Un critique éminent de la Tribune de Genève, toujours haut en couleur, reproche souvent à la littérature romande d’être « polysubventionnée ». Autrement dit, de n’exister que grâce à la générosité des divers départements culturels cantonaux ou d’autres mécènes désintéressés tels la Migros, la Loterie romande ou encore Pro Helvetia. Le fait est avéré : la plupart des livres publiés en Suisse romande ne verraient pas le jour sans une aide financière extérieure. Mais pourrait-il en être autrement dans une portion de pays qui ne compte qu’un million et demi d’habitants, ou de lecteurs potentiels, alors qu’il en faudrait dix fois plus pour qu’un livre ait des chances d’être « rentabilisé » ?
Au palmarès des auteurs subventionnés, le pompon revient sans conteste à Daniel de Roulet, champion toute catégorie. Son dernier livre, Un glacier dans le cœur*, bénéficie de multiples subsides. Rien de remarquable, ni de honteux à cela, bien sûr. Ce qui étonne, pourtant, c’est le propos du livre : à travers une galerie de portraits de Suisses marginaux et contestataires (Giacometti, Frisch, Tinguely, etc.) ou franchement « collabos » (saisissant texte sur Le Corbusier), de Roulet se demande si la Suisse existe encore (une vieille rengaine) et si, surtout, elle continuera à exister. Autrement dit : prise, comme toutes les autres nations, dans le maelström de la mondialisation, maltraitée, neutralisée, la Suisse n’existe plus. Ses derniers mythes sont en passe d’être déboulonnés. Et c’est tant mieux. Ce qui permet à de Roulet de se demander, non sans pertinence, ce qui viendra après la Suisse…
On retrouve dans ce livre tous les défauts et toutes les qualités des précédents ouvrages de Daniel de Roulet, devenu aujourd'hui écrivain officiel de l'establishment. Les qualités d’abord : un regard acéré sur la Suisse, souvent original, intelligent, attaché à ressortir de l’ombre des figures oubliées pour leur rendre justice. J'ai cité l'étonnante promenade à Vichy, sur les traces du grand Corbu. Mais il y a aussi la belle évocation des amours de Robert Walser, l'écrivain le plus suisse — c'est-à-dire le plus seul — du monde. L'hommage au délicat Jean Rousset, admirateur passionné et passionnant de l'âge baroque. On y retrouve aussi quelques défauts : la plupart des textes réunis dans le livre sont des ébauches, rapides et lacunaires, de sujets qui gagneraient à être approfondis ; la naïveté de l’analyse, qui repose sur des partis-pris trop peu interrogés ; et cette haine de la Suisse que l’auteur a parfois tant de peine à cacher.
Bref, malgré son caractère inégal (mettre dans le même panier le grand Muschg et Yves Laplace ou Noëlle Revaz relève de la faute de goût), le livre est stimulant, caustique, parfois même drôle. Il faut donc se féliciter qu’il ait pu voir le jour en Suisse. Grâce au « polysubventionnement ». Ce qui, en France ou en Italie, n’aurait sans doute jamais été possible.
* Daniel de Roulet, Un Glacier dans le cœur, Métropolis, 2009.
all that jazz - Page 74
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Littérature subventionnée
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Qui punira Israël?
Alors que l'ex-humoriste Dieudonné refait des siennes, en attribuant à l'infâme Robert Faurisson, médiocre universitaire et fielleux négationniste, un Prix de l'insolence, devant un parterre bien garni de people de gauche comme de droite, l'État d'Israël en profite pour pillonner, une fois encore, la trop célèbre bande de Gaza. En toute impunité, comme toujours. Avec les bienveillance des États-Unis, le grand frère protecteur qui a tant besoin de l'argent du lobby juif, et dans l'indifférence quasi générale du monde entier. Il faut dire que le moment est particulièrement bien choisi: un peu partout, dans le monde, on fête Noël, la naissance du Messie, l'espoir d'une humanité enfin sortie de la sauvagerie primitive, l'amour du prochain, la fraternité, le don gratuit — toutes ces choses désuètes. Les gens (et que dire des journalistes?) ont l'esprit ailleurs. Il faut préparer la dinde. Les cadeaux ne sont pas tous emballés. Vite, encore un achat…Alors, tandis que tout le monde regarde ailleurs, Israël se venge (200 morts le premier jour des « frappes » de Tsahal), en profite pour « terminer le boulot » comme disait Dieudonné, il y a quelques années, à son compère Élie, à propos des chambres à gaz. On bombarde des camions supposés transporter des explosifs, on rase des maisons, on assassine des femmes et des enfants. Rien de nouveau, hélas, sous le soleil du Proche-Orient : Israël ne fait que « répondre » aux roquettes balancées à l'aveuglette sur son territoire depuis la bande de Gaza. Légitime défense. Rien à dire, donc. Et c'est vrai que personne ne dit rien. Où ce massacre va-t-il s'arrêter? Qui punira Israël? Quand il ne restera plus un bâtiment debout à Gaza? Quand l'une des armées les plus efficaces du monde en aura fini avec le dernier Palestinien vivant? Quand la terre de Gaza sera à ce point imprégnée de sang que plus rien n'y poussera dans les siècles des siècles?Un Livre (qui a eu un certain retentissement en Occident) nous apprend que même Goliath, si sûr de sa puissance, a trouvé un jour plus fort que lui. Le grand tort d'Israël est de se croire au-dessus des lois, et donc invulnérable. Or, l'histoire nous apprend qu'un David, tôt ou tard, viendra rétablir la justice, punissant l'arrogance du géant aveugle et assoiffé de sang.Lien permanent Catégories : all that jazz -
Minutes heureuses et sanglantes
Calvin est à la mode et Genève lui fait sa fête. À vrai dire, il en prend pour son grade, le grand théologien genevois (d'adoption) ! Le spectacle concocté par François Rochaix, sur un texte de Michel Beretti, enfoncera le clou au mois de juillet. On se réjouit déjà. En attendant, comme une mise en bouche, voici Le Maître des minutes, qu'on peut aller découvrir à Saint-Gervais jusqu'à la fin du mois. Un spectacle épatant, fort, riche en couleurs et admirablement joué. Le texte et la mise en scène sont signées Dominique Ziegler et Nicolas Buri. Ziegler est un agitateur d'idées, d'images et de paroles qui a le vent en poupe. Ses spectacles, à cent lieues de la doxa officielle du théâtre contemporain, sont toujours des événements. C'est un Suisse au-dessus de tout soupçon! Quant à Nicolas Buri, nous avons déjà souligné les qualités de son excellent Pierre de scandale (éditions d'autre part, voir ici), une biographie tout à fait saisissante et personnelle du grand homme célébré aujourd'hui.
Je ne vous résumerai pas Le Maître des minutes : il faut aller le découvrir séance tenante au Temple de Saint-Gervais, puis au théâtre du même nom. Le spectacle réserve bien des surprises. Pas tellement au niveau du contenu, car on y insiste sur l'expèce de dictature morale que Calvin a imposée à cette brave ville de Genève (assortie de toute sorte de procès, supplices, mises à mort ou bannissements) qui n'en demandait pas tant. Mais plutôt au niveau des personnages mis en scène : une tenancière de cabaret, un sonneur de cloches (le magnifique Roland Vouilloz), un excellent syndic (Bernard Escalon), un pasteur un peu dépassé (le très bon Alexandre Blanchet), une belle allumeuse (Pascale Vachoux), etc. Tous absolument crédibles, intéressants et surtout faits d'une pâte humaine qui nous ressemble. Et au niveau d'une réflexion sur le temps et sa maîtrise, obsession calvinienne fort bien développée dans la pièce. Et qui connaît de beaux jours encore maintenant...
En un mot, une belle soirée comme le théâtre nous en réserve parfois, vivante et émouvante.
* Le Maître des minutes, Calvin, le guetteur et l'horloge, de Dominique Ziegler et Nicolas Buri, au Théâtre Saint-Gervais jusqu'au 28 juin. Tous les soirs à 20h30.
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