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Ecrivain de la comédie romande - Page 239

  • Minutes heureuses et sanglantes

    images.jpeg Calvin est à la mode et Genève lui fait sa fête. À vrai dire, il en prend pour son grade, le grand théologien genevois (d'adoption) ! Le spectacle concocté par François Rochaix, sur un texte de Michel Beretti, enfoncera le clou au mois de juillet. On se réjouit déjà. En attendant, comme une mise en bouche, voici Le Maître des minutes, qu'on peut aller découvrir à Saint-Gervais jusqu'à la fin du mois. Un spectacle épatant, fort, riche en couleurs et admirablement joué. Le texte et la mise en scène sont signées Dominique Ziegler et Nicolas Buri. Ziegler est un agitateur d'idées, d'images et de paroles qui a le vent en poupe. Ses spectacles, à cent lieues de la doxa officielle du théâtre contemporain, sont toujours des événements. C'est un Suisse au-dessus de tout soupçon! Quant à Nicolas Buri, nous avons déjà souligné les qualités de son excellent Pierre de scandale (éditions d'autre part, voir ici), une biographie tout à fait saisissante et personnelle du grand homme célébré aujourd'hui.

    Je ne vous résumerai pas Le Maître des minutes : il faut aller le découvrir séance tenante au Temple de Saint-Gervais, puis au théâtre du même nom. Le spectacle réserve bien des surprises. Pas tellement au niveau du contenu, car on y insiste sur l'expèce de dictature morale que Calvin a imposée à cette brave ville de Genève (assortie de toute sorte de procès, supplices, mises à mort ou bannissements) qui n'en demandait pas tant. Mais plutôt au niveau des personnages mis en scène : une tenancière de cabaret, un sonneur de cloches (le magnifique Roland Vouilloz), un excellent syndic (Bernard Escalon), un pasteur un peu dépassé (le très bon Alexandre Blanchet), une belle allumeuse (Pascale Vachoux), etc. Tous absolument crédibles, intéressants et surtout faits d'une pâte humaine qui nous ressemble. Et au niveau d'une réflexion sur le temps et sa maîtrise, obsession calvinienne fort bien développée dans la pièce. Et qui connaît de beaux jours encore maintenant...

    En un mot, une belle soirée comme le théâtre nous en réserve parfois, vivante et émouvante.

    * Le Maître des minutes, Calvin, le guetteur et l'horloge, de Dominique Ziegler et Nicolas Buri, au Théâtre Saint-Gervais jusqu'au 28 juin. Tous les soirs à 20h30.

  • Petit hommage aux cancres

    Dans la plupart des gymnases, lycées, collèges, écoles professionnelles, les examens sont terminés. C'est l'heure de vérité pour celles et ceux qui ont trimé toute l'année, les bons élèves donc, qui ont compris les règles du système, et les appliquent à la satisfaction des profs et des parents. Mais pour les autres aussi, c'est la fin de l'année, les touristes professionnels, les doux rêveurs, les grands contemplateurs de plafonds ou de fenêtres, les apprentis-graveurs sur les pupitres (et dans le dos du maître), les muets, les bouchés, les distraits, les étourdis, les dormeurs éveillés, tous ceux qui n'ont jamais leur matériel, ni livre, ni cahier, ni stylo bien sûr…

    Pour tous ceux-là, la fin de l'année rime avec la fin des haricots — c'est-à-dire des illusions…

    Rendons hommage, aujourd'hui et solennellement, aux rois du canular involontaire, de l'aphorisme déconcertant, tous ces pêcheurs de perles sans qui l'école ne serait pas l'école.

    Longue vie aux cancres dont voici un florilège des perles de culture :

    Lien permanent Catégories : badinage
  • La Justice en spectacle

    images-1.jpegPeu d’affaires ont autant défrayé la chronique judiciaire (et mondaine) que l’affaire Édouard Stern. Inutile de rappeler les faits : ils inondent les pages des quotidiens et des hebdomadaires, submergent les radios, prolifèrent sur les blogs et sont livrés par tranches, en feuilleton, sur toutes les chaînes de télévision. L’affaire a même inspiré plusieurs livres : l’enquête fouillée de deux journalistes, Valérie Duby et Alain Jourdan (Mort d’un banquier, éditions Privé, 2006) et pas moins de quatre romans : Latex de Laurent Schweizer (Le Seuil, 2008) ; Les Orphelins d’Hadrien Laroche (Allia, 2008), Comme une sterne en plein vol de Julien Hommage.
    Ce qui frappe dans le parfait quadrillage de l’affaire (pour ne pas dire matraquage), c’est que les faits, dorénavant, sont connus de tous. Les moindres détails ont été révélés au public ; l’emploi du temps des deux protagonistes, Cécile B. et Édouard S., reconstitué heure par heure, sinon minute par minute ; chaque parole, chaque regard et chaque geste avéré.
    La vie la plus intime est ainsi exhibée sur la place publique : c’est le triomphe de la société de spectacle chère à Guy Debord.
    Le plus étrange, on s’en doute, c’est que l’affaire S., comme toute affaire judiciaire, est couverte par ce qu’on appelle le secret de l’instruction. Autrement dit : l’obligation faite à toutes les parties (avocats, partie civile, témoins, etc.) de ne rien révéler de l’affaire avant l’ouverture du procès.
    Jugez du résultat !
    Constamment sollicités par les médias friands de révélations, les avocats des deux parties se sont répandus en déclarations péremptoires. Avec son panache habituel, Me Bonnant, défenseur de la famille Stern, a parfaitement joué son rôle d’avocat outragé ; en face de lui, Me Maurer, défenseur de Cécile B., a contre-attaqué avec vigueur. Quant au procureur Zappelli, il a clamé sur tous les tons qu’il ne pouvait rien dire… Mais que l’affaire ne relevait ni d’un complot, comme certains voulaient le faire accroire, ni d’un règlement de comptes, bien au contraire…
    À l’heure où s’achève à Genève le procès, tout semble donc déjà scellé, sinon par un accord tacite entre les parties, du moins par un filtrage savant des informations diffusées à la presse. On connaît la victime : Édouard S. On connaît la coupable : Cécile B. On connaît le mobile : l’argent.
    Certes, le tribunal est un théâtre qui fait toujours la part belle aux grands rôles comme aux modestes figurants, aux belles paroles comme aux effets de manche. Mais quand la Justice se donne ainsi en spectacle, quand elle devient l’emblème ostentatoire de la société de spectacle, on est en droit de s’inquiéter.
    Dans ce théâtre de marionnettes, qui manipule qui ? La presse qui déballe tout (mais qui fait son travail) ? Les avocats qui bluffent  ? L’inculpée qui simule (ou non) la folie ? Ou l’opinion publique toujours avide de scoops et de jugements à l’emporte-pièce ?
    Au fond, la question que ravive le traitement médiatique de l’affaire Stern est toujours la même : à qui, dans notre société saturée d’images et d’informations, profite le spectacle ?