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  • Qui sont les vrais minables ?

    images-3.jpegEn traitant Gérard Depardieu de « minable », le premier ministre français Jean-Marc Ayrault, relayé par sa collègue ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, n'a pas seulement commis une erreur, mais une faute. En insultant Gégé, le sinistre Ayrault ne s'en prend pas à n'importe qui : il essaie de salir le plus grand comédien français contemporain (170 films tournés, d'Audiard à Duras, de Godard à Berri, de Bertolucci à Kassovitz) en le désignant à la vindicte populaire, parce qu'il a décidé de s'installer en Belgique. Heureusement que le grand Gégé n'est pas allé se loger en Allemagne : on l'aurait traité de collabo !

    L'erreur d'Ayrault, c'est qu'insultant un artiste hors du commun, il attaque la France au cœur. Aux tripes. Car Depardieu n'est pas seulement un comédien génial, c'est aussi un entrepreneur à succès, un défenseur du cinéma français, un ambassadeur hors pair à l'étranger : autrement dit, une icône nationale. À la fois Jean de Florette et Obélix. Rodin et Cyrano. Mammuth et le colonel Chabert. Provocateur et bon vivant. Hâbleur et excessif. Il incarne la diversité gouailleuse, l'irréductible volonté de rélsistance du pays tout entier…

    Depardieu, c'est la France. Et quand la France s'insulte, se déchire, s'exile, c'est le symptôme d'un malaise important. En le traitant de « minable », le sinistre Ayrault a commis une faute : il a montré au monde entier son impuissance (à retenir les artistes qui ont « réussi »), son désir mesquin de revanche (Depardieu a voté Sarkozy, il faut donc le punir), sa rage à faire un exemple (ah ! les sales riches ! On va les faire payer !).

    Nul doute que Depardieu s'en souviendra bientôt lorsqu'il incarnera à l'écran Dominique Strauss-Kahn, un autre fleuron de la France éternelle (et socialiste) !

  • Deux artistes aux Grottes

    Prévu initialement dans le numéro de décembre du magazine Uniréso « Ou bien ?! », consacré au quartier des Grottes, cet excellent article, signé Laurence Faulkner Sciboz, a été écarté de la publication finale, ainsi que d'autres consacrés à ce vieux quartier militant, pour de mystérieuses (et confédérales) raisons. C'est une très bonne raison de le publier ici !

    « Le musicien et l’écrivain. Deux hommes dont la renommée dépasse les frontières du pays. Deux hommes habitant les Grottes depuis plus de trente ans, mais dont la relation au quartier s’est faite de manière très différente. Rencontre avec Eduardo Kohan et Jean-Michel Olivier.

    images-5.jpegQuartier militant, les Grottes sont aussi depuis plus de trente ans, le lieu de vie de deux personnalités à la renommée internationale. L’écrivain et journaliste Jean-Michel Olivier, lauréat du prix Interallié en 2010, prix littéraire français qui récompense chaque année depuis 1930 le roman d’un journaliste. Et Eduardo Kohan, saxophoniste, improvisateur et compositeur. Parti du quartier de Saint-Jean, Jean-Michel a emménagé en 1978 dans son appartement de la rue du Fort-Barreau où il vit encore aujourd’hui. Eduardo Kohan, arrivé à Genève en 1975 de son Argentine natale, en est à sa cinquième adresse. Toujours dans le quartier des Grottes.

    Le saxophoniste qui dévorait les livres

    DownloadedFile.jpegMusicien et citoyen. Si l’on voulait résumer sommairement Eduardo Kohan, jazzman de son état, on pourrait le faire ainsi.  Mais ces deux fonctions n’ont pas toujours été équilibrées de la même manière. Militant pour la sauvegarde des Grottes dans les années 70, il a été co-fondateur de l’Association des Habitants du quartier en 1984, suite au projet de démolition-reconstruction de l’Îlot 13. Rencontré Place des Grottes, Eduardo Kohan tient à nous emmener dans « son » coin des Grottes, et nous entraine à travers le Parc des Cropettes, jusqu’au pittoresque Îlot 13. À la rue Montbrillant, à la rue des Gares, chaque bâtiment a son histoire qu’Eduardo connaît bien. La casquette vissée sur la tête, de sa voix douce il nous raconte son combat pour préserver ce petit coin de paradis au cœur de Genève. « Nous nous sommes battus pendant des années pour sauver les immeubles du quartier ! Ce combat prenait le plus clair de mon temps. » Comme, ils ont eu raison ! Les immeubles rénovés ont gardé leur cachet. Les façades colorées, les arcades, les grosses pierres au sol et les arbres donnent à l’Îlot 13 des faux airs de village provençal. Mais les choses ont changé, les gens ne sont plus les mêmes. « Des années militantes, il ne reste plus que Thierry Clerc et moi qui habitons l’Îlot 13,  reprend Eduardo d’un air pensif. »

    « Pendant mes années militantes, j’ai négligé mon saxophone »

    « J’ai 63 ans et désormais, mes préoccupations ne sont plus les mêmes. Pendant mes années militantes, j’ai négligé mon saxophone. Aujourd’hui, je m’occupe de mon petit-fils (mon fils et sa famille habitent aussi le quartier des Grottes !) et de ma musique. J’aime beaucoup apprendre et l’improvisation n’a pas de limites. images-3.jpegChaque jour, je découvre d’autres choses que j’aimerais faire. J’ai commencé très jeune par le piano. Puis, j’ai découvert le jazz et le saxophone à 18 ans. Le piano est le seul instrument où l’on peut visualiser la musique. On voit les touches noires, les touches blanches et l’on comprend comment se construit cette musique… Je joue le saxophone comme on joue au piano. J’ai des projets, notamment un duo avec mon complice pianiste Jean Ferrarini, avec qui j’ai déjà enregistré un CD en 2004. En 2013, nous allons faire un album et un film vidéo. Après la musique, ce que je préfère faire, c’est la lecture. Je suis un très grand lecteur. D’ailleurs, j’habite juste au dessus d’une librairie fantastique, j’y vais presque tous les jours : la Librairie de Nicolas Barone. Je suis très heureux de connaître personnellement Jean-Michel Olivier qui est un grand écrivain. »

    L’écrivain qui jouait du piano

    « J’apprécie beaucoup Eduardo Kohan, il a enseigné le piano à mes filles pendant des années. » images-1.jpegC’est au restaurant italien La Grotta que l’écrivain Jean-Michel Olivier a choisi de nous rencontrer. Sourire calme, regard limpide. À bientôt 60 ans, Jean-Michel Olivier a un air d’éternel adolescent. Sur la table, à la terrasse du restaurant, il nous a amené ses deux derniers romans. L’amour nègre*, pour lequel il a reçu le prix Interallié et son dernier roman sorti en septembre dernier : Après l’orgie**, qui est le second volet de L’amour nègre. Un roman écrit en neuf mois, « le temps d’une grossesse…» précise, Jean-Michel. L’écrivain est un hyperactif. La promotion de L’amour nègre l’a mené dans le monde entier. Mais il a depuis écrit un recueil de nouvelles et un nouveau roman. Outre l’écriture romanesque, il rédige deux chroniques régulières dans des quotidiens romands : la Liberté et le Nouvelliste, il tient un blog à la Tribune de Genève, il enseigne le français et l’anglais au collège de Saussure et il s’occupe de la collection Poche suisse aux éditions l’Âge d’Homme… Rien que ça suffirait à nous donner le tournis. Mais l’écrivain est également pianiste : « Je joue toujours du piano. Pour moi, l’écriture, c’est un peu comme l’improvisation dans le jazz… »

    « J’ai décrit plusieurs fois les Grottes dans mes livres »

    images-4.jpeg« J’ai décrit plusieurs fois les Grottes dans mes livres. Dans L’amour nègre, j’en ai décrit le côté nocturne, dealers et criminalité. C’est un aspect douloureux de l’évolution du quartier, le parc des Cropettes, la nuit, il faut désormais l’éviter… » L’écrivain a aussi publié le portrait d’une personnalité extravagante du quartier des Grottes dans Notre Dame du Fort-Barreau***. images-2.jpegC’était une femme solitaire. Une quasi clocharde habillée de haillons et pourtant, elle possédait trois immeubles sur l’avenue des Grottes. Elle gardait volontairement les loyers extrêmement bas et avait recueilli dans ses appartements des marginaux désargentés. « J’avais l’habitude de venir déjeuner ici, à La Grotta avec Jeanne Stöckli-Besençon. Le restaurant s’appelait autrefois Les Nations. Malgré son grand âge, nous avions une relation presque amoureuse… C’est sans doute pour ça que je suis attaché à ce restaurant et son sympathique patron, Sandro ! Jeanne est décédée en 1996 à presque 90 ans. À sa mort, elle a légué ses immeubles à la ville... » 

    Le combat continue

    De manière romanesque ou militante, leur quartier a inspiré avec succès Jean-Michel et Eduardo.  Pourtant aux Grottes, rien n’est gagné. Aujourd’hui, l’Îlot 13 est à nouveau menacé. La gare Cornavin doit s’agrandir, les CFF ont besoin de nouvelles voies. Et c’est sur ce havre préservé au prix de longues années de négociations que les Chemins de fer fédéraux voient la gare se développer. Eduardo n’est plus de la bataille, il a d’autres projets, mais aux Grottes, le combat continue. »

    Laurence FAULKNER SCIBOZ

     

    www.eduardokohan.com

    * L'amour nègre, édition de Fallois-L'Âge d'Homme, 2010

    **Après l’orgie, édition de Fallois-L'Âge d'Homme, 2012

    *** Notre Dame du Fort-Barreau, récit, L’Âge d’Homme, 2008. 


    La Grotta

    Spécialités italiennes

    Rue du Midi 8

    1201 Genève

    Tél. 022 733 84 07

     

    Librairie Nicolas Barone

    Livres d’occasion

    15, bis rue des Gares

    1201 Genève

    Tél. 022 740 14 82

    Horaire d’ouvertures :

    Lundi au vendredi de 15h à 19h

    Samedi de 14h à 18h

     

     

     

     

     

     

     

     

    13.09.2012

  • L'année Rousseau

    images-2.jpegNé à Genève, il y a 300 cents ans, et mort en France, à Ermenonville, en 1778 (avec un passeport prussien !), Jean-Jacques Rousseau aura mené la vie d’un vagabond, tantôt adulé par les grands de ce monde et tantôt pourchassé pour ses idées progressistes. On se souvient que sa bonne ville natale, à l’exemple de Paris, a brûlé deux de ses livres, L’Émile et Le Contrat social, sur la place publique, en 1762. Il a refusé les honneurs et les compromissions. Il s’est battu, sa vie durant, pour son indépendance irréductible. Il a aimé des marquises et des comtesses, mais a passé trente ans avec Thérèse Levasseur, une blanchisseuse qui ne savait ni lire, ni écrire, selon la légende, et qu’il a épousée, lui, l’adversaire farouche des conventions.

    L’année qui se termine aura été l’année Rousseau. Publications et republications (dont l’œuvre complète en version numérique chez Slatkine). Colloques. Pièces de théâtre. Opéras. Films et téléfilms. N’en jetez plus, la cour est pleine ! Il y aura eu à boire et à manger dans cette frénésie commémorative. images-4.jpegDu bon, et même du très bon, comme le livre de Guillaume Chevevière, Rousseau, une histoire genevoise (Labor et Fides), et la pièce de Dominique Ziegler, Le trip Rousseau. images-3.jpegUn opéra plutôt moyen : JJR (Citoyen de Genève). Une série de courts métrages : La faute à Rousseau, où le meilleur côtoyait très souvent le pire. Mais Rousseau n’était-il pas l’adversaire acharné du spectacle ?

    Moi qui ai eu la chance de parler de Rousseau à New York, à Paris et en Californie, j’ai pu me rendre compte de l’extraordinaire actualité de sa pensée, qu’elle soit politique (elle a influencé le mouvement Occupy Wall Street et celui des Indignés), pédagogique (on lit encore L’Émile dans tous les instituts de formation des maîtres), musicale ou botanique (on considère Jean-Jacques comme le précurseur de l’écologie). Sans parler, bien sûr, de son influence littéraire. Son roman épistolaire, La Nouvelle Héloïse, a fait pleurer des générations de lectrices. Et les Confessions, chef-d’œuvre d’introspection rusée, a montré la voie à ce qu’on appelle aujourd’hui l’autofiction, représentée par Annie Ernaux, Delphine de Vigan ou Christine Angot.

    images-6.jpegCette année aura été également celle de Jean Starobinski, écrivain et critique genevois qui vient de fêter ses 92 ans et de publier, coup sur coup, trois livres extraordinaires. L’un sur Rousseau*, le deuxième sur Diderot** et le dernier sur l’histoire de la mélancolie***. Que serait Jean-Jacques sans Staro, comme l’appelaient ses étudiants ? Le professeur genevois a contribué, comme nul autre, à faire (mieux) connaître, la pensée de Rousseau : l’importance du regard dans son œuvre, son désir constant de transparence, ses ruses pour séduire ses contemporains tout en les accusant, son tempérament mélancolique.

    Oui, il faut relire Rousseau, tous les jours, comme Starobinski nous le conseille : c’est une mine, un trésor d’humanité, de liberté et de poésie.

    * Jean Starobinski, Accuser et séduire, Gallimard, 2012.

    ** Jean Starobinski, Diderot, un diable de ramage, Gallimard, 2012.

    *** Jean  Starobinski, L’Encre de la mélancolie, Le Seuil, 2012.