Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 3

  • Parfum de fumée (5)

     4U00060.JPGMon père était un homme détaché. Sans famille, sans ami. Sans milieu.

    Je ne connais ni son visage, ni son nom.

    Ce que je sais de lui, c’est sa légende. Ce que ma mère, pendant les quelques jours qu’elle a partagés avec lui, a pu glaner. Et me transmettre. Au fil des interrogatoires auxquels je l’ai soumise.

    Sa passion des voitures et de la solitude. Les cigarettes qu’il fumait en silence. Une vie errante de palace en hôtels. Les notes qu’il écrivait dans son carnet noir à spirales. Et tout le reste, que je ne connais pas.

    Si le hasard, un jour, me mettait face à lui, je ne le reconnaîtrais pas. Car je ne l’ai jamais connu. Lui non plus, d’ailleurs. Pourtant je cherche son visage. Je flaire dans la chambre le parfum de sa cigarette. Je dévore comme lui les magazines sportifs. Comme lui, je parle peu. Pourtant les mots se pressent dans ma gorge.


    © Photographie : Bernard Faucin.

     

  • Parfum de fumèe (4)

    4U00060.JPG            Toute origine est partagée, déchirante. À jamais mystérieuse.

    Mon histoire est banale.

    C’est un nœud de silence et de peur.

    Comme la fumée des cigarettes, mon père s’est évaporé. Ma mère l’a suivi quelques années plus tard. Je veux dire qu’elle aussi est partie en effaçant ses traces. Elle m’a laissé une plume et un carnet de notes qui n’étaient pas à elle. Elle n’a pas prononcé un mot. Ce jour-là j’ai compris qu’il fallait commencer mon enquête.

    Une chambre n’est rien : que le siège d’une absence qu’elle rend palpable. Absence d’une personne. Et de toutes les autres. Mortes ou vivantes. Absence qui résonne en elle comme la mer dans un coquillage.

     C’est bien à tort que l’on croit habiter certains lieux, alors que ce sont eux, souvent, qui vous habitent.


    © Phographie : Bernard Faucon.

  • Parfum de fumée (3)

     4U00060.JPGChaque année je reviens sur mes traces.

     Ce n’est pas un pèlerinage. Je ne recherche l’aide ou la protection d’aucun dieu. Mais c’est une enquête policière. Tous les enfants sont détectives. Alors j’interroge des témoins. Je relève des indices. À ma manière je mène mes investigations.

     Je loue toujours la même chambre. Au cinquième étage. Avec la salle de bains en marbre blanc, le lit matrimonial et le petit salon en velours bleu. Trois fenêtres. Un balcon qui offre une vue impressionnante sur la ville et le lac.

     C’est l’été. On entend les sirènes des bateaux qui rentrent au port. Les quais ressemblent à un grand parc d’attractions. Les enfants tournent sur les manèges ou poussent des cris d’effroi sur la Grande Roue. On trouve de tout dans les échoppes : des friandises et des bijoux artisanaux, de la nourriture exotique, des calligraphes chinois et des dealers. Par petits groupes, des touristes étrangers font cercle autour des joueurs de bonneteau.

     Mon histoire commence dans cette chambre.

     Après la nuit d’amour, ils ne se sont jamais revus.

    Comme moi aujourd’hui, ma mère est revenue au Richemond. Étrangère, toujours. Une île perdue au milieu de la mer. Elle a bu un café sur la terrasse. Elle a posé quelques questions, mené discrètement sa propre enquête. Mais l’homme qu’elle recherchait était parti.

                        Elle n’a pas cherché à savoir où. Ni pourquoi. Ni avec qui. Par superstition, elle a tout de même allumé une cigarette pensant peut-être, comme Aladin, faire apparaître un fantôme de sa fumée magique.

    © Photographie : Bernard Faucon.