Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ecrivain de la comédie romande - Page 246

  • Le sommet des guignols ou le monde à l'envers

    swisstxt20090419_10591068_1.jpgSi la politique avait besoin de se refaire une beauté et une crédibilité, ce n'est pas à Genève que cela risque de se passer. En effet, la Conférence de l'ONU sur le racisme, dite de « Durban II », qui s'ouvre aujourd'hui dans un climat alourdi par la défection de plusieurs pays occidentaux, ressemble à un sketch des Guignols. Impatient d'avoir une tribune internationale, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad se frotte déjà les mains. À Cointrin, il a été accueilli par l'inénarrable Moutinot, qui lui a déroulé le tapis rouge, puis par notre président Hans Rudolf Merz. En attendant de faire la bise à Micheline Calmy-Rey, qu'il connaît de longue date et qu'il avait parée des plus beaux voiles à Téhéran…

    Dans cette foire d'empoigne, tout le monde se drape dans sa profonde dignité. Les États-Unis ne viendront pas, eux qui bafouent les droits de l'Homme à Guantanamo (bientôt fermée, heureusement). Israël non plus, qui multiplie les crimes de guerre et pratique le racisme ordinaire vis à vis des Palestiniens, enfermés par de hauts murs. Le Canada (qu'on a connu plus courageux), l'Australie, la Nouvelle-Zélande non plus, qui imitent, en fidèles caniches, l'exemple du grand frère américain.

    En revanche, la Lybie, l'Iran, la Syrie, le Pakistan, ces grands défenseurs des Droits de l'Homme qui lapident les femmes et punissent souvent de mort l'homosexualité, seront bien présents. Ouf! On se réjouit des débats lumineux qui vont résonner dans la noble enceinte du Palais des Nations…

    Comme on le voit, c'est le monde à l'envers. Les Droits de l'Homme sont défendus par ceux qui les bafouent et ceux qui pourraient les défendre brillent par leur absence, craignant sans doute qu'on les accuse, eux aussi, de ne pas respecter les règles du jeu.

    Alors, encore une conférence inutile?

    Peut-être pas. Si les absents ont toujours tort, les présents asséneront quelques vérités bien senties qui échapperont aux bornes du politiquement correct. On peut faire confiance au président Ahmadinedjad pour cela. Si l'Occident l'adore (adore le haïr), c'est qu'il représente le Diable en personne. Et nous avons tellement besoin du Diable…

  • L'abîme amoureux

    images-1.jpegIl y a de la douleur, et beaucoup d'amertume, dans l'un des derniers livres de Monique Laederach dont le titre, Je n'ai pas dansé dans l'île*, évoque en creux l'abîme de l'amour (ou l'amour abîmé).
    Comme L'Amant de Duras (dont il adopte la structure éclatée) le roman de Monique Laederach s'ouvre sur une image perdue : Jarkko tapant à la machine ses poèmes nocturnes, martèlement des lettres, musique perverse et déchirante, tandis qu'Emmanuelle, la narratrice et maîtresse de Jarkko, l'écoute faire, partagée entre admiration et détestation.
    Peu à peu, comme on recolle les morceaux d'une photographie, Emmanuelle reconstitue (c'est-à-dire réinvente) son histoire, et cela moins pour la revivre, certainement, que pour se convaincre qu'elle a vraiment eu lieu. Qu'elle a bel et bien rencontré, en Macédoine, lors d'un festival de littérature, cet écrivain finlandais au nom bizarre, Jarkko, poète surdoué, homosexuel et porté, comme quelques autres, sur la bouteille.
    Ils n'ont pas de langue commune, mais inventent très vite un « langage du corps » qui en tient lieu : « sa main, son bras, sa bouche — et cette constellation hors de toutes les langues, mots léchés caressés transcrits en traces de griffures sur la peau, et les gémissements, les onomatopées qui disaient tout. » Cet amour, qui fait exploser le langage, système de conventions hasardeuses, ne suffit pas à concilier leurs différences et les conflits éclatent bientôt, irréductibles. Ils se séparent, puis Emmanuelle va rejoindre son amant en Finlande, à Lahti, pour un autre festival, au cours duquel Jarkko est célébré, alors qu'Emmanuelle est condamnée à rester dans son ombre. Une nouvelle rencontre aura lieu à Vienne, quelques mois plus tard, mais cette fois sous le signe de la mort : Jarkko vit avec Erich, semble peu disposé à accorder une autre chance à leur amour, détruit sa vie à petit feu. Leur brève vie commune ne fait qu'accuser, encore une fois, l'abîme qui les séparent : sexuel, culturel, littéraire aussi, car l'œuvre de Jarkko connaît une reconnaissance, qu'Emmanuelle envie : « c'est moi qui ai essayé de leur voler le feu. Mais même pour cela, il ne suffit pas de feindre : aucune femme n'est Prométhée. »
    Emmanuelle décide alors de rentrer en Suisse où elle continue à écrire, puis à publier, mais sous un pseudonyme masculin, croyant ainsi échapper à la malédiction qui — elle en est convaincue — poursuit toutes les femmes. Peine perdue. Le pseudonyme ne fait rien à l'affaire et l'écriture, en elle, même dans la peau d'un autre, reste une blessure à vif. Elle reverra Jarkko, dans une clinique de Helsinki, une dernière fois, juste avant qu'il meure du sida, en septembre 90, puis tombera malade à son tour.
    On voit comment l'amour, qui frôle ici l'abîme, se mue tout au long du récit en amour abîmé, toujours orphelin de lui-même, et condamné, si j'ose dire, à une éternelle déception. On retrouve dans ce livre les thèmes chers à Monique Laederach : l'inconciliable différence des sexes, la quête, aussi, d'une identité féminine, dans et par l'écriture, qui ne devrait rien à personne, sinon à elle-même. Même alourdi de clichés féministes, d'une écriture parfois exagérément durassienne, Je n'ai pas dansé dans l'île est certainement l'un des meilleurs romans de Monique Laederach, qui retrouve ici l'inspiration violente de La femme séparée.

    * Monique Leaderach, Je n'ai pas dansé dans l'île, l'Âge d'Homme, 2000.

    A lire également, chez le même éditeur, Poésies complètes.

  • Dirty money, le film qui tombe à pic

    Affiche_723.jpg Comme l'homme du même nom, voici un film qui tombe à pic! Pile poil dans l'actualité, au moment où la Suisse, attaquée de toutes parts, doit admettre les pratiques frauduleuses de ses banquiers et en rabattre sur sa sacro-sainte moralité. Ce devrait être l'occasion, pour beaucoup de monde, de laver le linge sale non seulement en famille, mais sur la place publique. Car ce que le film de Dominique Othenin-Girard, Dirty money, l'Infiltré, nous montre s'est rééllement passé, et se passe encore aujourd'hui.

    On sait que ce film coup de poing est basé sur le livre de Fausto Cattaneo,* un flic tessinois intègre et assez fou pour jouer les infiltrés dans les réseaux de blanchiment d'argent lié au trafic de drogue. En particulier avec la Turquie. Sans complaisance, le film montre bien les espoirs et les doutes de l'agent infiltré (Antoine Basler, qui joue en état d'urgence). Lequel, manipulé par un juge ambitieux (Michel Voïta, excellent), doit d'abord se battre contre ses supérieurs hiérarchiques, et une procureur elle aussi ambitieuse, revancharde et sans scrupule (interprétée par Caroline Gasser), qui fait penser à notre Carla (del Ponte, hélas, et non Bruni!).

    Haletant d'un bout à l'autre, mis en scène comme une partie d'échecs où tout serait pipé mystérieusement d'avance, le film de Dominique Othenin-Girard a le grand mérite de saisir la question de l'argent sale à bras le corps. Comme un nœud d'alliances et de compromissions, de convoitises, de 41X157ZD4NL._SL500_AA240_.jpgsilences armés, de complicités peu reluisantes. Le rythme est bien sûr soutenu. Le propos, d'abord un peu confus, se clarifie au fil de la narration, et de cette course éperdue pour prendre au piège les trafiquants de drogue, et ceux, chez nous, qui recyclent leur argent. Même si, parfois, on aimerait, de la part du réalisateur, un point de vue plus précis et plus clair, ce film fera date parce qu'il s'attaque aux fondements obscurs de notre opulence, les milliers de millions engrangés dans nos banques non seulement pour qu'ils y soient en sécurité, mais également pour qu'ils y soient blanchis.

    Cette grande lessive, Othenin-Girard en démonte patiemment le mécanisme secret et pour une fois qu'un cinéaste suisse saisit l'actualité à bras le corps, il faut lui rendre hommage.

    * Fausto Cattaneo, Comment j'ai infilté les cartes de la drogue, Albin Michel, 2001.