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  • Éloge de la fofolle

    840.jpgImaginez une jolie femme, 30 ans, célibataire, qui traverse la vie comme une salamandre le feu. Un  peu fofolle…
    On lui vole son vélo ? Elle regrette seulement de n’avoir pas pu lui faire ses adieux, et décide, aussitôt, de prendre des leçons de conduite. Elle tombe sur un libraire neurasthénique ? Elle lui conseille de lire un bon livre. Un professeur d’auto-école paranoïaque ? Elle trouve les mots pour endiguer sa rage, sa haine des autres, ses frustrations.
    En toutes circonstances, la jeune femme, Poppy dans le film, réagit de la même manière : elle rit. Non du malheur des autres, mais de la chape de noirceur qui enrobe aujourd’hui toute chose. Elle se moque de la dépression ambiante, du chagrin généralisé et obligatoire. Chaque jour, allez savoir pourquoi, elle se réveille armée d’un optimisme à toute épreuve. Comme le dit un personnage du film, elle a mystérieusement traversé les mailles du filet. Autrement dit, elle a échappé à la culture de la mort, à la normalisation négative. Dans une société où l’aliénation (par la famille, le travail, l’individualisme forcené) est la règle, elle fait tache.  
    Nul doute qu’un jour ou l’autre, hélas, la société la rattrapera pour l’interner ou la « soigner », c’est-à-dire la neutraliser. Mais, en attendant, elle dispense à qui veut l’entendre sa leçon de bonheur. Et cette leçon, chacun devrait l’apprendre par cœur, tant elle est belle, et qu’elle fait du bien.
    Ah, oui, j’ai oublié de vous dire : le film s’appelle Happy-go-Lucky. Il est signé du réalisateur anglais Mike Leigh. Et c’est la lumineuse Sally Hawkins qui incarne la géniale fofolle. Il se joue actuellement à Lausanne, à Genève, à la Chaux-de-Fonds. Il ne faut surtout pas le manquer.

  • Marc Roger ou le dindon farci à la genevoise

    images.jpeg Jour après jour, ce qui ressort des témoignages recueillis lors du procès de Marc Roger vient confirmer ce que nous pensions de l'affaire : à savoir que le Français, à jamais étranger dans une société genevoise où règnent l'omerta et le copinage, a joué dans l'affaire le rôle du lampiste de service. Tous les témoins entonnent la même rengaine. Christian Luscher :« Il avait un projet solide et beaucoup d'énergie. On lui a fait confiance. » Olivier Mauss : « Peut-être ai-je été trop naïf ? Mais je lui ai fait confiance… » Et les joueurs de rajouter : « Il parlait bien, il avait des idées, nous lui avons fait confiance. » Seule la comptable, cherchant désespérément une oreille charitable dans un club où personne, visiblement, ne se souciait d'argent, tient un discours un peu différent : « M. Roger n'avait aucune connaissance en comptabilité. Tout le monde le savait. En outre, il était d'une naïveté confondante. La preuve : un jour, il a failli racheter le club de foot du Vatican, un club qui n'existe pas. »
    On le voit encore une fois : trop contents de se refiler la patate chaude, les anciens dirigeants du Servette (Luscher, Carrard, Mauss) ont profité de la candeur de ce méridional pur sucre, naïf et mégalo, en se réjouissant secrètement, sans doute, de le voir échouer là où eux avaient réussi à sauver la baraque (sauvetage relatif, puisqu'ils ont légué à Marc Roger près de 12 millions de dettes, qu'il a épongées !). 
    Marc Roger va-t-il payer pour tous les autres? Sera-t-il jusqu'au bout le dindon de la farce? Si la justice veut un coupable, elle tient en Marc Roger l'homme idéal : naïf, incompétent en matière de finance, hâbleur, flambeur, mégalomane et mythomane. Un vrai champion du monde.
    Espérons tout de même que les vrais responsables — ceux qui ont placé Marc Roger à la tête du club et lui ont servi de caution, tous ceux qui ont fermé les yeux sur sa gestion désastreuse —, à défaut d'être condamnés, soient blamés publiquement comme ils le méritent. Cela ne serait que justice.

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  • Un Calvin explosif

    1689893003.jpgPour son premier roman, on peut dire que Nicolas Buri (né en 1965 à Genève) ne manque pas d'ambition, ni de toupet. Pierre de scandale* met en scène, dans un livre haletant, rien moins que Jean Calvin lui-même. Revisitant, après tant d’autres, mais de manière absolument personnelle, la vie mouvementée du grand réformateur français. Tout commence en 1515, date fatidique de la bataille de Marignan, et surtout de la mort de sa mère. À partir de ce choc, de la haine larvée qu’il voue à son père, Calvin va s’affranchir des siens, quitter sa modeste province pour aller suivre, à Paris, l’enseignement des maîtres de l’époque. C’est là qu’il croisera Rabelais (rencontre à vrai dire improbable), aura des démêlés avec les représentants de l’Inquisition, rencontrera Michel Servet. Dans une langue âpre et précise, jubilatoire, Buri décrit le périple de celui qui n’est encore qu’un pèlerin catholique assez ordinaire. Il faudra des voyages, des rencontres, des illuminations, pour que Calvin se forge un destin qui marquera durablement l’Europe, et singulièrement Genève, la nouvelle Rome protestante.
    Si le roman part en fanfare, il perd un peu son rythme en chemin. On guette avec impatience l’arrivée de Calvin à Genève, la ville qu’il va littéralement marquer de son empreinte, et Genève tarde un peu. C’est que Nicolas Buri aime à prendre son temps, à se lancer dans de nombreuses discussions théologiques (la Trinité, la prédestination) qui donnent de l’épaisseur au roman. Le lecteur, s’il reste un peu sur sa faim, ne perd jamais son temps.
    Arrive enfin le moment de vérité : appelé par Guillaume Farel, dont Buri trace un savoureux portrait, Calvin va prendre rapidement possession de la ville, malgré l’opposition larvée des bourgeois. Buri montre bien les enjeux de cette guerre intestine. Il montre aussi comment Calvin, seul contre tous, ne craint jamais le coup de force. C’est ainsi qu’il imposera aux Genevois des règles de plus en plus strictes, et souvent farfelues (interdiction de porter de la soie). « Je voyais la rue. Ville industrieuse. Commerce intense. Et ma création, l’académie, avec des professeurs venus de loin à mon invitation. Une réussite formidable. Une garantie de longévité pour la vraie Foi, pour la paix, pour le bel ordre. J’entendis l’horloge. Ça aussi : ce n’était pas un détail, mais un fondement. L’heure, la division du temps, un progrès merveilleux. La règle du temps donnait une autre valeur au travail. C’était bien mais on ne pouvait lâcher bride. Trop de méchants. Trop d’ennemis. Je me sentais seul. »
    Seul, Calvin, qui se croit investi d’une mission, ne l’est jamais totalement. Un autre personnage, haut en couleur et fort en gueule, le suit dans le livre comme une ombre. Il s’agit de Michel (ou Miguel) Servet, que Calvin rencontre à Paris et retrouve, des années plus tard, à Genève. « L’église se vidait. Miguel se leva. Je le regardais depuis la chaire, ses bijoux, son air délicat et supérieur, l’anathème au coin des lèvres. Il se tourna vers moi, prit face à la chaire la pose d’un homme qui apprécie une belle peinture. Se lissa le bouc et, avec une petite courbette, m’adressa un sourire courtois. Puis il sortit d’un pas indolent. » L’affrontement entre les deux est inégal. Et Servet, vite taxé d’hérétique, jeté en prison avec les rats et la vermine, jugé à la hâte dans une parodie de procès, puis brûlé sur la place publique. Comme on sait, Calvin n’assista pas à la mise à mort, trop occupé à écrire dans son scriptorium. C’est sur cette image d’un Calvin à la fois humble et hautain, prisonnier de sa solitude et de sa mission, que s’achève le beau roman de Nicolas Buri, mené tambour battant, avec beaucoup de verve et vivacité
    * Nicolas Buri, Pierre de scandale, éditions d'Autre Part, 2008. 

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