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Ecrivain de la comédie romande - Page 125

  • « C'est en lisant qu'on devient écrivain »*

    images-5.jpegÀ chaque époque ses héros, ses figures tutélaires, ses petits dieux.Les miens auront toujours été des écrivains, des musiciens ou des sportifs. Ce qui est la même chose. Recherche du mot ou du geste parfait. Coïncidence du corps et de l’esprit. Harmonie musicale et musculaire. Engagement total dans la visée d’une
    forme ou d’un mouvement libre. Course effrénée vers la ligne perdue.
    L’horizon impossible: le poème, le tableau, la chanson, le roman.
    On ne choisit pas son époque, ni l’endroit de la terre où l’on nous met au monde. Pour moi, c’est la Suisse des années cinquante. Des parents qui ont survécu à la guerre. Une mère qui traverse les frontières et les langues. Un père qui porte encore en lui le deuil de sa petite soeur. Une famille dispersée en Suisse et en Italie. Un dictionnaire qui traîne, chez mes grands-parents, heureusement rempli d’illustrations, que j’entreprends d’apprendre par coeur. Mes premiers héros, dans la vie, sont des mots et des personnages dessinés.
    Puis les années soixante, avec leurs avancées technologiques, une vraie révolution. Mon père apporte à la maison le premier tourne-disque, puis la première radio, les postes de télévision qui désormais se suivent, tous les mois, et trônent au milieu du salon, nouveau dieu domestique. La vie qui s’accélère soudain et se dédouble. Il y a le monde intime et le monde extérieur, poreux et à jamais inséparables. Une brèche s’ouvre dans la conscience, que j’essaierai, un jour, de colmater avec des mots. Mes héros : Jim la Jungle,
    DownloadedFile.jpegMandrake, Bob Morane, Billy Bones de L’Île au trésor, Edmont Dantès (alias le Comte de Monte-Christo). Mais aussi Bob Dylan, Boris Vian, Catherine Sauvage, Leonard Cohen. Des héros de papier et d’image qui donnent le goût du large: écrire et larguer les amarres. Voyager dans l’espace et le temps. S’inventer d’autres vies parce qu’une seule ne suffit pas.
    Ma devise est celle que le terrible Féofar-Khan lance à Michel Strogoff: «Regarde de tous tes yeux!Regarde!»
    Elle n’a pas varié depuis.
    Dans les années septante, la boussole s’affole. Frénésie de musique et de lecture. Pink Floyd et Lautréamont. Zola, Kafka, Zweig, Ramuz, Roger Martin du Gard. Les Beatles et Robert Crumb. Baudelaire et Léo Ferré. La musique et les mots se bousculent. J’aimerais dessiner, mais je ne saurai jamais. Je tourne autour des livres sans oser m’y perdre totalement. Je les ausculte. Je les interroge. Je découvre le silence et la solitude fertile. Les secrets essentiels liés à la littérature qui doit briser nos chaînes et dénoncer les faux-semblants.

    Écrire, c’est déchiffrer le piège où la vie nous entraîne. Les Chants de Maldoror me montreront la voie. C’est à peu près à cette époque, à Paris, que je rencontre Aragon et le poète André Dalmas qui publieront mes premiers textes.
    DownloadedFile-1.jpegDepuis Lautréamont, je sais que tout commence par la lecture. Les premiers mots qu’on écrit, on les vole aux autres. Toute écriture naît du rapt d’une lecture. Pour s’envoler (quitter les murs de sa prison), il faut voler les mots des autres. C’est la leçon que je retiens de Maldoror, le vampire qui se nourrit du sang des autres pour écrire son propre texte. Pour parodier Raymond Queneau (« c’est en lisant qu’on devient liseron »), je dirais volontiers que c’est en lisant qu’on devient écrivain.
    À partir des années quatre-vingts, je ne fais plus qu’écrire et lire. C’est devenu - sans qu’il y ait décision réfléchie de ma part - une hantise et une passion. Ou mieux, pour reprendre la belle expression de Philippe Sollers, une passion fixe. «Je dis passion fixe, puisque j’ai eu beau changer, bouger, me contredire, avancer, reculer, progresser, évoluer, déraper, régresser, grossir, maigrir, vieillir, rajeunir, m’arrêter, repartir, je n’ai jamais suivi, en somme, que cette fixité passionnée. J’ai envie de dire que c’est elle qui me vit, me meurt, se sert de moi, me façonne, m’abandonne, me reprend, me roule. Je l’oublie, je me souviens d’elle, j’ai confiance en elle, elle se fraye un chemin à travers moi. Je suis moi
    quand elle est moi. Elle m’enveloppe, me quitte, me conseille, s’abstient, s’absente, me rejoint. Je suis un poisson dans son eau, un prénom dans son nom multiple. Elle m’a laissé naître, elle saura comment me faire mourir.»

    Au fil du temps, ma vie s’organise autour de ce noyau vivace et vorace, qui dévore l’essentiel de mon temps. Être écrivain, c’est (re)trouver en soi ce pôle magnétique. Suivre la voie de cette passion fixe sans se soucier des modes ou des règles en vigueur, qu’elles soient morales, sociales ou politiques. C’est rechercher la vraie coïncidence - intime, obscure, secrète - entre l’écriture et la vie. Le livre, alors, devient à lui tout un monde.

    * En réponse à une question d'Isabelle Falconnier : « Qu'est-ce qu'être un écrivain ? »
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  • Conversation avec Isabelle Æschlimann*

    images-1.jpegQuand et pourquoi avez-vous décidé que l’écriture tiendrait une place prépondérante dans votre vie?
    JMO — J’ai commencé par la musique et par la poésie. Puis, insensiblement, vers 15-16 ans, les deux se sont fondues au point de ne faire plus qu’une. Il n’y a pas de décision làdedans. L’écriture s’est imposée comme une planche de salut. Une tour de guet pour observer le monde et le comprendre.
    IA — C’est venu graduellement. J’ai toujours écrit, mais je m’éparpillais dans plusieurs formes d’art. Vers 25 ans, je me suis dit que ce serait bien d’en choisir une et de l’approfondir. L’écriture était celui qui comblait le plus mon besoin de m’exprimer. Cela me procure un plaisir sans pareil. Je ne peux plus m’en passer. Si je n’écris pas, je ressens un vide en moi.


    Qu’est-ce que ce choix a impliqué et implique dans votre vie?
    JMO — Écrire, pour moi, c’est la règle des trois S: solitude, silence, secret. On écrit toujours seul, dans le silence et le secret à révéler. Cela n’implique pas une vie solitaire. Mais un espace de solitude et de silence. Un jardin secret. Ce jardin, pour moi, est ouvert au monde. Il a un nom: c’est le roman. Un lieu qui engloberait toutes les disciplines: la musique, la peinture, la philosophie, la psychanalyse... Ce que Joyce a fait dans Ulysse, par exemple. Un roman total.
    IA — Comme toutes mamans qui travaillent à temps partiel, cela implique de l’organisation et de la discipline envers soi-même. images-2.jpegJ’ai dû trouver un équilibre entre le travail, ma famille, mes amis et l’écriture. Lorsqu’on pratique un sport de haut niveau, c’est plus reconnu. Mais manquer un événement ou se priver de quelque chose «pour écrire», cela fait sourire. Je ne prétends à aucune mission. Mais un romancier apporte un regard personnel sur la société d’une époque. Il soulève des questions, provoque des réactions.


    Quel statut ont les écrivains dans notre pays en particulier et le monde en général ?
    JMO — En Suisse, les écrivains ont peu de place, hélas. Certains sont largement subventionnés, d’autres ne reçoivent jamais un sou. Mais cela ne leur confère aucun statut social. D’une manière générale, ils ont beaucoup de peine à faire entendre leur voix. En France ou en Allemagne, les écrivains ont souvent une tribune dans les journaux ou les hebdomadaires, alors qu’en Suisse, on leur donne rarement la parole. On a peur de leur voix.
    IA — Je ne fréquente pas le milieu littéraire dans mon quotidien. Mais il me semble que les écrivains sont discrets. Et je constate qu’être écrivain est une activité que l’on pratique à côté d’un «premier métier»...…


    Écrire en Suisse, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
    JMO — Pour reprendre le titre d’une émission de télévision célèbre, chaque écrivain a des racines et des ailes. Je ne crois pas aux écrivains hors sol. Où qu’on aille, un peu de terre natale reste toujours collé à nos semelles. Ce n’est pas un poids ou une limitation. Regardez encore Joyce: il porte son Irlande natale en lui et c’est à partir de cet héritage qu’il écrit. Pour mieux s’envoler. Aller à la rencontre du monde et des autres.
    IA — Cela implique de garder les pieds sur terre et rester modeste. La scène littéraire est assez discrète en Suisse, peu mise en avant. Notre succès garde des proportions à l’échelle romande. L’immense avantage en revanche, est qu’au niveau régional, les gens nous soutiennent. Je suis jurassienne, je vis dans le canton de Vaud depuis 8 ans, et les deux cantons m’ont soutenue lors de mon entrée en littérature.


    Que peut, et doit, transmettre un écrivain à un autre écrivain?
    JMO — Ce n’est pas à l’école qu’on apprend à écrire. C’est en lisant, encore et toujours, les livres des autres. En dévorant les bibliothèques. En écumant les librairies. Je crois que la transmission se fait surtout par la lecture. Une sorte de «transsubstantiation». Mais fréquenter des écrivains (ou des artistes en général) est extrêmement précieux. J’ai eu la chance de fréquenter de grands écrivains comme Aragon, Chessex, Quignard, Starobinski, Derrida. Ils m’ont beaucoup encouragé, non pas par leurs conseils, mais par leur amitié et leur écoute.

    IA — Le processus de création est un acte bien mystérieux et chaque écrivain a quelque chose de différent à transmettre. Tout est intéressant! Ceci dit, écrire reste une activité solitaire et un dialogue avec soi-même.

    Peut-on apprendre à écrire?
    images-4.jpegJMO — Je n’ai jamais appris à écrire. C’est la vie, ses bonheurs et ses drames, et la langue dans laquelle je suis né qui forgent mon écriture. J’écris avec mon corps et mes émotions. J’invente une voix dans la langue. Ce qui me pousse en avant? Le désir de vivre d’autres vies, sans doute. De voyager grâce aux livres des autres et d’élargir mon horizon.
    IA — Du moment que les idées sont là, bien sûr que l’on peut apprendre à écrire. D’ailleurs en Amérique, il y a des écoles d’écrivains. C’est avant tout du travail. De mon côté, je lis énormément en essayant d’analyser ce que je lis, de comprendre comment l’auteur a construit son texte. C’est la meilleure école. Ensuite je remanie mes phrases des dizaines de fois jusqu’à ce que mon texte et son rythme me conviennent.


    Que vous amènent les discussions et le compagnonnage avec votre poulain/avec votre parrain? Qu’appréciezvous chez lui ?
    JMO — Je trouve extrêmement stimulante la rencontre avec un autre écrivain. Le dialogue, l’échange, le partage d’expériences a priori très différentes (le parrain est rodé au milieu littéraire, tandis que le poulain - ou la pouliche! - n’en connaît pas encore les ficelles). J’aime la fraîcheur de mes conversations avec Isabelle, comme j’ai aimé le rythme et la vivacité de son livre, «Un été de trop». J’aime surtout
    l’espérance de ce qui va suivre: le livre à venir. Celui qu’on rêve. Le livre qui n’existe pas encore.
    IA — J’éprouve un énorme plaisir à parler littérature pendant des heures, de pouvoir poser toutes les questions que j’ai toujours eu envie de poser à un auteur aussi reconnu que Jean-Michel. Il fait preuve d’une grande humilité. Peut-être parce qu’il enseigne à des jeunes qui n’ont aucune idée de la chance qu’ils ont! Par son métier, il a une perception pédagogique de l’écriture. Il essaie d’intéresser les
    jeunes à son art, de leur démontrer la puissance des mots. C’est magnifique. Concernant son style d’écriture, il ne choisit pas la voie de la facilité. Il veut progresser, explorer de nouveaux horizons. Lorsqu’une recette fonctionne, au lieu de resservir le même plat, il en essaie une autre. Il se met en danger à chaque fois. C’est une leçon: ne pas se reposer sur ses acquis. Mais cela pourrait aussi être: ne te sens jamais enfermée dans un carcan. Jean-Michel est avant tout un père et j’aime sentir que même à son niveau, ce qui nous rattache à la réalité est notre famille. S’il était un célibataire endurci qui s’était consacré à l’écriture, il y aurait un gouffre entre nous. Alors que là, il devient un modèle.
    Concilier famille et écriture est possible. Et c’est même ce qui nous nourrit. Elle est notre énergie, essentielle à notre équilibre. ■

    *En réponse à des questions d'Isabelle Falconnier.

    Photo © Thomas Zoller

  • Le projet Parrains-Poulains

    images.jpegLe Projet Parrains&Poulains du Salon du livre et de la
    presse de Genève répond à deux missions: mettre en
    lumière des écrivains romands en début de carrière dont nous estimons qu’ils ont un bel avenir devant eux d’une part, encourager, d’autre part, la transmission entre écrivains.
    L’écrivain est solitaire, par essence. Or, lorsqu’on a choisi de faire de l’écriture une activité essentielle de sa vie d’homme ou de femme, de nombreuses questions se posent: comment concilier vie familiale, vie professionnelle et vie d’artiste? Comment gagner sa vie avec l’écriture? Comment faire face à l’angoisse de la page blanche? Comment être lu? Qui mieux que des écrivains expérimentés, ayant trouvé leurs propres réponses à ces questions, pouvaient faire écho aux
    interrogations profondes de jeunes gens faisant ce pari fou de l’écriture, et parfois démunis devant les difficultés du métier d’écrivain?
    PhotoBlogSalonDuLivreParrainsPoulains.jpgCinq auteurs confirmés, Anne Cuneo, Jean-Louis Kuffer, Jean-Michel Olivier, Amélie Plume et Daniel de Roulet ont accepté de parrainer respectivement Quentin Mouton, Max Lobe, Isabelle Aeschlimann, Anne-Frédérique Rochat et Aude Seigne. Autant de personnalités riches, diverses et fortes qui se sont rencontrées à plusieurs reprises entre janvier et mai 2013, et ont généreusement rédigé pour cette présente publication un texte inédit sur le thème de «Le métier d’écrivain» pour les Parrains et, pour les Poulains, le récit d’une de leur rencontre. Je les remercie pour l’énergie, l’empathie, la curiosité et l’inspiration dont ils ont fait preuve en se prêtant au jeu. Acteur à part entière de la scène culturelle suisse, le Salon du livre et de la presse de Genève est heureux de pouvoir ainsi contribuer à la création littéraire de notre pays.
    Isabelle Falconnier
    Présidente du Salon du livre et de la presse de Genève