Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • L'acte manqué (réussi) de DSK

    images.jpegL'affaire est simple : vous avez un homme riche, brillant, marié à l'une des femmes les plus célèbres de France. Un homme de scène et de pouvoir. Directeur du FMI et grand stratège de la finance mondiale. En outre, le favori des sondages pour l'élection présidentielle française de 2012. Un homme à qui tout réussit…

    Et que fait ce Surhomme ?

    Il se laisse prendre dans une affaire sordide avec la femme de chambre d'un grand hôtel new yorkais ! Noire, pauvre, musulmane pratiquante et sans doute au-dessus de tout soupçon…

    Y a-t-il une raison logique à ce comportement ?

    Certains parlent d'addiction sexuelle, de désir tyrannique, d'« instinct du violeur ». DSK serait un monstre déguisé en représentant de la gauche caviar. Un malade. Un psychopathe. Cela arrange beaucoup de monde, à gauche comme à droite. Même les plus navrants, comme Holenweg ou Brunier. Rien n'est plus faux, bien sûr.

    D'autres parlent de complot, orchestré par on ne sait quel rival satanique. Sarkozy (qui se frotte les mains) ? Ségolène Royal (qui a beaucoup de mal à cacher la joie que lui donnent les images de DSK menotté) ? Marine le Pen (qui savait tout avant tout le monde) ? La CIA ? Feu Ben Laden (paix à ses cendres) ? On le voit : la théorie du complt ne tient pas une seconde…

    A moins que…

    Et s'il ne s'agissait pas d'un complot extérieur ? Si l'ennemi ne venait pas du dehors, mais du dedans ? Autrement dit : et si DSK l'avait fait exprès ? Sans le vouloir, bien sûr. Si quelqu'un, en lui, avait décidé de mettre un terme à cette mascarade? La mascarade du premier de classe, du mari exemplaire, du dirigeant inspiré. Du futur Président. Voilà pourquoi, inconsciemment, il a si bien réussi son acte manqué. « Mon royaume pour une pipe ! » suppliait l'homme qui voulait échapper à la comédie politique. Poser le masque de l'imposteur. Et qui a tout perdu. C'est la moindre des choses.

    Au grand bonheur de son inconscient.

  • Cantat mort ou vif

    bertrand-cantat-1-by-Taniou.jpgNoir Désir. Quel programme ! Eros et Thanatos. Aimer à en mourir. Aimer jusqu'à tuer.

    On peut dire que Bertrand Cantat a rempli sa devise. Sa première femme s'est suicidée et sa maîtresse, battue à mort, a dû agoniser toute une nuit avant qu'il lui porte secours. Pourtant, nous avons aimé Noir Désir. Passionnément. Et nous aimons toujours Bertrand Cantat. Comme on aime les voleurs et les assassins, les pédophiles et les criminels en col blanc. Repentis. Au nom de la miséricorde, tout le monde est prêt à lui donner une seconde chance.

    Mais personne n'est dupe. Qui ira-t-on admirer sur la scène de la Comédie ? La trilogie de Sophocle, mise en scène par Wajdi Mouawad, ou Bertrand Cantat, le chanteur devenu assassin ? Pourquoi a-t-il besoin des hourras de la foule ? Veut-il être admiré, applaudi, lapidé ? Exécuté en public ?

    Le théâtre, parfois, ressemble à la tragédie grecque. Il faut du sang et des larmes pour produire cette terreur sacrée qui trouvait son issue, chez Sophocle ou Euripide, dans la catharsis finale.

  • Jeanne ou Le Livre de ma mère (Jacqueline de Romilly)

    images-2.jpegC'est un livre à la fois très « public » et très secret que nous donne aujourd'hui Jacqueline de Romilly, la grande spécialiste de la Grèce. Très secret, tout d'abord, parce que le livre était achevé de longue date et gardé soigneusement dans un tiroir de son éditeur, Bernard de Fallois, car il ne devait être publié qu'à la mort de l'académicienne, décédée le 18 décembre 2010 à l'âge de 97 ans. Pudique et secret : le texte magnifique de Jacqueline de Romilly l'est constamment. Mais aussi très « public ». À la fois accessible, écrit dans une langue somptueuse, rythmée, vivante, et ouvert sur le monde.

    En retraçant la vie de Jeanne*, sa mère, son ange-gardien, Jacqueline de Romilly passe au scanner le vingtième siècle, depuis la Première guerre mondiale jusqu'à l'époque de Giscard (Jeanne est morte en 1976, à 89 ans). Cette traversée du siècle est impressionnante. Il fallait sans doute une historienne pour en restituer toute l'incroyable aventure. Car la vie de Jeanne, que rien ne prédisposait à un pareil destin, est une vie aventureuse. Mariée très jeune à un homme qui va mourir dans les tranchées aux premiers jours de la guerre, non sans lui avoir fait une fille, Jeanne va connaître le destin des jeunes veuves élevant seules leur enfant. Livrée à elle-même, elle doit trouver les moyens de survivre. images.jpegEt Jeanne multipliera les gagne-pain, exerçant plusieurs métiers plus ou moins bien payés, écrivant tout d'abord les lettres que ces messieurs ne savaient pas écrire, puis s'adonnant elle-même à l'écriture, avec succès, d'ailleurs, puisque plusieurs de ses romans ont paru, entre deux guerre, chez Grasset et Flammarion. Pendant ce temps, Jeanne élève jalousement Jacqueline, sa fille unique, qui brille dans ses études, s'apprête à devenir la grande historienne qu'elle fut, promise à être la première partout (deux prix au concours général l'année de ses 17 ans, Normale sup', l'agrégation, la Sorbonne)…

    Cette vie, d'abord précaire, puis plus confortable, est sans cesse menacée par les alea de l'Histoire. Si la Bourse, où Jeanne avait placé toutes ses économies, la rend riche quelque temps, la débâcle française, en 1940, lui fait tout perdre et oblige Jeanne et sa fille à changer plusieurs fois de cachette pour échapper à la persécution (la mari de Jeanne était un « demi-juif »). Jacqueline de Romilly raconte cette fuite avec les mots poignants d'une survivante, qui traverse mille épreuves, même les plus terribles, avec la certitude que la vie est la plus forte, que la justice — comme la liberté — doit toujours l'emporter.

    DownloadedFile.jpegAprès la guerre, Jacqueline se marie et Jeanne, son ange-gardien, change à nouveau de rôle et de place. D'abord isolée, comme abandonnée par le jeune couple qui mène sa vie. Puis, quand le couple se sépare, se rapprochant à nouveau de sa fille, dont elle prépare les repas et qu'elle accompagne aux quatre coins du monde pour des conférences ou des débats, car Jacqueline est devenue célèbre.

    À travers le portrait de Jeanne, on le voit, Jacqueline de Romilly, en même temps qu'elle fustige sa propre « ingratitude », rend hommage à sa mère, qui a sacrifié sa vie pour sa fille unique. Cela ressemble au Livre de ma mère d'Albert Cohen : le ton est ironique et gai, d'une élégance suprême, toujours éprise de vérité. Cet hommage est aussi un autoportrait en miroir : en retraçant la vie et les combats de Jeanne, qui a tout donné pour sa fille, Jacqueline de Romilly nous livre les étapes de sa propre aventure. Le parcours intime d'une grande intellectuelle du XXe siècle. Avec une rare générosité.

    * Jacqueline de Romilly, Jeanne, éditions de Fallois, 2010.