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Ecrivain de la comédie romande - Page 124

  • Tous au Salon !

    images.jpegVenez me retrouver au Salon du Livre:

    Mercredi 1er  mai, 13h-13h45, projet Parrains-Poulains : conversation avec Isabelle Æschlimann, Place Suisse

    Jeudi 2 mai, 11h15-12h : L'Afrique telle qu'en Suisse, SALON AFRICAIN DU LIVRE, DE LA PRESSE ET DE LA CULTURE : Jean-Michel Olivier - Max Lobe - Nétonon Noël Ndjékéry

    Vendredi 3 mai, 18h : Présentation du livre d'hommages à Yvette Z'Graggen (avec Pierre Béguin, Gilberte Favre et d'autres), sur le stand des éditions de l'Aire.

    Mercredi-jeudi-vendredi : dédicaces d'Après l'Orgie et L'Amour nègre, à La Place suisse.

  • Première rencontre

    par Isabelle Æschlimann

    images-3.jpegLa première fois que je l’ai vu, j’étais dans le rayon des nouveautés à l’entrée d’une librairie. Il y avait foule. Placé sur le rayon du bas, j’essayais de me faire remarquer aux yeux des passants en bombant ma couverture au joli papier structuré pour donner envie aux curieux de me saisir et de lire mon dos. Lui occupait la meilleure place à hauteur d’yeux. Plus grand que nous autres, il en imposait malgré lui, davantage servi par sa couverture immaculée et son titre accrocheur, dont le i rouge attirait immanquablement l’attention. Il arborait fièrement son bandeau «prix interallié 2010» comme une miss Suisse qui reviendrait dans la cour de son ancienne école.
    La nouvelle arrivée dans la scène littéraire romande et le prix interallié à la renommée internationale allaient faire connaissance. J’ai tout à apprendre de lui. Mais qu’allais-je bien pouvoir lui apporter dans le cadre de cette période d’échanges organisée par le Salon du Livre?
    Après avoir dévoré ses livres, je brûle de connaître leur auteur. Attablés dans une brasserie, nous parlons à bâtons rompus. Son visage est sérieux. La littérature est une histoire sérieuse. Mais soudain un trait d’humour fuse et son visage s’illumine, ses joues arrondies par son rire lui donnent un airchaleureux.
    Je me sens intimidée. Un peu tendue. Me voilà en face de L’Enfant secret qui a su se mettre dans la peau d’un psychanalyste, d’une jeune femme asiatique, d’un africain. Cela prouve une capacité d’empathie, d’observation hors normes. Il ne se contente pas de vous écouter, il sonde votre âme, recherche vos failles, car pour être intéressant un personnage doit avoir des fêlures.
    Nous échangeons nos sentiments sur nos livres respectifs. J’aimerais tout savoir. Son processus d’écriture, sa démarche pour commencer une histoire. Je le bombarde de questions, il me dit qu’il écrit pratiquement tous les jours. Il me raconte son expérience de critique de théâtre, lorsqu’il écrivait ses chroniques à chaud au milieu de la nuit afin de rendre son article avant la clôture du journal.
    Il s’intéresse lui aussi à ma façon de travailler. On voit les rouages tourner dans sa tête. Va-t-il utiliser une de mes réflexions ou un trait de mon caractère pour l’un de ses personnages? Avec les écrivains on ne sait jamais...…Il veut comprendre nos différences, mes références. Il a une voix agréable, il parle bien. Je sens qu’il a l’habitude d’évoquer sa passion.

    Son ton est posé. Il a du sang italien et pourtant il n’a rien de cette exubérance du sud. Ses mains ne virevoltent pas, il n’y a pas d’éclats, il est zen. Plus Suisse qu’Italien de ce côté-là. Soudain il sourit. Ses fossettes lui donnent un air généreux. «Bon, mangeons!» Voilà l’Italien. Il se frotte les mains, saisit la carte. Il me propose d’échanger des emails à un rythme rapproché. Je devine qu’il aimerait tisser un lien entre nous, dans le même but: apprendre l’un de l’autre. Je suis surprise par son investissement. Je ne pensais pas que cette expérience allait être aussi riche.
    Je m’interroge sur la construction de ses livres, chaque fois différente, jusqu’à innover complètement avec la conversation d’Après l’Orgie. Il me dit que chaque livre impose par lui-même sa construction. Que c’est le livre qui dicte le type de narration.
    Je lui raconte que je redoute encore les conséquences des mots sur mon entourage. Que je ne me sens pas encore libre d’écrire sans craindre de perturber mes proches et peut-être même de me révéler à moi-même. Il me dit «Il faut écrire, sortir tout ça de toi et ensuite tu décideras si cela a lieu d’ être dans ton livre». Il ouvre grand les fenêtres de mon atelier, il pousse les meubles au bord et me fait une place pour danser. Danser avec moi-même, sans entraves, comme Nell dans la forêt. Il me raconte le plaisir qu’il a eu à être dans la peau d’Adam, le jeune africain de L’Amour Nègre qui lui a valu le prix interallié. Ses
    personnages sont si opposés à lui, je suis impressionnée par sa capacité à se mettre dans leur peau. « Il faut croire qu’ il vivait en moi depuis longtemps! Au fond, il suffit de donner la parole aux fantômes qu’on trimbale en nous... »
    Le chemin sera encore long, mais Jean-Michel a posé la première pierre. Ces trois mois d’échanges ne me laisseront pas indemnes. A mon grand bonheur. Merci Jean-Michel.
    Isabelle Aeschlimann

  • Norah et Nabila

    images.jpegCe matin, ma fille Norah (10 ans) m’embrasse et me demande : « Crois-tu, papa, que la prison empêche de peopoliser quelqu’un ? » Il est très tôt. Je ne suis pas bien réveillé. Je ne pige rien à ce galimatias. Indulgente, ma fille répète sa question, avec l’indispensable explication pour les plus de dix ans : « Allô, non, mais allô, quoi ! Je parle de Nabila, papa ! J’ai vu qu’elle avait fait de la prison. Et je te demandais si la prison peut empêcher quelqu’un d’être un people… »

    J’étais tout à fait réveillé à présent, mais perplexe. Bien sûr, j’ai fait semblant de savoir qui était Nabila, de connaître sa taille et ses mensurations. Mais je ne m’étais jamais posé la question de ma fille. « Un people peut-il être un ex-délinquant ? » Ma fille est brusquement inquiète : « Et toi, papa, est-ce que tu as fait de la prison ? » Je botte en touche : « Euh, pas encore ! » Elle ne lâche pas le morceau : « N’as-tu jamais volé, menti, trompé tes parents ou tes amis ? » J’essaie de retourner la situation : « Pourquoi te poses-tu ces questions, ma chérie ? Ce n’est pas de ton âge. » Elle reste imperturbable : « Je pense que quelqu’un qui a fait de la prison peut très bien devenir un people. C’est une façon, pour lui, de montrer qu’il vaut mieux que ce que les autres pensent de lui. Ça le rend sympathique. » Je m’étrangle : « La prison rend quelqu’un sympathique ? » Elle me fait la leçon : « Oui, papa. La TV aime les gens louches. Ils sont bien plus intéressants que les gens ordinaires. Ils ont beaucoup d’histoires à raconter. » Enfin, brusquement impatiente : « L’école va commencer. Je ne veux pas arriver en retard. Nous reprendrons cette discussion une autre fois. »

    J’étais éberlué. En dix minutes, ma fille m’a expliqué le fonctionnement de la société de spectacle que j’ai mis quarante ans à comprendre ! Elle avait tout compris : la fabrication de l’image, qui devient icône, puis idole, pour des jeunes en manque de modèle. Comment une fille ordinaire, à l’enfance difficile, mais soigneusement refaite et couverte de tatouages, peut accéder en quelques semaines au top de la notoriété publique, détrônant Obama, Angela Merkel et le pâle Hollande.

    Nous vivons l’ère du vide, symbolisée par la télévision, qui fait et défait les destins. Pas de salut hors de l’image, dit-on. Pour exister, il faut crever l’écran en permanence. C’est la loi du marché. Et Nabila, jeune paumée des banlieues genevoises, le fait très bien, en usant des armes qu’elle s’est douloureusement forgées. Quitte à passer par la prison pour accéder au feu des projecteurs. La TV, dans son cas, remplace vingt années de psychanalyse. Avec, en prime, l’impression de sauver sa vie.

    Le soir, j’ai compris la question de ma fille.

    Non, la prison n’empêche pas de peopoliser quelqu’un. Au contraire, c’est excellent pour le spectacle. La TV aime les gens cabossés. Le malheur est souvent spectaculaire. Il donne au vide une profondeur humaine.

    Qui d’entre nous pourrait prétendre qu’il est meilleur que cette fille-là ?