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  • Le monde d'Alain Bagnoud

    images.jpegCe n'est pas tous les jours qu'un ami fête son anniversaire  — en plus un chiffre rond, et symbolique ! C'est l'occasion de rappeler le dernier livre d'Alain Bagnoud, dont nous avons déjà parlé sur ce blog. La chronique douce-amère d'une adolescence déchirée entre fendant et pétard…

    On dit souvent, à tort, que la littérature romande manque d'ambition. Le jour du Dragon*, le dernier livre d'Alain Bagnoud (né en 1959), nous démontre le contraire. Comme certains sages chinois sont capables, paraît-il, de voir le monde entier dans une goutte d'eau, Bagnoud raconte, dans le courant d'une seule journée, une vie entière.
    Pas n'importe quelle journée et pas n'importe quelle vie. Tout se passe le 23 avril, dans un petit village du Valais, le jour de la Saint-Georges., patron de la commune. Et ce jour fatidique, où Saint Georges terrassa le Dragon, est celui de toutes les expériences, les découvertes, les émotions, les transgressions. Nous sommes dans les années 70, années de liberté et de musique, un vent nouveau souffle même dans les villages les plus reculés. Car personne, ici bas, n'est à l'abri de l'Histoire.

    Enrôlé comme tambour dans l'une des deux fanfares du villages, le narrateur va vivre cette journée comme un parcours initiatique. C'est d'abord le sentiment — douloureux, puis exaltant — d'échapper aux griffes de sa famille, à l'ordre patriarcal qui empoisonne, depuis toujours, les relations. Bientôt le narrateur tiendra tête à son père, pourra se libérer de toutes les contraintes qui l'empêchent d'être lui, c'est-à-dire d'être libre. Comment briser les chaînes de l'enfermement familial? Grâce aux copains, à la musique, aux filles, à la Poésie. C'est la première leçon de ce jour décisif.
    Mais tout ne se passe pas si facilement, ni tout de suite. Grâce au talent d'Alain Bagnoud, nous pénétrons peu à peu, mot à mot, dans les couches les plus profondes de la conscience d'un personnage, superposées comme celles d'un mille-feuilles. La famille, donc, déjà omniprésente dans La Leçon de choses en un jour**, premier volet de cette autobiographie rêvée. Mais aussi la religion puisque le narrateur assiste, comme tous les villageois, à la messe célébrant Saint Georges. Rituel immuable, à la fois solennel et ennuyeux. Là encore, l'adolescent qui assiste à la messe ne se sent pas à sa place. Ce décorum ne le concerne pas ; au contraire, il l'aliène. Il ne se sent à l'aise qu'avec les copains qui l'entraînent sur des chemins de traverse. Car au centre du livre, extrêmement bien décortiqué, il y a le malaise d'« une existence médiocre, insuffisante. Un cerveau parasité de discours encombrants (…) Un magma instable qui aspire à se définir, qui cherche à se coaguler, mais infructueusement. » Jusqu'à ce jour, le narrateur n'a pas de visage, il n'est ni beau ni laid, il manque de présence au monde physique. C'est cette journée particulière, le Jour du Dragon, qui va lui permettre d'accéder à lui-même et au monde, jusqu'ici refusés. Dans le monde villageois pétri de traditions, de conventions et de clichés, il faut éviter comme la peste tout ce qui est singulier. Car le singulier doit toujours se fondre dans le collectif, le général, la famille ou le groupe.

    Ce trouble indistinct, Bagnoud le creuse parfois qu'au malaise. Et l'on sent une vraie douleur affleurer sous les mots qui se cherchent, refusant les clichés et le patois identitaire. Le rite de passage se poursuit : le narrateur goûte aux délice du fendant comme à ceux du premier joint. Ces paradis artificiels ne durent jamais longtemps. Qui peut comprendre ses vertiges, ses exaltations, ses ivresses poétiques et morales? Pas la famille en tout cas, ni les copains. Les filles alors? Le narrateur va connaître sa plus grande émotion à l'église, où il embrasse pour la première fois Colinette : transgression jouissive, et sans grand risque, puisque l'église, à cet instant, est déserte. Mais le narrateur a franchi le pas. Ce baiser initiatique l'a fait entrer dans un autre monde, merveilleux et bouleversant.

    Le livre se termine en musique. Ayant quitté l'uniforme de la fanfare, le narrateur retrouve ses copains dans une cave enfumée, s'essaie à jouer divers instruments, décide de fonder un groupe rock : The Dragons !, of course ! Abandonne l'abbé Bovet pour Chuck Berry et Jerry Lee Lewis. Mais l'initiation au monde, la découverte de soi par les autres n'est pas finie: grâce à son ami Dogane, le narrateur va visiter l'atelier d'un peintre marginal, Sinerrois, qui va lui ouvrir les portes de l'expression artistique en lui montrant qu'en peinture, comme en poésie, la liberté est souveraine, source de découvertes et de joies. Nouvelle leçon de vie en ce jour fatidique! La liberté de peindre et de créer se paie souvent par la solitude, le silence, le rejet social.

    L'épilogue du livre met en scène, dans un garage, l'une de ces fameuses boums qui ont fait chavirer nos cœurs d'adolescents. À cette époque, le seul souci (vital) était d'inviter la plus belle fille de la classe pour danser le slow le plus long (en général Hey Jude !). C'est l'expérience ultime que fait le narrateur au terme de cette journée proprement homérique, au sens joycien du terme, puisque toute une vie est concentrée en moins de vingt-quatre heures chrono. Ce qui est un fameux tour de force. Alain Bagnoud y scrute, au scalpel, les méandres d'une conscience malheureuse, qui cherche son salut dans la musique, l'amour, la lecture, la poésie. Et qui découvre, au terme d'un long parcours initiatique, la liberté d'être soi et la présence au monde.


    * Alain Bagnoud, Le Jour du Dragon, éditions de l'Aire, 2008.
    ** Alain Bagnoud, La Leçon de choses en un jour, éditions de l'Aire, 2006.

  • Un pape criminel

    images.jpeg C'est entendu : la religion, dans nos contrées, n'intéresse plus personne. Il y a belle lurette que nous avons évacué croyances, superstitions, magie blanche et magie noire. Pour nous, s'Il existait encore, Dieu est mort à Auschwitz et à Hiroshima. En outre, depuis que l'Homme a vaincu la Nature, exploré l'espace et marché sur la lune, inventé chaque jour de nouvelles techniques, de nouveaux remèdes, de nouvelles formes d'art, la question religieuse semble définitivement réglée. Un livre de Claude Frochaux, L'Homme religieux*, montre combien toute forme de religion est condamnée par les progrès techniques, économiques et sociaux, à disparaître tôt ou tard de nos sociétés.

    Sur la terre, un seul homme, aujourd'hui, semble encore y croire (mais y croit-il vraiment?) Vous l'avez reconnu : c'est l'homme sur le balcon, qui dispense à tous les miséreux et les naïfs du monde sa bonne parole : Benoit 16 en personne, Père spirituel et souverain Poncif. Preuve, s'il en fallait encore une, de la déliquescence de l'église (catholique en l'occurrence), notre grand Pape a levé l'excommunication qui pesait sur les prêtres d'Écône. Ce qui a permis au plus brillant d'entre eux, Mgr Williamson, d'exprimer enfin urbi et orbi ce qu'il pensait de l'Holocauste. Qu'on lui apporte des preuves des chambres à gaz, et il est prêt à y croire! Que ceux qui ont péri dans les fours crématoires viennent lui raconter leur calvaire, et il prendra en considération la Shoah…

    Mais notre Père à tous ne se contente pas de réhabiliter les criminels de guerre. Il va aussi faire du tourisme en Afrique, dans sa papamobile, pour mobiliser et moraliser les foules de malades et d'indigents qui boivent ses paroles. Ainsi, des milliers de Camerounais enthousiastes — familles au grand complet, enfants des écoles en uniforme, religieuses, orchestres de percussions  — ont fait, l'autre jour, une haie au cortège officiel le long de la route menant de l'aéroport à la nonciature apostolique où Benoît 16 est logé.

    Ce n'est pas tout : dans l'avion qui le menait dans la capitale camerounaise depuis Rome, le pape a estimé que l'« on ne pouvait pas régler le problème du sida », pandémie dévastatrice en Afrique, « avec la distribution de préservatifs. Au contraire (leur) utilisation aggrave le problème » a-t-il affirmé. On savait le Vatican opposé à toute forme de contraception autre que l'abstinence, mais réprouver ainsi l'usage du préservatif, même pour des motifs prophylactiques (prévention de maladies), constitue un pas de plus dans la dérive criminelle d'une église de plus en plus déphasée et coupée de toute réalité. À quelle époque vit donc Benoît 16? Le Moyen Âge? Le Préhistoire?

    L'Afrique est le continent le plus pauvre du monde. C'est le seul continent, aussi, où le nombre de fidèles augmente chaque année (3% de plus en 2007). De là à penser qu'il est dans l'intérêt de l'église de maintenir l'Afrique le plus longtemps possible dans l'état de pauvreté, de maladie et de détresse qu'elle connaît actuellement, afin de grossir les rangs d'une Eglise qui ne cesse de oerdre du terrain, il n'y a qu'un pas. Que notre benoît pape — même s'il ne l'avouera jamais — se montre prêt à franchir chaque jour.

    * Claude Frochaux, L'Homme religieux, L'Âge d'Homme, 2008.

  • Les deux visages du socialisme

    images.jpeg La Parti socialiste suisse — comme le capitalisme d'ailleurs ! — traverse une crise sans précédent. Habitué, presque partout, à être dans l'opposition, le rôle qui lui convient le mieux, il joue, en Suisse, le jeu de la concordance. C'est-à-dire du compromis, du politiquement correct. Du Juste Milieu. Il rejette dans ses marges toutes celles et ceux qui ne correspondent  pas à la pensée dominante du moment, qui bien sûr est unique.

    Les femmes illustrent à merveille ce dilemme douloureux : d'un côté, il y a Maria Roth-Bernasconi, mamy sympathique et bien-pensante, mariée et mère de famille, comme il se doit, qui n'a certes pas inventé le fil à couper le beurre, mais qui est de tous les débats et de tous les combats pour nous asséner ses vérités carrées, reine du poncif et des platitudes, incarnation du socialisme plan-plan. De l'autre, vous l'avez reconnue, il y a Valérie Garbani, la bad girl neuchâteloise, célibataire, libre de mœurs et de pensée, ayant un certain penchant pour le heavy metal et la bouteille, souvent les deux en même temps d'ailleurs, conseillère municipale compétente, tout le monde le reconnaît, mais ayant un peu de peine à supporter la pression médiatique, surtout depuis qu'un journal de boulevard vitaminé l'a prise comme tête de Turc.images-1.jpeg

    Voilà, aujourd'hui, le dilemme des socialistes suisses : devoir choisir entre Courtney Love-Garbani et la Mère Denis-Bernasconi… Laquelle des deux lave le plus blanc (Ah ! C'est bin vrai, ça)? Laquelle incarne le mieux l'idéal sinon révolutionnaire (il y a belle lurette que ce mot a disparu du vocabulaire politique), du moins de révolte et de contestation cher aux fondateurs du PS ? Laquelle des deux est la plus en phase avec la société d'aujourd'hui (et ses problèmes) ?

    Grandeur et décadence du PS : en son sein ne règnent plus que les mères de famille (si possible nombreuse), les sociaux-démocrates en cravattes, les gentilles sages-femmes, les syndicalistes recyclés, les nouvelles girouettes de la pensée unique, les inventeurs de platitudes…

    Où est le temps de la révolte et des cerises? Le temps des rêves (un peu) fous ? Ah ! Où sont passées les égéries indomptables de notre jeunesse ?