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amour nègre

  • Adam et la mondialisation (sur L'Amour nègre)

    par Bruno Frappat

    IMG_0721.JPGDistingué par les jurés du prix Interallié, L’Amour nègre, de l’écrivain-journaliste suisse Jean-Michel Olivier, est une pochade tournant au tragique. En passant par la case poétique. On s’y plonge d’abord avec amusement, délassement, tant ce roman semble de prime abord éloigné de l’esprit de sérieux qui rend si prétentieuse une bonne partie de la production contemporaine. Tout, dans cet univers déroutant, paraît tellement excessif, caricatural, genre BD, que l’on s’amuse sans arrière-pensée.

    Un Africain qui donne son fils à des acteurs américains bourrés de bons sentiments en échange d’un écran plasma pour télévision, c’est un troc inimaginable. A-t-il seulement le courant sous sa case? Le couple glorieux, dont la vie s’étale sur les pages des journaux «people» du monde entier, va débaptiser l’enfant et l’appeler du beau prénom d’Adam. Adam…

    On se doute alors que l’on va, peu à peu, cesser de rire. Que la vie richissime et oisive, qui se déroule dans une hacienda de la région de Los Angeles, monde artificiel de fêtes absurdes et luxueuses où tout le monde s’ennuie et se toise, va déboucher sur des aspects moins riants que le beau sourire d’Adam, à la peau noire et aux dents blanches. Le monde commence dans un sourire édénique et va mal tourner.

    Le «père numéro 1», oublié dans sa lointaine Afrique, aura peut-être, dans son village de brousse, des nouvelles de son fils sur son écran plasma (si la télé marche…). Nul ne le saura jamais. Adam, né en Afrique, n’y retournera jamais. Le «père numéro 2», vedette de l’écran, et sa femme Dolores, tenaillée par le désir d’adopter tous les enfants de la terre, forment un couple apparemment idéal, en vérité déchiré, explosif. Et qui explosera.

    Le jeune Adam sera ensuite confié à un «père numéro 3», star mondiale encore supérieure en célébrité au père deuxième du nom. Et le jeune Adam sera voué à passer quelque temps dans un de ces paradis superlatifs que constituent, si l’on en croit les magazines sur papier glacé, les «îles privées» de l’Océanie que peuvent s’offrir quelques vedettes de cinéma légèrement misanthropes.

    Passons sur les détails. Tout cela ira de mal en pis. Cocotiers, plages (et filles…) de rêve, gourous fumeux, soleil éternel, il faudra tout quitter. Fuir, car la mort est venue, on ne sait même pas comment. Pour se retrouver en Asie dans un autre lieu de rêve (là où le tsunami de 2004 fit les ravages que l’on sait) dans une sorte de paradis artificiel où les filles sont jeunes (très jeunes…), les hommes blancs bedonnants et nettement plus âgés que leurs proies, les trafics de toutes sortes nombreux, les rencontres de cabarets ambiguës, etc.

    Et toujours cette musique lancinante, ces airs moulinés sur la planète entière par les Anglo-Saxons de plusieurs générations. L’auteur ne néglige pas de donner la liste des titres de ces «tubes» qui n’eurent qu’un temps mais ont laissé dans l’oreille de l’humanité entière des souvenirs et des regrets.

    Le jeune Adam n’a en tête que de retrouver la sœur de misère de son péché originel, une Eurasienne baptisée Ming. Il finira par se retrouver en Europe, en Suisse précisément. Du côté de la face cachée de la lisse ville de Genève. Côté trafics en tous genres, côté dealers, courses-poursuites avec les policiers, sexualité commerciale, assistanat d’un marchand de rêves qui soulage les misères des femmes de ces messieurs de la banque.

    Adam, ainsi, on l’aura compris, se sera cherché partout sur la terre une identité : Afrique, Amérique, Océanie, Asie, Europe. Et il ne l’aura retrouvée nulle part à moins que le livre n’ait été amputé de cette fin heureuse que semble annoncer, dans les dernières lignes, une rencontre avec une certaine Eva…

    Ce récit haletant, écrit d’une manière rapide, au style bref et efficace, coupe le souffle. Il y a une sorte de montée tragique que semblent annoncer les épisodes de sexualité sans tendresse, de plus en plus fréquents, de plus en plus précis, de plus en plus lassants, aussi. Adam se sera cherché dans les villas luxueuses d’Hollywood, sur les plages magnifiques de l’Océanie, dans les bouges de l’Asie louche, au plus près des lacs de la paisible Suisse.

    Partout il aura rencontré les mêmes illusions, les mêmes marques des produits de luxe (vêtement, montres, chaussures), les mêmes variantes de l’alcool et des drogues. Nulle part il n’aura rencontré de vraie tendresse, ou du moins une tendresse durable. Adam, déraciné du jardin d’Eden qu’était son petit village d’Afrique, n’en exprime même pas de nostalgie. Il se meut dans un univers de pacotille, de couleurs excessives, de néon, de toc et de frime où, visiblement, tout le monde se cherche une identité.

    Le monde fracassé dans lequel il tourne est celui de la mondialisation qui tresse autour de nous un filet d’artifices, d’étrangeté, de faux-semblants. La quête de soi y est rendue plus dure par une universalité de façade. Peut-on se passer de cette lecture? Oui, mais, dès lors qu’on y est entré, on file jusqu’au bout. Partageant avec Adam l’inquiétude du paradis perdu.

    article paru dans La Croix 

  • L'image de Dolorès

     

    images.jpegOn dit de Dolorès qu’elle est superficielle et vaine. Qu’elle passe son temps à se faire belle, à disparaître. À s’admirer dans les miroirs. On dit aussi qu’elle n’a pas d’âme. Que tout ce qu’elle laisse derrière elle, c’est une trace de parfum. Poison de Christian Dior. On dit encore qu’elle est artificielle et vaniteuse. Une femme sans charme. Qu’elle a épousé Matt pour faire la une des magazines people. Non par amour. Qu’elle adopte des enfants pour tenter de sauver son couple.

    Rien qu’une image.

    Le mercredi, pourtant, sur Sunset Boulevard ou dans les boutiques snob de Palisades, elle cherche son âme. Elle se lève tôt. Elle se maquille. Elle se pomponne avec soin. Et quand elle vient me chercher dans ma chambre, elle est parée comme une guerrière. Les yeux cachés par des lunettes noires. Le nez pincé. La bouche dissimulée sous un rouge à lèvres cerise. Dol est prête au combat. Tailleur Gucci sur un chemisier en soie grège. Minaudière en satin. Escarpins Anémone en piton.

    Le chauffeur nous dépose sur Palisades. C’est dix heures. Dol commence son chemin de croix. Armani. Prada. Yves Saint-Laurent. Elle croise son reflet dans les glaces. Les vendeuses tournent autour d’elles comme des vampires. Les haut-parleurs diffusent une musique douce. Bach ou Mozart ou Schubert. Quelque chose comme ça. Quelque chose qui vous donne la fièvre acheteuse. Tout le monde la connaît. Sourires, courbettes et compagnie. Mais dans son dos on rit sous cape. Des centaines de milliers de dollars chaque année pour faire comme tout le monde. Avant tout le monde. Des fortunes dépensées en vêtements. Chaussures. Accessoires. Bijoux. Pour paraître moins nue. Cacher ce corps parfait dont elle a honte.

    Chaleur, excitation. Vertiges.

    Elle titube et trébuche sur ses talons de dix centimètres et elle tombe dans mes bras.

    À ce moment, je le vois bien, les vendeuses la détestent. Elles pensent que c’est une garce cruelle et capricieuse que Matt-la-gueule-d’ange a du mérite à supporter. Qu’elle écume les boutiques parce qu’elle n’a rien à faire. Qu’elle aime martyriser le personnel parce qu’elle a de l’argent et qu’elle peut tout se permettre. Absolument tout. Mais Dol se moque de leur mépris. Elle m’entraîne dans une cabine d’essayage grande comme une piscine. Elle passe une robe Valentino en soie sauvage à festons, très décolletée, qui laisse apparaître le tatouage sur son épaule.

    « Cette robe est trop petite, dit-elle entre ses dents. Je n’arrive pas à respirer… »

    Elle se tourne et se retourne, se contorsionne devant la glace.

    « Tu ne trouves pas que j’ai l’air d’un beignet ?

    —Non, je dis. Tu es… magnifique ! »

    En maugréant, elle plaque la robe contre son corps. Elle efface les plis. Elle rajuste le décolleté. Tout à coup ses seins jaillissent de la soie et elle explose de rage.

    « Merde ! J’ai encore grossi… »

    Et moi je reste la bouche ouverte, ébloui par tant de beauté et ma mère devient folle. Elle arrache la robe et elle la jette par terre. Elle la piétine et pousse des cris de bête blessée et les vendeuses demandent d’une voix inquiète :

    « Tout va bien, Madame ? »

    Dol n’écoute pas. Elle passe une autre robe en crépon de soie gansée de strass. Un modèle unique signé Léonard. Dans une semaine, c’est la première du film qu’elle a tourné au Nevada avec Jack Malone et Di Caprio, Lost in Paradise, et il lui faut à tout prix quelque chose d’original. Tout le gratin d’Hollywood sera là. Elle ne peut pas être habillée comme un sac.

    « Tu ne trouves pas que cette robe me boudine ?

    —Non, je dis, elle te va comme un gant. »

    Devant la glace, elle joue avec son reflet. Elle est nerveuse. Sa bouche est agitée de tics. Comme si elle passait un examen. Elle enlève la robe. Elle en passe une autre. Puis une autre encore. Puis une autre. Mais aucune ne lui va. Aucune ne lui plaît. Au contraire. Au fil des essayages elle devient irascible et méchante.

    « Tout va bien, Madame ?

    —Mêlez-vous de vos affaires, petite conne ! »

    Exaspérée, elle me prend par la main et sort de la cabine en rugissant. Les vendeuses essaient de la retenir. Elles n’en croient pas leurs yeux. Dol est leur meilleure cliente. Elle peut s’offrir tout ce qu’elle veut. Mais elle est si lunatique. Le gérant de la boutique qui porte un costume Guess et une chemise Calvin Klein la retient par le bras.

     

    « Nous avons d’autres modèles, Madame…

    —Ces robes sont faites pour des cigognes !

    —Elles ont été dessinées par de grands couturiers…

    —Peut-être, crie Dol. Mais ils n’aiment pas les femmes ! »

    Vers une heure, on déjeune sur le pouce au Diplomatico, sur Sunset Boulevard. Parquets éblouissants. Fougères géantes au milieu de fontaines d’eau glougloutante. Tables carrées en verre. Miroir à facettes au plafond. Dol retrouve là Mel et Lindsey. Ses meilleures amies. Elles étudient longtemps la carte. Elles font la grimace. Elles finissent par commander une salade verte arrosée d’une ou deux gouttes de citron. Un poisson grillé et un potage végétarien.L’après-midi ressemble à la matinée. Poussée par un désir farouche, Dol écume les boutiques une à une, toujours en quête de la robe idéale. De la ceinture qui irait avec sa minaudière en satin. Des escarpins qui mettraient en valeur ses jambes fines et bronzées. Mais sa fureur grandit au fil des boutiques. Comme sa déception.

    « Qu’est-ce que je désire vraiment, Adam ? Toi, tu peux me le dire ? »

    Elle entre et sort des magasins comme une reine outragée, sous le regard ahuri du gérant.

    « Allons plus loin, Adam. Il n’y a rien ici… »

    Rien chez Prada. Rien chez Dolce & Gabbana. Rien chez Rikki. Rien chez Chanel. Rien chez Tommy Hilfiger.

    Rien nulle part.

    Le visage de Dol se fane. Il est plein d’amertume. De désarroi. De consternation. Rien ne lui plaît. Elle vit cela comme une insulte. Son visage est un masque livide et renfrogné. Ses cheveux ont perdu leur éclat. Sa silhouette s’est tassée. Comme si elle avait pris cent ans en une journée.

    Face au miroir ovale, chez Mandrake, elle passe une robe à sequins Rifat Ozbek en crêpe de Chine appliquée de paillettes avec bustier en brocart d’or. Et comme d’habitude ma mère fait la grimace. Elle se tourne et se retourne cent fois. Et elle finit par exploser.

    « Plus jamais je ne reviendrai chez vous ! hurle-t-elle au gérant italien et sexy. Vous vous moquez de moi… »

    Elle pivote sur ses talons et m’entraîne avec elle dans la rue. C’est le soir. Les boutiques vont fermer. Dol presse le pas. Question de vie ou de mort. La lame de la guillotine va tomber. Elle ne peut pas rentrer sans rien. Affronter le regard de Matt. De tous les hommes de la terre.

    Comme si elle était nue.

  • Tous au Salon !

    images.jpegVenez me retrouver au Salon du Livre:

    Mercredi 1er  mai, 13h-13h45, projet Parrains-Poulains : conversation avec Isabelle Æschlimann, Place Suisse

    Jeudi 2 mai, 11h15-12h : L'Afrique telle qu'en Suisse, SALON AFRICAIN DU LIVRE, DE LA PRESSE ET DE LA CULTURE : Jean-Michel Olivier - Max Lobe - Nétonon Noël Ndjékéry

    Vendredi 3 mai, 18h : Présentation du livre d'hommages à Yvette Z'Graggen (avec Pierre Béguin, Gilberte Favre et d'autres), sur le stand des éditions de l'Aire.

    Mercredi-jeudi-vendredi : dédicaces d'Après l'Orgie et L'Amour nègre, à La Place suisse.