Les affaires, en politique, ne manquent pas. Chaque canton a la sienne, qui révèle, sans doute, la part d'ombre que chacun porte en soi. Le Jura a l'affaire Lachat, ce député amateur de jeunes femmes et d'alcool, qui a failli finir sa carrière comme Edward Kennedy, dans un accident de voiture. Genève a eu l'affaire Mark Müller, Conseiller d'État au sang chaud, qui s'est mis toute la presse sur le dos pour avoir volé au secours d'une dame après le Réveillon. Le Valais a ses voleurs de pierres, accessoirement patron de la police, expert en fables peu crédibles. Et Neuchâtel, bien sûr, a son affaire Hainard, surnommé le Shériff, qui n'hésitait pas à placer ses maîtresses aux postes clefs de l'administration…
De toutes ces affaires, tantôt risibles et tantôt consternantes, Claude Darbellay (né au Sentier en 1953) s'est inspiré pour écrire L'Affaire*. Son roman, même s'il n'en nomme aucune, les contient toutes. Ce qui intéresse Darbellay (par ailleurs excellent styliste et poète, ce qui est rare en Suisse romande), ce n'est pas l'anecdote, ni l'allusion personnelle, mais la déconstruction d'une machine, celle de la politique : comment et pourquoi un homme désire le pouvoir, comment il arrive au pouvoir et fait tout, finalement, pour en être chassé, quitte à perdre son honneur.
Avec une précision de chirurgien, Darbellay dissèque et décrit ces désirs obscurs, les slogans politiques d'une campagne rondement menée (« Présence, confiance, modernité »), les réseaux d'influence que notre homme politique se doit d'activer, la double vie (entre autres sexuelle) qu'il doit mener, les compromis et les compromissions qui, tôt ou tard, se retourneront contre lui, car « plus tu montes haut, plus bas tu redescends. Et tous ceux à qui il a marché sur le ventre lors de l'escalade lui piétinent allégrement le dos quand il repasse devant eux. »
Écrit au scalpel, L'Affaire radioscopie la politique locale, cet univers impitoyable. Comment jouer avec la presse sans en devenir le jouet ? À partir de quand un privilège devient-il un dû ? Peut-on rester longtemps au faîte du pouvoir sans susciter envies et jalousies ? Et sans vouloir, inconsciemment, en être un jour délogé ?
Un très bon livre, dense et éclairant, édifiant même sur les mœurs de nos hommes politiques, dont le seul défaut, peut-être, tient à la perfection de ses rouages : sa construction inéluctable débouche sur une fin qui ne surprend pas le lecteur. Mais le monde politique doit-il toujours nous surprendre ?
* Claude Darbellay, L'Affaire, éditions d'autre part, 2012.
Ça s'en va et ça revient, comme une mauvaise rengaine, ça s'arrête et ça repart, inexorablement, comme une guerre sans fin. Au point de lasser les regards les plus compassionnels : pourquoi tant de haine ? De sang ? De larmes versées en vain ? Pourquoi relancer, aujourd'hui, le cycle infernal des vengeances ?
Il y a des écrivains qui tueraient père et mère pour un Prix littéraire, et qui n'en reçoivent aucun. Et ceux qui n'en désirent pas, mais qui l'acceptent, tout de même, pour faire plaisir, disent-ils, à leur éditeur. Philippe Djian, qui vient de recevoir hier le Prix Interallié 2012, appartient à la seconde catéàgorie. Il faut dire que l'écrivain français (né en 1949), digne héritier de Kerouac et de la beat generation, a déjà une œuvre importante derrière lui, et que sa renommée n'est plus à faire…
On le voit : pour savourer la musique de Djian, il faut aimer la langue (comme un fou), s'intéresser aux relations tordues qui nous relient les uns aux autres (nouées autour du sexe), aimer l'humour et l'aventure, ne pas être obsédé de réalisme ou de vraissemblance (la lèpre de la littérature). Bref, aimer l'écriture libre et musicale (Philippe Djian est un des paroliers de Stephan Eicher).