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  • L'écriture mosaïque (Jean-Louis Kuffer)

    images.jpegJournaliste, romancier, poète, essayiste, blogueur infatigable, mais aussi peintre et animateur de revue littéraire (Le Passe-Muraille, créé en 1992), Jean-Louis Kuffer a plusieurs cordes à son arc. Et une brassée de flèches dans son carquois. Également à l'aise dans le roman et la chronique littéraire (quiconque voudra connaître la vie littéraire en Suisse romande depuis quarante ans n'aura qu'à se plonger dans ses Carnets), il explore, dans chacun de ses livres, une nouvelle forme d'écriture.

    Aujourd'hui, avec La Fée valse*, son dernier livre, Kuffer entraîne le lecteur dans un vertige de personnages, de scènes fantasmées, de situations drolatiques ou tragiques, cruelles ou surprenantes. Ce sont des textes courts (une page au maximum), vifs, colorés. Chacun pourrait être le germe ou le noyau d'un roman. Mais Kuffer les garde à l'état de pépites. D'éclats. D'éclairs de poésie.  Si l'écriture — selon le mot de Cingria — est « l'art de l'oiseleur », Kuffer possède celui de la mosaïque. Chaque texte est une pierre savamment peinte (une miniature) qui trouve sa place et son sens dans l'ensemble du livre. 

    Unknown.jpegLe plus étrange, dans ce livre foisonnant et singulier, c'est que cette mosaïque humaine bouge et danse sans cesse. À peine a-t-on fixé un personnage qu'un autre le remplace ou entre dans la danse. Ici c'est une valse à trois temps au rythme tantôt rapide, voire effréné, tantôt mélancolique (« valse mélancolique et langoureux vertige » disait Baudelaire). Le lecteur, à chaque page, est pris dans ce vertige et invité, sans cesse, à changer de cavalier. Ce qui fait tout le charme et le force de cette Fée Valse qui fait danser les mots et valser les personnages de toutes les époques, de tous les pays, de toutes les langues. 

    * Jean-Louis Kuffer, La Fée valse, éditions de l'Aire, 2017.

  • Portrait de l'artiste en lecteur du monde (5) : les secousses du voyage

    DownloadedFile-1.jpegSans être un bourlingueur sans feu ni lieu (il est trop attaché à son nid d’aigle de la Désirade et à sa bonne amie), JLK parcourt le monde un livre à la main. C’est pour porter la bonne parole littéraire : conférences sur Maître Jacques en Grèce ou en Slovaquie, congrès sur la francophonie au Congo, voyage en Italie pour rencontrer Anne-Marie Jaton, prof de littérature à l’Université de Pise, escapade en Tunisie avec le compère Rafik ben Salah, pour juger, de visu, des progrès du prétendu « Printemps arabe ». JLK voyage pour s'échapper, mais aussi pour aller à la rencontre des autres…

    Chaque voyage provoque des secousses et des bouleversements, et JLK n’en revient pas indemne.

    En allant au Portugal, par exemple, JLK se plonge dans un roman suisse à succès, Train de nuit pour Lisbonne de Pascal Mercier, qui lui ouvre littéralement les portes de la ville. images.jpegSitôt arrivé, il y retrouve le fantôme de Pessoa et les jardins embaumés d’acacias chers à Antonio Tabucchi. La vie et la littérature ne font qu’une. Les frontières sont poreuses entre le rêve et la réalité.

    Au retour, « le cœur léger, mais la carcasse un peu pesante », son escapade lusitanienne lui aura redonné le goût (et la force) de se mettre à sa table de travail. Car JLK travaille comme un nègre. Carnets, chroniques, « fusées » ou « épiphanies » à la manière de Joyce. Mais aussi le roman, toujours en chantier, le grand roman de la mémoire et de l’enfance qui hante l’auteur depuis toujours.

    « La mémoire de l’enfance est une étrange machine, qui diffuse si longtemps et si profondément, tant d’années après et comme en crescendo, à partir de faits bien minimes, tant d’images et de sentiments se constituant en légendes et se parant de quelle aura poétique. Moi qui regimbais, qui n’aimais guère ces séjours chez ces vieilles gens austères de Lucerne, qui m’ennuyais si terriblement lorsque je me retrouvais seul dans ce pays ont je refusais d’apprendre la langue affreuse, c’est bien là-bas que j’ai puisé la matière première d’une espèce de géopoétique qui m’attache en profondeur à cette Suisse dont par tant d’autres aspects je me sens étranger, voire hostile. »

    DownloadedFile.jpegCe grand livre de la mémoire et des premières émotions, JLK le remet plusieurs fois sur le métier. Il s’appelle L’Enfant prodigue**, et le lecteur participe à chaque phase de son écriture, joyeuse ou tourmentée, exaltée ou empreinte de découragement. JLK nous raconte également les péripéties de la publication de ce récit aux couleurs proustiennes, en un temps très peu proustien, assurément, obsédé de vitesse et de rentabilité.

    À ce propos, JLK rend compte avec justesse des livres, souvent remarquables, qui, pour une raison obscure, passent à côté de leur époque. Claude Delarue et son Bel obèse, par exemple. Ou les romand d’Alain Gerber. Ou même la poésie cristalline d’un Maurice Chappaz. Sans parler d’un Vuilleumier doux-amer. Ou d’un Charles-Albert Cingria, trop peu lu, qui reste pour JLK une figure tutélaire : le patron.

    * Jean-Louis Kuffer, L'Échappée libre, lectures du monde (2008-2013), l'Âge d'Homme, 2014.

    ** Jean-Louis Kuffer, L'Enfant prodigue, éditions d'autre part, 2011.

  • Portrait de l'artiste en lecteur du monde (4) : aller à la rencontre

    DownloadedFile-1.jpegLire, c’est aller à la rencontre de l’autre. Peu importent sa voix ou son visage, que la plupart du temps nous ne connaissons pas. Les mots que nous lisons dessinent un corps, un regard singulier, une présence qui s’imposent à nous au fil des pages. Et la plupart du temps, c’est suffisant…

    Mais JLK est un homme curieux. Il dévore les livres, toujours en quête de nouvelles voix, passe son temps à s’expliquer avec ces fantômes vivants que sont les écrivains. Souvent, il veut aller plus loin. C’est ainsi qu’il part à la rencontre du cinéaste Alain Cavalier ou du poète italien Guido Ceronetti. Et la rencontre, à chaque fois, est un miracle. Correspondance à nouveau. Porosité des êtres qui se comprennent sans se vampiriser. JLK n’a pas son pareil pour nous faire partager, par l’écriture, ces moments de grâce.

    Dans L’Ambassade du papillon et dans Passions partagées, il y avait les figures puissantes (et parfois envahissantes) de Maître Jacques (Chessex) et de
    Dimitri (l’éditeur Vladimir Dimitrijevic, ici, à droite, en 2011, à la Foire du Livre de Bruxelles), deux personnages centraux de la vie littéraire de Suisse romande. L’Échappée libre
    s’ouvre sur les retrouvailles avec Dimitri, l’ami perdu pendant quinze ans. JMO et DImitri.jpgRetrouvailles à la fois émotionnelles et difficiles, car le temps n’efface pas les blessures. Pourtant, JLK ne ferme jamais la porte aux amis d’autrefois et le pardon trouve toujours grâce à ses yeux.

    Brèves retrouvailles, puisque Dimitri se tuera dans un accident de voiture en 2011 avant que JLK ait pu vraiment s’expliquer avec lui. Mais pouvait-on s’expliquer avec le vif-argent Dimitri, dont la mort fut aussi dramatique que sa vie fut aventureuse ?

    DownloadedFile.jpegD’autres morts jalonnent L’Échappée libre : Maurice Chappaz, Jean Vuilleumier, Gaston Cherpillod, Georges Haldas. Un âge d’or de la littérature romande. À ce propos, les hommages que JLK rend à ces grands écrivains (trop vite oubliés) sont remarquables par leur érudition, leur sensibilité et leur intelligence. Et toujours cette empathie pour l’homme et l’œuvre, à ses yeux indissociables. 

     

    * Jean-Louis Kuffer, L'Échappée libre, l'Âge d'Homme, 2014.