa belle Vallée natale : il abandonne tout pour partir et espérer, peut-être, renaître ailleurs.

    Unknown-1.jpegC'est le fil conducteur de ce livre qui se lit comme un roman initiatique dont les pierres, de taille et de couleur différente, forment une sorte de mosaïque à la fois fascinante et difficile à suivre, parfois (les digressions sont nombreuses, on aimerait en savoir plus sur l'effondrement de Thomas). Le roman mêle des extraits de correspondance (les lettres du père), des bulletins d'actualité, des aphorismes, etc. Il change souvent de point de vue, même si la langue reste toujours fluide et musicale.

    Comme Ulysse, errant d'île en île avant de retrouver Ithaque, Thomas sillonnera l'Europe (qui est le nom de sa première fille), fréquentera les cafés berlinois (où l'auteur a écrit une partie de son livre), il traversera la Croatie, l'Albanie et la Grèce, pour arriver, en fin de course, sur une autre île méditerranéenne : Chypre. C'est là que Thomas va rencontrer le Professeur Grigorios, ascète ou anachorète, puis s'initier au monde mystérieux des bibliothèques et reconstruire, peut-être un nouveau visage.

    Le visage est un manuscrit, à lire et à écrire : les caractères qui le composent restent toujours à déchiffrer. 

    Un beau roman, touffu, profond, original, qui porte une voix singulière.

    * Virgile Élias Gehrig, Peut-être un vissage, roman, l'Âge d'Homme, 2018.

  • Constantin, l'irréductible

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    S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer : ses cheveux en pétard, son accent rocailleux, sa gueule tantôt placide et tantôt renfrognée. À lui seul, il incarne le Valais de toujours. La légende du passé et la ruse du présent. Un esprit de conquête et une soif de revanche sur le sort toujours hostile.

    Ce n’est pas Christophe Darbellay, politicien à bout de souffle, ni Philippe Nantermod, jeune loup en quête d’avenir. Quoi qu’il fasse, et même quand il ne fait rien (ce qui est rare), il parvient à noircir les pages des journaux. Tous les hommes politiques, de son canton et d’ailleurs, devraient l’engager pour leur communication, car en matière de buzz, il est imbattable !

    L’année dernière, pour lui, a été un cauchemar. Mal conseillé par des avocats vétilleux, il s’est lancé dans une croisade perdue d’avance contre les instances du football européen. N’est pas Don Quichotte qui veut ! Malgré tous les recours, appels désespérés aux tribunaux civils des quatre coins de ce pays et d’ailleurs, il a perdu sur toute la ligne. 36 points de pénalité ! On n’a jamais vu ça. Et son équipe de foot, l’une des meilleures sur le papier, n’a pu échapper à l’humiliation des matches de barrage. Elle aurait dû être deuxième : elle a fini dernière. Ce qui n’est pas glorieux.

    Un autre que lui, probablement, aurait posé les plaques, comme on dit. Assez de tracasseries ! Trop de temps, d’argent perdu ! Il y a d’autres choses, dans la vie, que les procès à répétition et une équipe de traîne-savates.

    Mais ce n’est pas un homme à renoncer. En quoi il incarne la légende. Les échecs et les quolibets le rendent toujours plus fort.

    Il est donc reparti de plus belle. Avec cet enthousiasme et ce flair qui n’appartiennent qu’à lui. D’abord il engage un nouvel entraîneur : Sébastien Fournier. Un prince des pelouses. Énergie, intelligence, générosité. Pour l’avoir vu jouer aux Charmilles, je peux vous dire que Fournier, depuis toujours, est l’homme qui peut faire basculer un match. Il ne s’avoue jamais vaincu. C’est la grâce incarnée. Ensuite, il va chercher en Italie l’intraitable Gattuso, ce joueur qui a fait tant de mal aux Bleus en 2006. Un coup de pub et de génie. En attendant sans doute d’autres surprises qu’il va tirer de son chapeau.

    Car c’est un prestidigitateur — même si ses tours de magie ne réussissent pas toujours. Il donne vie au football suisse. Il incarne le défi et l’envie de se battre. Il sait retourner presque toutes les situations à son avantage. À chaque instant, il invente l’avenir. Il a le goût du risque et la soif d’entreprendre.

    Rendons justice à Christian Constantin : il aura agacé beaucoup de monde, horripilé ses fans, irrité les cadors du foot par ses tracasseries sans fin. Pourtant, dans le paysage médiatique du pays, il est irremplaçable. Quelque part entre Astérix et Guillaume Tell, c’est notre irréductible Helvète.

     

  • Germain Clavien : une vie en poésie

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    C’est un livre grave et léger, plein de sagesse et d’expérience, d’émerveillements et de questions, que le dernier ouvrage de Germain Clavien, poète, chroniqueur et auteur de cette longue Lettre à l’imaginaire, dont le vingtième volume, En 2003, Rouvre, a paru en 2008.

    Notre vie* se présente comme une sorte de journal de bord poétique qui s’étend sur une année, d’avril 2009 à avril 2010. Il suit le rythme du soleil et des saisons. Il est plein de bruit et de fureur, de colères, de révoltes, de bonheurs indicibles. Son titre, déjà, est un programme : il s’agit de surprendre la vie qui vient et qui s’en va, avec son cortège de douleurs et de découvertes, de hasards heureux, et d'insondables mélancolies. Une vie entière en poésie : De ce qui me tient à cœur/ Et oriente ma vie/J’ai retenu le meilleur/ Et l’ai mis en poésie. On suit le poète sur le chemin de la nature, accompagné de ses animaux tutélaires, le lézard, l’écureuil, le rossignol, en proie aux questions  lancinantes : pour qui, pourquoi vivons-nous ? Quel est le sens de notre bref passage sur terre ? C’est dans la nature que le poète retrouve la source de sa parole. « Un poème au matin/ Éclaire une journée » écrivait le philosophe Gaston Bachelard. Clavien s’inspire de cet adage pour creuser la nature et les mots. Chercher l’image juste, le rythme qui colle à l’image, la musique qui donne élan et beauté à la phrase. On retrouve chez lui l’obsession de Livre de Mallarmé : le poète a pour mission de dire la nature et les hommes dans un Livre qui les cernerait au plus près, les contiendrait entièrement. Et ce désir du Livre est d’autant plus profond, chez Clavien, que la mort fait planer son ombre menaçante. « La mort on l’apprivoise/ Mais comment dire adieu/ À de telles merveilles/ Sans que le cœur se serre… »

    Il y a urgence, une fois encore, à dire le monde comme il va, ou ne va pas.

    images-1.jpegCette vie en poésie, Clavien nous le rappelle à chaque instant, c’est notre vie. Comme le monde plein de violence et d’injustices qui nous entoure est notre monde. Non pas un monde tombé du ciel ou venu de nulle part. Mais le monde que les hommes ont façonné à leur image. Un monde souvent déchiré par les guerres ou pollué par les bruits de moteurs (Clavien dédie même un poème aux tristes F/A 18  de l’armée suisse !). Oui, cette terre est celle des hommes. Nous n’en avons pas d’autre. Comme les mots du poète qui la chante sont les nôtres, assurément. Des mots simples et forts, directs et justes. Des mots remplis de sève et d’émotion qui traquent la vie dans ce qu’elle a de plus intense et de plus mystérieux.

    Notre vie est un magnifique chant d’amour, mais aussi un chant d’adieu, qui restera dans nos mémoires.

    * Germain Clavien, Notre vie, poèmes, Poche Suisse, L’Âge d’Homme, 2010.