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dimitrijevic

  • Portrait de l'artiste en lecteur du monde (4) : aller à la rencontre

    DownloadedFile-1.jpegLire, c’est aller à la rencontre de l’autre. Peu importent sa voix ou son visage, que la plupart du temps nous ne connaissons pas. Les mots que nous lisons dessinent un corps, un regard singulier, une présence qui s’imposent à nous au fil des pages. Et la plupart du temps, c’est suffisant…

    Mais JLK est un homme curieux. Il dévore les livres, toujours en quête de nouvelles voix, passe son temps à s’expliquer avec ces fantômes vivants que sont les écrivains. Souvent, il veut aller plus loin. C’est ainsi qu’il part à la rencontre du cinéaste Alain Cavalier ou du poète italien Guido Ceronetti. Et la rencontre, à chaque fois, est un miracle. Correspondance à nouveau. Porosité des êtres qui se comprennent sans se vampiriser. JLK n’a pas son pareil pour nous faire partager, par l’écriture, ces moments de grâce.

    Dans L’Ambassade du papillon et dans Passions partagées, il y avait les figures puissantes (et parfois envahissantes) de Maître Jacques (Chessex) et de
    Dimitri (l’éditeur Vladimir Dimitrijevic, ici, à droite, en 2011, à la Foire du Livre de Bruxelles), deux personnages centraux de la vie littéraire de Suisse romande. L’Échappée libre
    s’ouvre sur les retrouvailles avec Dimitri, l’ami perdu pendant quinze ans. JMO et DImitri.jpgRetrouvailles à la fois émotionnelles et difficiles, car le temps n’efface pas les blessures. Pourtant, JLK ne ferme jamais la porte aux amis d’autrefois et le pardon trouve toujours grâce à ses yeux.

    Brèves retrouvailles, puisque Dimitri se tuera dans un accident de voiture en 2011 avant que JLK ait pu vraiment s’expliquer avec lui. Mais pouvait-on s’expliquer avec le vif-argent Dimitri, dont la mort fut aussi dramatique que sa vie fut aventureuse ?

    DownloadedFile.jpegD’autres morts jalonnent L’Échappée libre : Maurice Chappaz, Jean Vuilleumier, Gaston Cherpillod, Georges Haldas. Un âge d’or de la littérature romande. À ce propos, les hommages que JLK rend à ces grands écrivains (trop vite oubliés) sont remarquables par leur érudition, leur sensibilité et leur intelligence. Et toujours cette empathie pour l’homme et l’œuvre, à ses yeux indissociables. 

     

    * Jean-Louis Kuffer, L'Échappée libre, l'Âge d'Homme, 2014.

  • Les livres de l'année (6) : Jean-Louis Kuffer

    DownloadedFile-1.jpegCette brève plongée dans L’Échappée libre serait très incomplète si je ne mentionnais l’insatiable curiosité de l’auteur, vampire avéré, pour les nouvelles voix de la littérature — et en particulier la littérature romande.

    Même s’il n’est pas le premier à découvrir le talent de Quentin Mouron, il est tout de suite impressionné par cette écriture qui frappe au cœur et aux tripes dans son premier roman Au point d’effusion des égouts*. Oui, c’est un écrivain, dont on peut attendre beaucoup. De même, il vantera bien vite les mérites d’un faux polar, très bien construit, qui connaîtra un certain succès : La Vérité sur l’affaire Harry Québert**, d’un jeune Genevois de 27 ans, Joël Dicker. JLK aime allumer les mèches de bombes à retardement qui parfois font beaucoup de bruit…

    On peut citer encore d’autres auteurs que JLK décrypte et célèbre à sa manière : Jérôme Meizoz, Douna Loup ou encore Max Lobe, extraordinaire conteur des sagas africaines.DownloadedFile-3.jpeg Toujours à l’affût, JLK est le contraire des éteignoirs qui règnent dans la presse romande, prompts à étouffer toute étincelle, tout début d’enthousiasme, et qui sévissent dans Le Temps ou dans les radios publiques. Même s’il se fait traiter de « fainéant » par un journaliste de L’Hebdo (comment peut-on écrire une ânerie pareille ?), JLK demeure la mémoire vivante de la littérature de ce pays, une mémoire sélective, certes, partiale, toujours guidée par sa passion des nouvelles voix, mais une mémoire singulière, jalouse de son indépendante.

    Si cette belle Échappée libre s’ouvrait sur l’évocation du père et de la mère de l’auteur (sans oublier la marraine de Lucerne, berceau de la mémoire) et les retrouvailles émouvantes avec le barbare Dimitri, le livre s’achève sur la venue des anges. Une cohorte d’anges. images-3.jpegCes messagers de bonnes ou de mauvaises nouvelles, incarnés par les écrivains qui comptent, aux yeux de JLK, comme le singulier et intense Philippe Rahmy, « l’ange de verre », dont le dernier livre, Béton armé, qui promène le lecteur dans la ville fascinante de Shanghai, est une grâce.

    Dans ce désir des anges, qui marque de son empreinte la fin de cette lecture du monde, on croise bien sûr Wim Wenders et Peter Falk. On sent l’auteur préoccupé par ce dernier message qu’apporte l’ange pendant son sommeil. Message toujours à déchiffrer. Non pas parce qu’il est crypté ou réservé aux initiés d’une secte, mais parce que nous ne savons pas le lire.

    Lire le monde, dans ses énigmes et sa splendeur, pour le comprendre et le faire partager, telle est l’ambition de JLK. Cela veut dire aussi : trouver sa place et son bonheur non seulement dans les livres (on est très loin, ici, d’une quelconque Tour d’Ivoire), mais dans le monde réel, les temps qui courent, l’amour de sa bonne amie et de ses filles.

    Et les livres, quelquefois, nous aident à trouver notre place…

    L’Échappée libre commence le premier jour de l’an 2008 ; et il s’achève le 30 juin 2013. Évocation des morts au commencement du livre et adresse aux vivants à la fin sous la forme d’une prière à « l’enfant qui  vient ». Cet enfant a le visage malicieux de Declan, fils d’Andonia Dimitrijevic et petit-fils de Vladimir. C’est un enfant porteur de joie — l’ange qu’annonçait la fin du livre. « Tu vas nous apprendre beaucoup, l’enfant, sans t’en douter, Ta joie a été la nôtre, dès ton premier sourire, et mourir sera plus facile de te savoir en vie. »

    Toujours, chez JLK, ce désir de transmettre le feu sacré des livres !

    DownloadedFile-4.jpegChaque livre est une Odyssée qui raconte les déboires et les mille détours d’un homme exilé de chez lui et en quête d’une patrie — qui est la langue. L’Échappée libre explore le monde et le déchiffre comme si c’était un livre. L’auteur part de la Désirade pour mieux y revenir, comme Ulysse, après tant de pérégrinations, retrouve Ithaque.

    Il y a du pèlerin chez JLK, chercheur de sens comme on dit chercheur d’or.Une quête jamais achevée. Un Graal à trouver dans les livres, mais aussi dans le monde dont la beauté nous brûle les yeux à chaque instant. 

    * Quentin Mouron, Au point d'effusion des égouts, Olivier Morattel éditeur, 2012.

    ** Joël Dicker, La Vérité sur l'affaire Harry Québert, de Fallois-l'Âge d'Homme, 2012.

  • À propos de L'Ami barbare, par Jean-Louis Kuffer

    DownloadedFile.jpegD’un souffle épique et d’un humour rares, le nouveau roman de Jean-Michel Olivier évoque, dans un flamboyant mentir-vrai, la figure de Vladimir Dimitrijevic, grand éditeur serbe mort tragiquement en juin 2011.*

    La légende est une trace de mémoire, orale ou écrite, qui a toujours permis à l’homme d’exorciser la mort et de célébrer ses dieux, ses saints ou ses héros.

    VladimirDimitrjevic (1934-2011), Dimitri sous son surnom de légende vivante, ne fut ni un saint ni un héros ! Pourtant la vie du fondateur des éditions L’Âge d’Homme relève  du roman picaresque à la Cendrars que  Jean-Michel Olivier, son ami, en a tiré avec une verve sans pareille. Des ingrédients que lui a servis la vie, il a fait un plat de fiction pimenté à souhait.  Dimitri, qui ne tirait jamais le couteau nine  fréquentait les bordels à notre connaissance, se serait régalé  en se retrouvant dans la peau d’un fou de foot et de femmes qui délivre un âne aux pattes prises dans la glace, casse la figure de ceux qui le rabaissent et fustige ceux qui « freinent à la montée » en terre littéraire plombée par le calvinisme. Dans la foulée, aux foutriquets médiatiques  qui prétendent que rien ne se passe dans nos lettres depuis la disparition de Chessex,  l’auteur de L’Amour nègre prouve le contraire en célébrant tout ce qui vit et vibre, par le livre, ici autant que partout !    

    Brassant la vie à pleines pages, fourmillant de détails tragi-comiques, L’Ami barbare déploie un récit à plusieurs voix  autour d’un cercueil ouvert. En celui-ci repose Roman Dragomir, alias « le dragon », mort dans un terrible accident de la route mais parlant comme il a vécu, tour à tour chaleureux et véhément. Tendre au vu de sa fille gothique ou de ses fils de diverses mères. Vache envers telle dame patronnesse de la paroisse littéraire romande ou tel vieil ennemi juré au prénom de Bertil. Avec son soliloque alternent les dépositions de  sept témoins majeurs, qui évoqueront les grandes étapes de sa vie passionnée.

    Voici donc Milan Dragomir, frère cadet (fictif) du défunt, brossant le tableau hyper-vivant d’une enfance en Macédoine puis à Belgrade, marqué par la passion du football et des livres, mais aussi par la guerre, le père emprisonné (d’abord par les nazis, ensuite par les communistes) et l’exil que son frère continue de lui reprocher comme une trahison. Dimitri était fils unique, mais l’invention des frères Dragomir est une belle idée romanesque, autant que la figure récurrente d’un âne à valeur de symbole balkanique et biblique à la fois.

    La suite des récits alternés entremêle faits avérés et pures affabulations. Une libraire juive de Trieste, Johanna Holzmann, évoque le premier séjour de Roman à Trieste, en 1954, sous le signe d’une passion partagée. C’est un personnage rappelant d’autres romans de Jean-Michel Olivier, mais l’exilé en imper à la Simenon a bel et bien passé par le Jardin des muets. De même Dimitri fut-il, en vérité, footballeur à Granges, comme le raconte l’ouvrier d’horlogerie et gardien de but Georges Halter, surnommé Jo. Les Lausannois se rappellent le libraire yougoslave mythique de chez Payot, au début des années 60, et Christophe Morel, en lequel on identifie le fidèle Claude Frochaux, est le mieux placé pour ressusciter  ce haut-lieu de la bohème lausannoise que fut le bar à café Le Barbare aux escaliers du Marché. Quant à la fondation des éditions La Maison, dont Roman Dragomir fera le fer de lance des littérature slaves plus ou moins en dissidence, elle est narrée au galop verbal par le même Morel, compagnon de route athée et libertaire aussi fidèle à Roman qu’opposé à ses idées de croyant « réac » lançant du « vive leroi ! » sur les barricades de Mai 68… 

    Avec Roman Dragomir, l’âme slave rayonnera de Lausanne à Paris et Moscou, et c’est une dame russe voilée qui poursuit, devant le cercueil, le récit des tribulations de l‘exilé bientôt confronté à l’implosion de son pays. Révolté par la propagande occidentale diabolisant sa patrie, Roman Dragomir défendra celle-ci avant de découvrir, sur le terrain, l’horreur de la réalité. Sur quoi l’écrivain Pierre Michel, double transparent de l’auteur, décrit l’opprobre subi par son ami en butte à la curée des « justes ».

    Un magnifique épisode, évoqué par la dame russe, retrace la visite d’une inénarrable cathédrale de livres, dans une usine désaffectée, en France voisine où l’éditeur génial a stocké des milliers de livres. Mausolée symbolique, ce lieu dégage une sorte d’aura légendaire. Or ce dépôt pharaonique existe bel etbien ! Et c’est de la même aura que Jean-Michel Olivier nimbe le personnage du « dragon » Roman, que les amis de Dimitri se rappellent aussi bien.

    À un moment donné, Christophe Morel avoue n’avoir parlé que des qualités de Roman Dragomir, alors qu’il faudrait plusieurs livres, selon lui, pour détailler ses défauts. Pour autant, L’Ami barbare n’a rien d’une apologiemyope : c’est un roman de passion et d’amitié, une stèle à la mémoire d’ungrand passeur dont les derniers mots ont valeur d’envoi : « La vie seule continue dans les livres. Priez pour le pauvre Roman ! »

     Jean-Michel Olivier. L’Ami barbare. Editions de Fallois/ L’Âge d’Homme, 292p. 

    * Article paru dans L'Hebdo du 21 août 2014.