Qu'a-t-on appris lors du procès de Marc Roger (et de ses acolytes) que tout le monde ne sût déjà?
Que notre Tartarin était un gestionnaire catastrophique, qu'il était mégalo et mythomane, naïf et beau parleur, mais qu'il avait le don d'inspirer la confiance à de plus naïfs que lui. Qu'il était mû, encore, par un véritable amour du Servette, cette légende que Genève ne mérite pas. Que son plus grand défaut, enfin, fut de ne pas appartenir à la mafia locale : autrement dit, il n'avait pas de protecteur, ni dans le monde politique, ni dans le monde économique. Il l'a payé très cher.
Et ses acolytes? Ils en ont pris pour leur grade.
Marguerite Fauconnet a falsifié des documents et risque, tout simplement, la radiation de l'ordre des avocats français. Ce n'est pas rien…
Olivier Mauss, qui a beaucoup donné au Servette quand le club allait bien, mais a retiré ses billes quand le club, entré dans la tourmente, avait besoin de lui, est également sur la sellette : il a laissé le navire couler, sans état d'âme, ni courage particulier. Il payera sa lâcheté au prix fort : on lui réclame deux millions de francs de dommages et intérêts. Une paille, pour l'une des plus grandes fortunes du pays. Qui, durant tout le procès, n'a eu de cesse d'afficher son mépris tant pour Marc Roger que pour les anciens joueurs du club.
Et après?
Même si les principaux chefs d'accusation contre Roger ont été abandonnés (escroquerie, banqueroute frauduleuse), que la responsabilité du désastre servettien a été reconnue partagée, il reste un homme brisé, que Genève a voulu immoler sur la place publique comme un certain Calvin l'avait fait, il y a 450 ans.
Cela ne vous rappelle rien? Michel Servet, condamné pour hérésie par le tribunal de la Réforme et brûlé vif, devant les regards horrifiés et amusés des Genevois…
Pour se racheter, la ville avait ensuite donné son nom à un quartier, qui lui-même l'a donné à un club de football.
Servet, Servette : même destin, même combat…
Espérons que nos illustres ministres en tirent la leçon. Et qu'on attribue vite une rue — ou mieux : un stade — à Marc Roger. Pour le dédomager de ses déboires judiciaires genevois.
Jour après jour, ce qui ressort des témoignages recueillis lors du procès de Marc Roger vient confirmer ce que nous pensions de l'affaire : à savoir que le Français, à jamais étranger dans une société genevoise où règnent l'omerta et le copinage, a joué dans l'affaire le rôle du lampiste de service. Tous les témoins entonnent la même rengaine. Christian Luscher :« Il avait un projet solide et beaucoup d'énergie. On lui a fait confiance. » Olivier Mauss : « Peut-être ai-je été trop naïf ? Mais je lui ai fait confiance… » Et les joueurs de rajouter : « Il parlait bien, il avait des idées, nous lui avons fait confiance. » Seule la comptable, cherchant désespérément une oreille charitable dans un club où personne, visiblement, ne se souciait d'argent, tient un discours un peu différent : « M. Roger n'avait aucune connaissance en comptabilité. Tout le monde le savait. En outre, il était d'une naïveté confondante. La preuve : un jour, il a failli racheter le club de foot du Vatican, un club qui n'existe pas. »
Pour son premier roman, on peut dire que Nicolas Buri (né en 1965 à Genève) ne manque pas d'ambition, ni de toupet. Pierre de scandale* met en scène, dans un livre haletant, rien moins que Jean Calvin lui-même. Revisitant, après tant d’autres, mais de manière absolument personnelle, la vie mouvementée du grand réformateur français. Tout commence en 1515, date fatidique de la bataille de Marignan, et surtout de la mort de sa mère. À partir de ce choc, de la haine larvée qu’il voue à son père, Calvin va s’affranchir des siens, quitter sa modeste province pour aller suivre, à Paris, l’enseignement des maîtres de l’époque. C’est là qu’il croisera Rabelais (rencontre à vrai dire improbable), aura des démêlés avec les représentants de l’Inquisition, rencontrera Michel Servet. Dans une langue âpre et précise, jubilatoire, Buri décrit le périple de celui qui n’est encore qu’un pèlerin catholique assez ordinaire. Il faudra des voyages, des rencontres, des illuminations, pour que Calvin se forge un destin qui marquera durablement l’Europe, et singulièrement Genève, la nouvelle Rome protestante.