C’est l’un des livres les plus intrigants de la rentrée. Son titre : Les Îles*. Son auteur : Philippe Lançon, accessoirement critique littéraire à Libération. Dans ce roman, dense et labyrinthique, qui flirte avec l’autofiction, Lançon retrace la folie d’une femme qu’il a aimée. De Jad la folle, son enquête l’entraîne de femme en femme, et d’île en île. Comme l’amour, la folie est contagieuse. Et insulaire. Entretien.
— Raconter la folie d'une femme (Jad) : tel est le projet du livre. Pourtant, dès les premières pages, cette folie paraît toucher, par contagion, les autres personnages : Ali, Jun et, bien sûr le narrateur, qui navigue entre ces îles…
— Elle les touche, en effet — chacun à sa façon et selon son caractère. J'espère que le récit est une juste rétribution. Il devrait l'être en tout cas.
— Comment avez-vous construit votre livre ?
— En commençant par le premier chapitre et en finissant par les chapitres sur la "descente" de Jad. J'ai écrit le prologue et l'épilogue chemin faisant.
— On voyage beaucoup, dans votre livre, entre les femmes qui sont des îles et qui semblent détenir, pour le narrateur, les secrets de l'amour et de la folie. L'homme est-il condamné à cette errance en mer ? A ne jamais toucher une terre stable ?
— J'ignore à quoi l'homme est condamné. Le narrateur ne détient aucun secret. C'est une conscience molle, dépressive, dont les errances et tourbillons ne sont bons qu'à accueillir les autres, sous forme de paysages, de scènes ou de portraits.
— Votre livre est semé de formules, sentences ou maximes qui font penser à La Rochefoucauld. Quelle est le rôle de ces « sentences » ?
— Suspendre le récit. Lui donner, à certains moments, certaines couleurs (plutôt sombres). L'alourdir aussi, en faire trop : ne pas lui épargner les vices, les excès, la prétention. Et rendre hommage, entre autres, à La Rochefoucauld. Hommage naturellement honteux, pastiche et postiche.
— Vous sentez-vous davantage moraliste ou romancier ?
— Je ne me pose pas cette question. Je ne me sens rien. J'écris.
—Est-ce que Jad a lu votre livre ? Si oui, qu'en a-t-elle pensé ?
— Jad n'existe pas (dans le monde réel). Celle qui l'a — en partie — inspirée n'a pas davantage lu le livre que Jad ne l'a fait, dans le livre.
Propos recueillis par JMO
* Philippe Lançon, Les Îles, roman, édition Lattès, 2011.
Il faut relire, aujourd’hui, le beau portrait que Jean-Louis Kuffer a fait, en 1986, de Vladimir Dimitrijevic dans Personne déplacée*, car il n’a pas pris une ride.
C'est un livre à la fois très « public » et très secret que nous donne aujourd'hui Jacqueline de Romilly, la grande spécialiste de la Grèce. Très secret, tout d'abord, parce que le livre était achevé de longue date et gardé soigneusement dans un tiroir de son éditeur, Bernard de Fallois, car il ne devait être publié qu'à la mort de l'académicienne, décédée le 18 décembre 2010 à l'âge de 97 ans. Pudique et secret : le texte magnifique de Jacqueline de Romilly l'est constamment. Mais aussi très « public ». À la fois accessible, écrit dans une langue somptueuse, rythmée, vivante, et ouvert sur le monde.
Et Jeanne multipliera les gagne-pain, exerçant plusieurs métiers plus ou moins bien payés, écrivant tout d'abord les lettres que ces messieurs ne savaient pas écrire, puis s'adonnant elle-même à l'écriture, avec succès, d'ailleurs, puisque plusieurs de ses romans ont paru, entre deux guerre, chez Grasset et Flammarion. Pendant ce temps, Jeanne élève jalousement Jacqueline, sa fille unique, qui brille dans ses études, s'apprête à devenir la grande historienne qu'elle fut, promise à être la première partout (deux prix au concours général l'année de ses 17 ans, Normale sup', l'agrégation, la Sorbonne)…
Après la guerre, Jacqueline se marie et Jeanne, son ange-gardien, change à nouveau de rôle et de place. D'abord isolée, comme abandonnée par le jeune couple qui mène sa vie. Puis, quand le couple se sépare, se rapprochant à nouveau de sa fille, dont elle prépare les repas et qu'elle accompagne aux quatre coins du monde pour des conférences ou des débats, car Jacqueline est devenue célèbre.