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Ecrivain de la comédie romande - Page 10

  • Les Illusions perdues : l'hommage du cinéma à la littérature

    images.jpegActuellement, sur les (grands) écrans, il y a un film à ne pas manquer : Les Illusions perdues, de Xavier Giannoli, avec Cécile de France, Jeanne Balibar, Vincent Lacoste, Gérard Depardieu et Benjamin Voisin dans le rôle principal de Lucien de Rubempré. Un film de facture très classique, bien construit et formidablement interprété par une belle équipe de comédiens. 

    Ce n'est pas la première fois que le roman de Balzac est porté à l'écran. Il en existe déjà plusieurs versions. Et l'on comprend pourquoi : à travers la fable d'un jeune provincial (Lucien de Rubempré) montant à Paris pour réaliser ses ambitions, Balzac nous livre une satire sociale sans concessions. Les journalistes (corrompus), les comédiens (méprisés), les politiques (des girouettes) : tout le monde, ou presque, en prend pour son grade dans ce portrait au vitriol d'une société décadente (la Restauration) qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la nôtre. Une noblesse jalouse de ses privilèges (une assez pâle Cécile de France). Des gratte-papiers ambitieux et cyniques (excellent Vincent Lacoste). Un agitateur de cabale (Jean-François Stévenin) qui se vend au plus offrant. Le pouvoir absolu des canards. (il y a d'ailleurs dans le film une vraie basse-cour qui se promène en liberté dans les bureaux). Le succès qui s'achète, mais bien sûr entraîne dans la ruine le petit provincial ambitieux et naïf. 

    images-1.jpegSi le film est aussi réussi, deux heures d'un spectacle jouissif et édifiant, il le doit aux comédiens, tous impeccables. Il le doit aussi au réalisateur, Xavier Giannoli, qui met en scène cette danse macabre avec finesse et drôlerie. Mais il le doit surtout au scénariste, un certain Honoré de Balzac, qui donne le ton, la couleur et le sens profond du film. Une fois de plus, l'écrivain est en avance sur son temps : son présent (le roman, en trois parties, a été publié entre 1837 et 1843) est le nôtre : il nous regarde avec une stupéfiante actualité. La profusion des canards (le premier  nom des fake news — des fausses nouvelles). Les cabales. La manipulation de l'information. La corruption. Les vilénies politiques. Etc.

    Il faut aller voir ce film, non seulement pour ses très grandes qualités artistiques, mais aussi pour ce qu'il est en fin de compte : un magnifique hommage à la littérature. 

  • Des enfants dans la guerre (Marc Bressant)

    images.jpegIl y a sans doute des souvenirs d'enfance dans le dernier roman de Marc Bressant (né en 1938), diplomate, homme de culture (il a dirigé TV5 Monde) et écrivain prolixe. La cabane de l'Anglais*, son dernier livre, publié aux éditions Hérodios, est une manière de fable qui revisite les derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale.

    Nous sommes en mars 1944, à quelques mois du débarquement allié. Deux sœurs, dont les maris sont prisonniers en Allemagne, quittent Paris avec leurs trois enfants. Elles ne vont pas très loin, à 25 kilomètres de la capitale, et s'installent dans une vieille ferme désaffectée. Dans ce « monde sans hommes » (partis à la guerre, prisonniers ou décédés), les enfants, libres et livrés à eux-mêmes, vont comploter, à leur manière, à la fois pour passer le temps et pour participer, aussi, à la grande Histoire. Dans le plus grand secret, ils construisent une cabane au fond des bois où ils rêvent d'accueillir un soldat allié (il n'est pas rare, dans les environs, qu'un avion britannique soit abattu par la DCA allemande et que son pilote saute en parachute). 

    images-1.jpegTout le roman, qui fait revivre, avec saveur et minutie, la vie d'un petit village français, tourne autour de ce secret bien gardé. On y croise un maire plutôt complaisant avec l'occupant, un bedeau qui résiste, des femmes qui luttent pour survivre et nourrir leurs enfants, une grand-mère qui écoute radio-Londres et, bien sûr, un collabo qui finira mal. Marc Bressant reconstitue avec talent cette survie, banale ou héroïque, en ces temps difficiles, et surtout le monde de l'enfance, des rêves et des espoirs, des folies aussi propres à cet âge (les enfants savent bien qu'ils risquent d'être fusillés si l'on découvre leur cabane). Il y a de très belles pages sur l'amitié et la solidarité de ces trois mômes qui défient les plus grands dangers.

    « Comme dans les plus cruels des Contes de Grimm, les pères sont retenus en Allemagne par des dragons à plusieurs têtes. Peut-être parviendra-t-on un jour à les arracher à leurs griffes, mais d'abord il faut que les Anglais réussissent à débarquer sur le continent. »

    Dans cette fable élégante et subtile, la chute (ou la morale) est surprenante et bien trouvée. Je me garderai bien de la dévoiler ici. Le lecteur en jugera par lui-même. Inspirée de faits réels, cette fable touche au cœur et nous replonge dans les rêves, la folie et les jeux de l'enfance sous l'occupation.

    * Marc Bressant, La cabane de l'Anglais, roman, éditions Hérodios, 2021. 

  • Corine Renevey, dans le Grand Soir, jeudi 30 septembre, sur La Première

    320.pngCorine Renevey sera l'invitée de Mélanie Croubalian et Eric Grosjean dans l'émission Le Grand Soir, sur RTS La Première, jeudi 30 septembre, à partir de 19 heures, pour son livre Mousse Boulanger, femme poésie (éditions de l'Aire).

    À cette occasion, je me permets de reprendre l'excellent article que Vittorio Frigerio, Professeur à Dalhousie University (Canada) a consacré au livre de Corine Renevey, à paraître dans la revue Dalhousie French Studies / Revue d'études littéraires du Canada atlantique.

     

    Un parcours de vie unique

    par Vittorio Frigerio

    206009674_10159388805128987_2324239970369505454_n.jpgLa biographie est un exercice périlleux. Faire rentrer une vie entière en quelques pages, et avec elle des lieux, des époques, tracer des frontières et marquer des chemins pour faire ressortir un parcours d’une masse de faits, de souvenirs, de documents, choisir ceci et pas cela, n’est jamais une entreprise de tout repos. Et cela peut-être d’autant moins lorsque le sujet sur lequel on se penche n’a pas encore eu la gentillesse de vider les lieux, pour laisser les coudées franches à celle qui a eu la prétention de vouloir parcourir son existence, le crayon gras à la main, prête à souligner des passages qui acquerront dès lors une importance que les jours qui coulent ne savent pas toujours tout de suite reconnaître. Mais ce qui pourrait paraître un obstacle à ceux qui conçoivent la biographie comme un métier proche de la taxidermie, devient un avantage notable lorsque la complicité s’en mêle. Complicité accompagnée de sensibilité, d’ouverture, de curiosité amicale et aussi de ce zeste d’imagination qui ne doit pas manquer pour que la réalité apparaisse sous ses vraies couleurs. Tel est ce volume que Corine Renevey consacre à un personnage important de la scène littéraire suisse-romande – que le grand public a appris à connaître surtout par sa présence, durable et remarquée, dans les médias, au service de la diffusion de la poésie – elle-même poétesse de grand talent : cette Berthe Neuenschwander, née en 1926, qui, sous le nom de Mousse Boulanger, crée pour la Radio Suisse Romande la célèbre émission « Marchands d’images ».

    Dans un volume soigneusement documenté, basé sur des recherches d’archives multiples et minutieuses ainsi que sur de longs entretiens avec Mousse Boulanger elle-même, Corine Renevey reconstruit un parcours de vie unique avec des traits précis et une écriture sensible. On suit l’autrice de son enfance jurassienne – avec l’influence des maîtres d’école, dont un professeur de français qui lit à ses élèves les poèmes de Jehan Rictus – jusqu’à un séjour londonien formateur, au milieu d’anciens volontaires républicains de la guerre civile espagnole qui l’aident à se construire une conscience politique et où elle fait pour la première fois l’expérience du théâtre, qui la marque profondément, jusqu’à son retour en Suisse, où elle s’installe à Plainpalais, le quartier ouvrier de Genève. C’est là qu’elle fait la connaissance de Pierre Boulanger, comédien, acteur, mime, élève du grand Étienne Decroux, à la mémoire et à la présence scénique extraordinaires. Et c’est le début d’une histoire d’amour qui sera également celle de la passion que les deux ressentent pour la poésie. Mousse épouse Pierre, à la condition expresse qu’il ne fasse pas son service militaire, exigence indépassable pour cette gauchiste, pacifiste, féministe convaincue, qui s’était donné, dès ses débuts, le but d’œuvrer pour « faire la lumière sur ces vies que l’histoire écarte comme si elles étaient trop petites pour mériter une inscription dans la mémoire collective » et qui « sera toujours du côté des faibles, des oubliés, des pauvres qu’on exploite » (34). Et en 1955 a lieu leur entrée à la radio, à Lausanne, où sur la fausse ligne des expériences de Paul Éluard à Paris ils créent les « Marchands d’images » et réalisent au fil des ans environ 420 émissions : une « utopie politique » (94) qui est en même temps une utopie poétique, la lecture sur les ondes comme « possibilité de vivre en commun et d’éliminer la violence » (97). Animés d’une éthique professionnelle sévère et exigeante (car « le talent, c’est du travail » [66]) et d’une curiosité insatiable qui les porte à tisser des liens avec des poètes des quatre coins du monde, Mousse et Pierre, l’une « l’intellectuelle du couple », l’autre « l’artiste interprète » (88) arrivent à travers leurs activités – y compris nombre de déplacements et de tournées à l’étranger, notamment dans des festivals tel que celui d’Avignon – et grâce à « une réelle volonté de transmission » (117), à faire découvrir le monde de la poésie à un public souvent « composé de vignerons, de paysans et d’ouvriers » (128). Toutes leurs activités, à l’enseigne de l’ouverture, de la curiosité et de la passion poétique, prouvent à l’envi que la beauté et la sensibilité ne sont pas affaire de classe – conclusion n’allant guère de soi dans la Suisse de l’époque, ni d’autre part ailleurs non plus. Cette collaboration extraordinaire dure jusqu’en 1978, année où Pierre Boulanger meurt soudainement d’une maladie contractée lors d’un voyage au Sénégal, qui est aussi l’année où Mousse est élue à la présidence de la Société suisse des écrivains. Et alors cette biographie devient également l’occasion de reconstituer les rivalités, les conflits et les jalousies de ce milieu littéraire très particulier, éternellement en formation, à la géographie incertaine, et les figures de plusieurs des personnages qui l’animent : Gustave Roud, Corinna Bille, Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet et bien d’autres encore. Là aussi, Mousse Boulanger a encore l’occasion de se distinguer et de revendiquer son indépendance de pensée lors d’une dispute entourant la publication de la correspondance entre Gustave Roud et la poétesse Vio Martin, qui entame sérieusement l’image de poète maudit, éternellement déprimé et secrètement homosexuel de Roud. Le mécontentement des grands prêtres de la littérature nationale, et notamment du Centre de recherches sur les lettres romandes de l’Université de Lausanne, portera à la démission des membres du comité fondateur de l’Association des écrivains, dont la mémoire sera officiellement rayée de l’histoire du groupement, et la dispute se poursuivra pendant des décennies. Petitesses d’un petit milieu littéraire, mesquineries entourant une polémique inepte et inutile, où Mousse Boulanger, esprit indépendant, reste fidèle à sa position et ne dévie pas, malgré les conséquences, de la ligne qu’elle s’est donnée.

    Plusieurs annexes et appendices viennent compléter ce volume, offrant la retranscription de documents ayant trait à la Société suisse des écrivains, une chronologie de la vie de l’écrivaine et de ses activités, jusqu’à la publication de son dernier recueil poétique en 2018, une bibliographie incluant non seulement ses écrits, que ce soit dans des revues ou en volumes, mais également les enregistrements radiophoniques ou sur disque, et pour terminer un choix d’articles critiques. Un dossier iconographique d’une quinzaine de pages propose des photographies de Mousse Boulanger, de ses proches et de ses collègues, tout au long de son existence.

    Ce livre, écrit en un style fort agréable et qui se lit d’un trait, est un bel hommage à une figure dont la vaste popularité auprès du grand public ne se traduisit pas toujours dans une reconnaissance de même niveau dans les milieux officiels de la culture helvétique. En tant que tel, dans le même esprit de l’œuvre de son sujet, il représente aussi un travail de correction bienvenu d’une mémoire collective parfois trop lacunaire.

    Vittorio Frigerio Dalhousie University

    * Renevey, Corine. Mousse Boulanger. Femme poésie : une biographie. Vevey : L’Aire, 2021. 239 p.