Retenez bien ce nom, aux allures de pseudonyme ethno : Douna Loup. Douna comme Douna, une petite ville du Burkina Faso Et Loup comme le grand méchant loup, et comme le Théâtre du même nom. Car Douna Loup vit à Genève où elle est née en 1982, de parents marionnettistes. Si l'on en croit Culturactif, « elle passe son enfance et son adolescence dans la Drôme. À dix-huit ans, son Baccalauréat Littéraire en poche, elle part pour six mois à Madagascar en tant que bénévole dans un orphelinat. À son retour elle s'essaye à l'ethnologie, elle nettoie une banque suisse pendant trois mois, garde des enfants durant une année, écrit sa première nouvelle, puis devient mère, et étudie les plantes médicinales. Après avoir vendu des tisanes sur les marchés et obtenu un certificat en Ethno-médecine, elle se consacre pleinement à l'écriture et à ses deux filles. »
Un premier roman, donc, au titre énigmatique, L'Embrasure*. Un titre qui donc à la fois l'ouverture, la blessure et la brûlure. Et c'est bien de cela qu'il s'agit dans cette roman qui cherche un peu sa voie entre des épisodes parfois aléatoires, voire incertains, et pas toujours bien ficelés ensemble. Simple défaut de jeunesse : le désir impérieux de tout dire, de trop dire, dans un seul livre. Mais le lecteur qui prend la peine d'entrer dans cet univers à la fois fantastique et singulier ne sera pas déçu : il y trouvera matière à réflexion et à rêverie. Il se laissera surprendre à chaque page par une sensation nouvelle, une découverte, un rythme ou une odeur, une trouvaille poétique.
Le narrateur de L'Embrasure est un jeune homme de 25 ans, ouvrier, taciturne et solitaire. Sa vraie passion n'est pas l'usine, où il travaille comme un robot, mais la forêt, qu'il explore comme une femme, et parcourt de long en large pour aller chasser. Affûts. Longue traque muette. Observation de tous les signes, traces, brisées, qui le mènent infailliblement à sa proie. Or, au lieu d'une proie patiemment traquée, il tombe un jour sur un cadavre à l'abandon. Un homme perdu, sans nom et sans visage. « Maintenant que je vois la forme c'est sûr, il y a la tête qui se devin sur la terre et les bras repliés sur le thym. »
Pourquoi cet homme est-il venu mourir dans sa forêt ? Quels signes a-t-il voulu lui envoyer ?
Le roman démarre vraiment par cette découverte. Dès cet instant, le narrateur est littéralement hanté par l'inconnu. Il entreprend sa propre enquête sur le mort — un suicidé, en fait — qui s'avère s'appeler Leandro Martin, noter régulièrement ses réflexions dans de petits carnets, vivre en marge de la société et de sa famille, qui le connaît si mal. Bien sûr, cette enquête sur l'autre, le mort perdu dans sa forêt, est d'abord, pour le narrateur, une quête de soi-même. Une quête qu'il poursuit à travers plusieurs femmes. Lise d'abord, puis Eva (il fallait une femme fatale au roman!). Douna Loup excelle à rendre à la fois le désir et le vide, la sensualité de ces rencontres et l'impasse où elles mènent : « tous les deux, nous nous demandons ce qui nous rassemble, et nous nous rassemblons quand même ». Il y a de la sauvagerie, mais aussi du désespoir dans cette rencontres toujours fragiles, toujours à confirmer le lendemain.
Si le roman se perd un peu dans sa dernière partie, c'est sans doute que son narrateur est lui-même perdu, en quête d'une vérité sur le monde et sur lui-même qui glisse entre ses doigts comme la pluie sur les feuilles des arbres. On sent chez lui l'appel constant de la nature, sa beauté, sa violence, son mystère impérieux, qui le renvoie à son amour des femmes, non moins sauvage et mystérieux. Dans une langue à la fois simple et efficace, très poétique, Douna Loup sait créer un monde d'images et de sensations fortes. Elle renvoire le lecteur, comme le narrateur, à l'énigme de son désir. Elle trouve les mots pour dire ce qui se cache dans l'embrasure.
* Douna Loup, L'Embrasure, roman, Mercure de France, 2010.
La revue Le Passe-Muraille publie, dans son dernier numéro, un long texte inédit de Douna Loup.
Douna Loup, "L'embrasure" par mercuredefrance
L'actualité, parfois, donne à certains livres une résonance particulière. Ainsi le dernier livre d'Olivier Adam, Kyoto Limited Express*, accompagné des magnifiques photos d'Arnaud Auzouy. Ici ce n'est pas le Japon intraduisible de Sofia Coppola, ni celui, bureaucratique, d'Amélie Nothomb. Ni même celui de Nicolas Bouvier ou de Roland Barthes. Adam revisite plutôt le Japon nostalgique de Simon Steiner, héros malheureux du Cœur régulier, roman paru presque en même temps que Kyoto Limited Express. C'est le récit d'une errance et d'une douleur, d'une quête à jamais impossible.
Car tout, dans le livre écrit à quatre mains d'Olivier Adam et d'Arnaud Auzouy, appartient aux fantômes. L'atmosphère, les images, l'air même qu'on y respire. Nous sommes dans un pays marqué par la disparition.
On le voit : ce livre est sans doute prophétique. Comme Simon Steiner, son héros, erre à travers une forêt de fantômes, il nous montre un pays qui, déjà, n'existe plus. Bien sûr, Kyoto n'est pas Fukushima. Mais il est facile d'imaginer ce qu'elle serait après un tremblement de terre ou une catastrophe nucléaire. Les photos d'Arnaud Auzouy en portent témoignage. On dirait que ce livre a été écrit juste avant la catastrophe. Et qu'il garde intacte la trace de ce qui va disparaître. De ce que nous avons perdu.