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  • Les temps modernes

    Affiche_Chaplin_pgeexpo.jpgJ’avais manqué, l’année dernière, l’exposition Chaplin montée par le Musée de l’Élysée, à Lausanne, dépositaire de dizaines de milliers de documents et de photos sur cet artiste illustre, et toujours méconnu. Heureusement, il y a une séance de rattrapage. C’est au Palais Lumière, à Évian, jusqu’au 20 mai 2012*. Presque en face du Manoir de Ban, à Vevey, où Chaplin passa la dernière partie de sa vie.

    L’exposition, mise sur pied par Sam Stourdzé et Carole Sandrin, s’intitule « Images d’un mythe ». On y suit, pas à pas, la carrière de ce petit homme de génie. De son enfance à la Dickens, déchirée entre une mère à moitié folle et un père comédien presque toujours absent, aux premiers succès cinématographies.

    On dirait que chez Charles Spencer Chaplin (né en 1889) tout est précoce et excessif. Il débute sur les planches alors qu’il n’a même pas dix ans. À dix-neuf ans, il abandonne famille et école pour partir en tournée en Amérique avec la troupe du comédien Fred Karno. Il se passionne pour les aspects du théâtre, de la confection des décors aux costumes, aux éclairages, à la musique et, bien sûr, à la mise en scène. Il est à l’affût de toutes les inventions technologiques. Toujours à la pointe de l’époque, Chaplin.

    En 1914, dans un film muet intitulé Pour gagner sa vie, apparaît pour la première fois le personnage de Charlot. D’emblée, il est complet : chapeau melon, canne flexible et godillots troués. Petite moustache. Démarche de canard. Coup d’essai, coup de maître. Chaplin invente la figure emblématique de son époque : le vagabond désargenté, toujours en guerre avec la société (son ennemi intime, autre porteur de moustache : l’agent de police, représentant de l’Ordre). Charlot incarne, avec génie, les hordes d’émigrants qui arrivent à New York (près de 20'000 chaque jour) pour fuir l’Europe misérable et la guerre. Il est du côté des plus faibles. Des humiliés. Des silencieux (même s’il rêve, en secret, d’épouser une duchesse et d’appartenir à la haute bourgeoisie). Ce vagabond déraciné, c’est le même, aujourd’hui, qui vient d’Afrique ou des Balkans frapper à notre porte.

    Chaplin transforme tout ce qu’il touche en mythe. Prenez le Kid par exemple. Charlot y adopte un enfant abandonné par sa mère (riche et célibataire) et l’élève seul, montrant que les liens du cœur ne passent pas nécessairement par les liens du sang. Ni par un noyau familial traditionnel. Ou encore Les Temps modernes, chef-d’œuvre absolu, qui démonte, par le rire et l’absurde, les rouages de nos aliénations industrielles. Et bien sûr Le Dictateur, tourné en 1940, qui donne le frisson par ce qu’il préfigure de l’apocalypse nazie en train de se réaliser, mais que personne, à cette époque, n’a la lucidité, ou le courage, de dénoncer. Une fois encore, Chaplin est un voyant.

    Nous avons besoin des artistes, de plus en plus, partout, à tout moment. Pourquoi ? Eux seuls nous aident à déchiffrer l’époque qui chaque jour, à notre corps défendant, nous met en scène. Eux seuls nous aident, dans les périodes sombres, à savoir garder les yeux ouverts.

    * Charlie Chaplin, images d’un mythe, Palais Lumière, Évian, jusqu’au 20 mai 2012.

  • Venez tester votre orthographe !

    Chaque jour, des personnalités vous mettent au défi!
    Venez tester vos connaissances de la langue de Molière et évitez-en les pièges... Une occasion de parfaire votre orthographe et votre grammaire dans une ambiance sypathique. (Inscriptions sur le stand).
    Pour les adultes, les maîtres d'écoles seront :


    13963.jpgJean-Michel Olivier

    Mercredi 25 avril
    13h30


    Son dernier ouvrage: L'amour nègre, Prix Interallié 2010 (éd. De Fallois / L'âge d'Homme)



    13967.jpgMe Marc Bonnant

    Jeudi 26 avril
    13h30


    Chevalier dans l'Ordre national de la Légion d'honneur.

     

    13965.jpgJoël Dicker

    Vendredi 27 avril
    13h30


    Son roman: Les derniers jours de nos pères, Editions de Fallois et l'Age d'Homme Paris et Lausanne, 2011

     

    13961.jpgJean-Charles Simon

    Samedi 28 avril
    13h30


    Animateur de la Radio suisse romande et de la Télévision suisse romande.

     

    13959.jpgRené de Obaldia

    Samedi 29 avril
    13h30


    En 2008, lauréat du Grand Prix de Poésie Pierrette Micheloud pour l'ensemble de son œuvre.

  • Le dernier mot (19 et fin)

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    La vieille a refermé le manuscrit.

    Les coudes appuyés sur la table, elle sanglote sans pouvoir s'arrêter.

    Elle pleure de longues minutes, absente au monde qui l'entoure, et elle ne bouge pas.

    Enfin, elle se tourne vers la fenêtre.

    “ Quel livre, mon ami ! ”

    Seul le chant des oiseaux lui répond.

    “ Mon ami ? ”

    Elle répète plusieurs fois son appel, d'une voix un peu tremblante, mais les mots lui reviennent en écho.

    “ Vous m'entendez, mon ami ? ”

    Alors elle se décide à se lever.

    Son corps est lourd, ses membres sont engourdis par la longue lecture, mais elle se traîne quand même jusqu'au fauteuil.

    Les mains posées sur l'accoudoir, les yeux grands ouverts, le vieil homme semble sourire.

    Or, quand elle veut la toucher, la tête de l'homme s'affaisse.

    “ Dieu du ciel ! Voilà-t-y pas autre chose… ”

    Avec sa main, la vieille redresse la tête du vieillard, mais aussitôt la tête retombe.

    Elle recommence : la tête roule de l'autre côté.

    Elle prend la main de l'homme, qui est tiède et douce encore, et elle l'embrasse.

    “ Allons, mon ami ! Réveillez-vous… ”

    Mais il ne bouge pas.

    Ses yeux sont toujours grands ouverts. Un peu de sang coule de sa bouche.

    Alors en pleurant la vieille lui ferme les yeux.

    Puis elle va s'asseoir sur le lit, en traînant la jambe, car brusquement toute la fatigue du monde est tombée sur elle, oui, d'un coup, et elle reste comme assommée, le souffle court, la poitrine soulevée par des spasmes.

    Enfin, mais c'est un siècle après, la vieille se lève et retourne vers la chaise. Elle passe la main dans les cheveux de l'homme. Elle essuie le sang au coin des lèvres. Elle ôte la couverture dans laquelle il était enroulé.

    Soigneusement, elle pose la couverture sur le lit pour la plier, puis elle va la porter dans l'armoire.

    Tout est propre : des sachets de lavande parfument les draps et les vêtements sont bien rangés.

    “ C'est le moment… ”

    D'un pas pesant, elle se dirige vers le téléphone, décroche le récepteur, compose un numéro.

    Mais brusquement elle change d'avis et raccroche l'appareil.

    “ D'abord il faut penser à moi… ”

    Elle va jusqu'au miroir, s'assied, se regarde dans la glace.

    “ Oui, me faire belle pour tout à l'heure ! Car maintenant c'est moi qui mène les opérations… Eh oui, toute seule à bord, ma petite Thérèse ! Enfin c'est l'heure de gloire ! ”

    Lentement, elle peigne ses cheveux, puis les attache dans une manière de chignon au-dessus de sa tête.

    “ Parfait, sourit-elle, ça fait deuil élégant… ”

    La vieille se masse le visage, longuement, avec de la crème hydratante, puis elle se met du fond de teint.

    “ Pas trop quand même ! Autrement ça fait club Med et retour de vacances… Ça n'est pas bon pour ton image ! ”

    Elle met du rouge sur ses pommettes, puis elle dessine un trait noir autour de ses yeux.

    “ Mm, parée pour le combat, ma petite Thérèse ! Comme l'Amazone… ”

    Enfin, elle peint ses lèvres d'un beau rouge sang, met des boucles d'oreilles, un collier d'ambre autour du cou.

    Elle se regarde à nouveau dans la glace, sous tous les angles, et longuement, tellement elle est contente de sa métamorphose.

    “ Qui pourrait reconnaître la vieille Thérèse ? ”

    Elle hausse les épaules.

    “ Personne puisqu'elle n'existe plus ! Fini le ménage… Et fini les lessives qui vous brûlent les mains ! Fini les heures passées à la cuisine… Adieu Thérèse et bonjour Madame la veuve ! ”

    La vieille frissonne d'excitation.

    “ Eh oui chacun son tour ! Et ce soir c'est moi la vedette… ”

    Elle regarde sa montre.

    “ Mais allons-y, car ils sont des milliers dans le monde à attendre la nouvelle… ”

    D'un pas léger, la vieille femme traverse la chambre, décroche le téléphone.

    “ Bon surtout avoir l'air naturel, sans chichi ni flonflons… Des sanglots dans la voix, mais pas trop, parce ça fait forcé, qu'ils ne vont pas comprendre ce que tu dis… ”

    Elle tousse un peu pour éclaircir sa voix.

    “ Allô, Le Monde ? Passez-moi… ”

    Après quelques secondes, la vieille ajoute, d'une voix larmoyante :

    “ Jean-Jacques est mort… ”

    Pour être sûre que l'autre, au bout du fil, a bien compris l'annonce, elle répète plusieurs fois.

    “ Oui, JEAN-JACQUES EST MORT… ”

    Ensuite elle raccroche l'appareil d'une main tremblotante, car l'impatience monte en elle, plus grande à chaque seconde, et cela fait battre son cœur.

    “ Moi enfin ! MOI SEULE… ”

    Une dernière fois, elle regarde autour d'elle pour voir si tout est bien en place.

    “ Nickel, ma petite veuve, tout brille comme un sou neuf… ”

    Elle retourne vers le lit, tend les draps, efface les plis de l'oreiller.

    “ Tout est paré pour l'embaumement ! Les caméras, les flashes, les projecteurs… Et moi au milieu de l'image… MOI ! Comme une reine ! ”

    Elle a de nouveau les yeux secs.

    Brusquement, elle esquisse un petit pas de danse au bras d'un cavalier invisible et tourne autour du fauteuil où repose le grand homme.

     

    Allons danser sous les ormeaux

    Allons danser, belles fillettes

    Allons danser sous les ormeaux

    Au son du fifre et des chalumeaux…

     

    Toujours dansant et virevoltant sur elle-même, la vieille s'est rapprochée du bureau, puis elle a pris le gros manuscrit dans ses bras et elle s'est remise à danser encore plus joyeusement, en fredonnant à pleine voix.

    Elle a tourné ainsi plusieurs minutes, les yeux mi-clos, en serrant le livre contre ses seins puis, brusquement, elle s'est arrêtée devant l'âtre et, avec un geste théâtral, elle a jeté le manuscrit au feu.

    Alors, face aux flammes qui crépitent, des flammes vertes et rouges, et jaunes, et violettes, la vieille a éclaté de rire.

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