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littérature française

  • Des fleurs pour Michel Tournier (Serge Koster)

    Unknown-3.jpegSi tous les écrivains ne rêvent pas d'écrire des best-sellers, tous, en revanche, rêvent d'avoir de bons lecteurs. Michel Tournier a eu cette chance : il a non seulement rencontré le succès avec ses livres (Le Roi des Aulnes, Prix Goncourt 1970), un succès mérité, mais il a eu la chance de trouver un excellent lecteur, subtil et acharné, en la personne de Serge Koster, critique littéraire, romancier, professeur de lettres féru de figures de style. images.jpegOn ne compte plus les textes que Koster a consacrés à l'auteur de Vendredi ou les Limbes du Pacifique, dont il fut un intime : en particulier, le magistral Michel Tournier, paru en 1986 chez Henri Veyrier, et réédité plusieurs fois depuis.

    Quand Koster apprend la mort de Tournier, en janvier 2016, c'est le choc : les deux amis ne s'étaient pas revus, ni parlés depuis longtemps. Et Tournier, mort à 91 ans, ignorait tout de la maladie pernicieuse qui rongeait Koster — la même qui a touché François Nourissier et tant d'autres écrivains : la maladie de Parkinson, baptisée Miss P.

    Depuis plusieurs années, Koster n'écrit plus. Son combat contre la maladie l'épuise. Il va reprendre la plume à la mort de Tournier, à la fois pour lui rendre hommage (quelques fleurs de rhétorique en guise de couronne) et pour lui dire, aussi, peut-être, tout ce qu'il a tu pendant si longtemps, ses cauchemars, le mal qui ronge ses nuits et bientôt ses journées.

    Unknown-4.jpegCela donne un extraordinaire petit livre, Tournier parti*, un livre bifide, à deux faces, presque à deux voix : le récit d'une amitié profonde et fidèle avec l'ermite de Choisel (c'est le côté solaire) et l'avancée subreptice de la maladie, qui provoque des visions terrifiantes et des hallucinations (c'est le côté nocturne). 

    Pour évoquer ainsi le jour et la nuit, l'amitié solaire et les démons nocturnes, Koster retrouve le ton de ses romans « autofictifs ». Lui qui n'arrive qu'« à parler de lui », creuse encore la blessure qui le déchire : le silence, voire le sentiment d'abandon après une amitié de 30 ans avec l'écrivain des Météores et cette lente descente aux abîmes qu'il a l'impression de vivre chaque jour — et surtout chaque nuit — depuis qu'on lui a annoncé sa maladie, en 2011.

    Une fois de plus, ce grand amateur de littérature (il a écrit sur Racine, sur Ponge), obsédé par le style, trouve dans l'écriture une consolation ardente aux maux qui le dévorent. « La salope lâchée par mon organisme pompe mon énergie mentale et physique, elle m'obsède au point de m'empêcher d'écrire, elle ne me permet d'écrire qu'à partir d'elle obsédante, impossible d'échapper au piège. » Pourtant, l'étau se desserre le soir, vers 11 heures, quand il se glisse entre les draps, « s'allonge contre le flanc de la reine de ses années, savoure la paix de tout son souffle, sur la vague de l'accalmie qui l'accueille, l'enveloppe, le sauve. »

    images-2.jpegS'il a, parfois, des accents d'oraison funèbre (on y croise tout un peuple de fantômes), le livre de Koster est aussi une célébration de l'amitié et de la littérature, à travers cette recherche sans fin du style (Koster apprécie Léautaud, Chateaubriand, Racine, tous les grands stylistes) — qui était un sujet de controverse entre les deux amis. Pour Koster, Tournier était sans doute une figure de l'amitié, par son goût pour la métaphore et l'allégorie, mais aussi par sa générosité et sa simplicité.

    En grand amateur de tropes, dans son petit livre éclairant, Serge Koster lui rend admirablement justice.

    * Serge Koster, Tournier parti, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2019.

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  • Sur les traces de la femme invisible (Nathalie Piegay)

    Unknown-2.jpegDans La femme invisible*, Nathalie Piegay, professeur de littérature française à UNIGE, réussit un pari impossible : rendre vivante et visible une femme restée dans l'ombre de son amant (Louis Andrieux, homme politique français, ami de Georges Clémenceau) et de son fils unique, Louis Aragon. On connaît l'imbroglio familial : le poète est élevé par sa mère Marguerite (qu'on fait passer pour sa grande sœur) et sa grand-mère (qu'on fait passer pour sa mère). Vous suivez ?

    À vingt ans, Aragon découvrira la vérité. Il restera attaché à sa mère toute sa vie et vouera une inimité tenace à ce père célèbre et brillant qui les a entretenus, mais aussi soigneusement tenus à distance de sa vie officielle. Nathalie Piegay dénoue parfaitement cet imbroglio —, qui a tout de même produit l'un des plus grands écrivains français du XXème siècle !

    Unknown-1.jpegLa vie de Louis Andrieux, le père donc, est connue et largement étudiée (voir ici). Mais on savait peu de choses sur Marguerite qui a élevé et aimé cet enfant naturel. Nathalie Piegay mène l'enquête. Elle se rend sur les lieux où Marguerite a vécu. Elle découvre que cette femme, jusqu'ici invisible, a exercé plusieurs métiers et qu'elle a écrit des romans, vendus comme suppléments à certains magazines féminins. Une abondance de romans, même.

    Quelle influence cette mère écrivaine (et traductrice) a-t-elle eue sur son fils ? Impossible à dire, bien sûr.

    Mais le feu de l'écriture passe par là…

    Au fil des pages, le mystère Marguerite se dévoile. Mais la part d'ombre reste intense, car les documents, textes, traces de cette vie discrète font défaut. Nathalie Piegay se livre elle-même beaucoup dans le portrait de cette femme « invisible », avec une ferveur teintée de féminisme. Ce qui rend le livre (est-ce un roman ? un récit ? un essai ?) à la fois attachant et passionnant à lire.

    La Femme invisible fait partie du dernier trio de prétendants au Prix Renaudot essai. Je lui souhaite bonne chance !

    * Nathalie Piegay, La Femme invisible, éditions du Rocher, 2018.

  • La légende de l'amour (Marc Pautrel)

    Unknown.jpegC'est l'histoire d'une rencontre improbable : un écrivain français passe quelques jours en résidence, comme on dit, dans le Sud de la France, avec des chercheurs et des scientifiques venus du monde entier (il y a des Russes, des Italiens, des Américains). Tout ce beau monde, pendant une semaine, y mène une vie princière. Nourris, logés, disposant de tout leur temps libre, ils se retrouvent chaque soir, entre cheminée et lustres de cristal, autour d'une table richement garnie. 

    C'est là que le narrateur va rencontrer une jeune femme italienne, L., venue travailler sur sa thèse (« La figure du Christ chez les grands auteurs contemporains »). Dès le premier regard échangé, quelque chose se passe. Ou plutôt quelque chose passe de l'un à l'autre. Coup de foudre silencieux ? Pur fantasme du narrateur ? C'est cet échange mystérieux que Marc Pautrel va tenter d'éclairer dans son dernier roman, La vie princière*, un récit sobre et lumineux qui tient le lecteur en haleine.

    L'homme et la femme vont se revoir tous les jours, manger ensemble, se promener au milieu des amandiers et des oliviers. Ils vont se rapprocher tout en se maintenant toujours dans une étroite distance. Pautrel décrit très bien cette attraction muette, cette complicité qui s'installe, en même temps que la faille qui demeure entre les amoureux qui ne seront jamais amants.

    Ce court et intense roman prend la forme d'une lettre que le narrateur écrit à la jeune femme qu'il a rencontrée au Domaine (je ne suis pas sûr qu'il la lui envoie). Il décrit l'après-coup d'une rencontre. Les images. Les regrets. Les émotions. Et le vide qui l'appelle après que la jeune femme est repartie. « La séparation est devenue une constante de mon existence qui m'a forcé à changer de vie, et c'est pour ça que je me suis retrouvé romancier : je veux tout transformer en légende, créer une boucle continue, doubler l'éternité. »

    Un roman ciselé, brillant et retenu.

    * Marc Pautrel, La vie princière, roman, Gallimard, 2018.