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  • Minutes heureuses et sanglantes

    images.jpeg Calvin est à la mode et Genève lui fait sa fête. À vrai dire, il en prend pour son grade, le grand théologien genevois (d'adoption) ! Le spectacle concocté par François Rochaix, sur un texte de Michel Beretti, enfoncera le clou au mois de juillet. On se réjouit déjà. En attendant, comme une mise en bouche, voici Le Maître des minutes, qu'on peut aller découvrir à Saint-Gervais jusqu'à la fin du mois. Un spectacle épatant, fort, riche en couleurs et admirablement joué. Le texte et la mise en scène sont signées Dominique Ziegler et Nicolas Buri. Ziegler est un agitateur d'idées, d'images et de paroles qui a le vent en poupe. Ses spectacles, à cent lieues de la doxa officielle du théâtre contemporain, sont toujours des événements. C'est un Suisse au-dessus de tout soupçon! Quant à Nicolas Buri, nous avons déjà souligné les qualités de son excellent Pierre de scandale (éditions d'autre part, voir ici), une biographie tout à fait saisissante et personnelle du grand homme célébré aujourd'hui.

    Je ne vous résumerai pas Le Maître des minutes : il faut aller le découvrir séance tenante au Temple de Saint-Gervais, puis au théâtre du même nom. Le spectacle réserve bien des surprises. Pas tellement au niveau du contenu, car on y insiste sur l'expèce de dictature morale que Calvin a imposée à cette brave ville de Genève (assortie de toute sorte de procès, supplices, mises à mort ou bannissements) qui n'en demandait pas tant. Mais plutôt au niveau des personnages mis en scène : une tenancière de cabaret, un sonneur de cloches (le magnifique Roland Vouilloz), un excellent syndic (Bernard Escalon), un pasteur un peu dépassé (le très bon Alexandre Blanchet), une belle allumeuse (Pascale Vachoux), etc. Tous absolument crédibles, intéressants et surtout faits d'une pâte humaine qui nous ressemble. Et au niveau d'une réflexion sur le temps et sa maîtrise, obsession calvinienne fort bien développée dans la pièce. Et qui connaît de beaux jours encore maintenant...

    En un mot, une belle soirée comme le théâtre nous en réserve parfois, vivante et émouvante.

    * Le Maître des minutes, Calvin, le guetteur et l'horloge, de Dominique Ziegler et Nicolas Buri, au Théâtre Saint-Gervais jusqu'au 28 juin. Tous les soirs à 20h30.

  • Calvin revisité

    images-2.jpegPour son premier roman, on peut dire que Nicolas Buri (né en 1965 à Genève) ne manque pas de souffle, ni d’ambition. Pierre de scandale* met en scène, dans un livre haletant, rien moins que Jean Calvin lui-même. Revisitant, après tant d’autres, mais de manière absolument personnelle, la vie mouvementée du grand réformateur français. Tout commence en 1515, date fatidique de la bataille de Marignan, et surtout de la mort de sa mère. À partir de ce choc, de la haine larvée qu’il voue à son père, Calvin va s’affranchir des siens, quitter sa modeste province pour aller suivre, à Paris, l’enseignement des maîtres de l’époque. C’est là qu’il croisera Rabelais (rencontre à vrai dire improbable), aura des démêlés avec les représentants de l’Inquisition, rencontrera Michel Servet. Dans une langue âpre et précise, jubilatoire, Buri décrit le périple de celui qui n’est encore qu’un pèlerin catholique assez ordinaire. Il faudra des voyages, des rencontres, des illuminations, pour que Calvin se forge un destin qui marquera durablement l’Europe, et singulièrement Genève, la nouvelle Rome protestante.
    Si le roman part en fanfare, il perd un peu son rythme en chemin. On guette avec impatience l’arrivée de Calvin à Genève, la ville qu’il va littéralement marquer de son empreinte, et Genève tarde un peu. C’est que Nicolas Buri aime à prendre son temps, à se lancer dans de nombreuses discussions théologiques (la Trinité, la prédestination) qui donnent de l’épaisseur au roman. Le lecteur, s’il reste un peu sur sa faim, ne perd jamais son temps.
    Arrive enfin le moment de vérité : appelé par Guillaume Farel, dont Buri trace un savoureux portrait, Calvin va prendre rapidement possession de la ville, malgré l’opposition larvée des bourgeois. Buri montre bien les enjeux de cette guerre intestine. Il montre aussi comment Calvin, seul contre tous, ne craint jamais le coup de force. C’est ainsi qu’il imposera aux Genevois des règles de plus en plus strictes, et souvent farfelues (interdiction de porter de la soie). « Je voyais la rue. Ville industrieuse. Commerce intense. Et ma création, l’académie, avec des professeurs venus de loin à mon invitation. Une réussite formidable. Une garantie de longévité pour la vraie Foi, pour la paix, pour le bel ordre. J’entendis l’horloge. Ça aussi : ce n’était pas un détail, mais un fondement. L’heure, la division du temps, un progrès merveilleux. La règle du temps donnait une autre valeur au travail. C’était bien mais on ne pouvait lâcher bride. Trop de méchants. Trop d’ennemis. Je me sentais seul. »
    Seul, Calvin, qui se croit investi d’une mission, ne l’est jamais totalement. Un autre personnage, haut en couleur et fort en gueule, le suit dans le livre comme une ombre. Il s’agit de Michel (ou Miguel) Servet, que Calvin rencontre à Paris et retrouve, des années plus tard, à Genève. « L’église se vidait. Miguel se leva. Je le regardais depuis la chaire, ses bijoux, son air délicat et supérieur, l’anathème au coin des lèvres. Il se tourna vers moi, prit face à la chaire la pose d’un homme qui apprécie une belle peinture. Se lissa le bouc et, avec une petite courbette, m’adressa un sourire courtois. Puis il sortit d’un pas indolent. » L’affrontement entre les deux est inégal. Et Servet, vite taxé d’hérétique, jeté en prison avec les rats et la vermine, jugé à la hâte dans une parodie de procès, puis brûlé sur la place publique. Comme on sait, Calvin n’assista pas à la mise à mort, trop occupé à écrire dans son scriptorium. C’est sur cette image d’un Calvin à la fois humble et hautain, prisonnier de sa solitude et de sa mission, que s’achève le beau roman de Nicolas Buri, mené tambour battant, avec beaucoup de verve et vivacité.

    * Nicolas Buri, Pierre de scandale, éditions d’Autre Part et Actes Sud, 2009.