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  • Barilier au secours de Bush

    images.jpegGeorges W. Bush peut dormir sur ses deux oreilles : contre la vague d’antiaméricanisme qui déferle sur l’Europe (et le monde entier), il a trouvé un chevalier sans peur et sans reproche pour défendre sa cause, et pourfendre de son Excalibur les renégats qui le traînent dans la boue. Son nom étonnera les lecteurs romands, puisqu’il s’agit d’Étienne Barilier, plus connu pour ses romans et ses essais sur la musique et la littérature que pour la défense des chefs d’État en perdition. Mais soyons justes : son dernier livre, Nous autres civilisations…  mérite qu’on le lise de près et qu’on en parle, car il est passionnant d’un bout à l’autre, malgré ses a priori discutables. Tout commence par une déconstruction subtile des divers discours qui ont fleuri aux quatre coins du monde sur le 11 septembre. Barilier les classe en trois catégories : la version spéculaire signée Arundathi Roy ou Luciano Canfora (Ben Laden n’est que le reflet inversé de Bush) ; la version émanatiste, signée Noam Chomski (Ben Laden n’est qu’une émanation des États-Unis, qui sont « le centre noir de tous les maux ») et la version de Jean Baudrillard, que Barilier appelle moniste-animiste (le terrorisme, c’est le système, dont les Twin Towers n’étaient que les incarnations anthropomorphiques). Même si l’actualité (les tortures, viols, meurtres perpétrés en Irak au nom de la Civilisation) donne tort à Barilier, il faut reconnaître que le débat développé dans la première partie du livre est stimulant, malgré quelques naïvetés. La suite également est intéressante, qui aborde la question de l’altérité de l’Islam, du voile et des femmes, de la parole divine, qui interdit toute forme de démocratie tant qu’elle reste intangible. C’est la conclusion forte du livre de Barilier : plutôt que de nous tourner vers La Mecque ou Washington, tournons nos regards vers Athènes, berceau de la philosophie et de la démocratie. Si les événements du 11 septembre nous apprennent quelque chose, c’est justement cela : que la réponse au terrorisme politique ou religieux, c’est la démocratie, le libre arbitre, l’égalité entre les êtres et les sexes. C’est une leçon qui date un peu, sans doute, mais qu’il faut répéter, partout, à chaque instant, sans se lasser.
    * Étienne BARILIER, Nous autres civilisations… Éditions Zoé, 2004.

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  • Alexandre Voisard, Prix Rod 2008

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    Il y a longtemps que je lis Alexandre Voisard que j'ai découvert, comme tant d'autres, aux temps de l'épopée jurassienne, grâce aux poèmes de Liberté à l'aube. De livre en livre, son œuvre s'est ramifiée. Elle aborde tous les genres : la poésie comme la prose, le roman comme l'autobiographie. En profondeur, de nombreux thèmes la parcourent : la liberté, souvent impossible, mais toujours désirée ; l'empreinte de la mort ; la musique des mots, qui, seule, peut nous restituer ce qui nous fait défaut.
    Dans Le mot musique ou l'enfance d'un poète*, récit autobiographique publié en 2004 chez Bernard Campiche, Voisard revient sur la mort du père, en 1989, qui ouvre non seulement une blessure profonde, mais aussi un abîme de silence. Tous les malentendus, les rendez-vous manqués, les silences chargés d’amertume ou de regret, les émotions contradictoires : quand on conduit le père à sa dernière demeure, tout cela ressuscite, dans la mémoire du fils, avec une acuité prodigieuse qui appelle l’écriture, et le retour sur les années d’enfance. Le beau récit d'Alexandre Voisard est moins une autobiographie classique qu’une longue explication avec la figure du père. Un père à la fois écrasant et fascinant, qui porte à bout de bras une famille nombreuse, fait l’instituteur pendant la journée, bricole à la maison, s’occupe du jardin et sait jouer de tous les instruments.
    C’est sur ce point, précisément, que tout va se jouer. Héritage impossible (car refusé par l’enfant) et éternel sujet de reproche, la musique tout à la fois relie et sépare, à jamais, le père et le fils — qui, par ailleurs, portent le même prénom : Alexandre. « Sur ce panorama enfantin dégingandé, je portais un regard insistant et ébloui mais je continue à me demander si, au fond, mes premières émotions ne me vinrent d’abord à l’oreille, c’est-à-dire en caresses musicales, comme des appels d’amour en tous lieux, du jardin au grenier et de la forêt au lit. »
    La musique est une demande d’amour et de partage. Le père l’a bien compris, qui aimerait transmettre sa leçon au fils rebelle. Mais celui-ci a d’autres idées en tête. Il ne rêve que d’école buissonnière, de couteaux aiguisés, de cavales à travers les forêts. Il n’aspire qu’à l’air libre et à la contrebande. C’est ainsi, quelques années plus tard, pendant la « drôle de guerre », qu’il passera la frontière pour aller rencontrer ces hommes armés qui le fascinent tant. Épisode mémorable où l’on voit le jeune Alex piller le bureau paternel, vider les comptes en banque de ses frères et sœurs, puis dépenser le tout en chocolats et cigarettes qu’il ira échanger, en France voisine, contre un fusil allemand volé à un cadavre et une grenade de combat !
    Le retour en famille, on l’imagine, sera douloureux. Pour le punir, on l’envoie travailler dans une ferme. Mais il s’échappe. On le relègue enimages-1.jpg Suisse allemande. À chaque fois, il revient, essaie de se faire pardonner. Peine perdue. Le rendez-vous avec le père, même par la médiation de la musique, est toujours manqué. Heureusement, dans la vie du jeune galopin, d’autres rencontres interviendront, qui le sauveront, peu à peu, de ses errances maladives : le peintre et poète Jean Loiseau qui encouragera ses premiers pas en poésie, le critique Pierre Olivier Walzer, puis l’incomparable ami Morof (le comédien Maurice Aufair) qui servira de guide et de mentor à Alex quand celui-ci viendra suivre à Genève des cours de théâtre.
    Mais toujours, malgré la poésie et avant elle, un regret silencieux : la musique. Et l’impression d’une dette insolvable au père qui a maintenu, sa vie durant, cette exigence inaccessible : « As-tu fait ta musique aujourd’hui ? » Le beau récit d’Alexandre Voisard décline sur tous les tons (cocasse, tragique, poétique, satirique, mélancolique) ce dialogue impossible et nécessaire, qui éclaire sur le sens de la vie et de la mort, de la création artistique, de l’amour du monde et des hommes.
    images-2.jpg Ce dialogue impossible, à travers la musique et la mort, Voisard va le poursuivre jusqu'à ce livre qui nous rassemble aujourd'hui, à Ropraz, pour le Prix Edouard-Rod. De cime et d'abîme** trouve son explication, comme on sait, dans une formule mnémotechnique que les maîtres d’autrefois adressaient aux écoliers qui ne savaient où placer l’accent circonflexe : La cime est tombée dans l’abîme. Composé de fragments subtilement agencés, le livre évoque à nouveau, comme Le mot musique, les territoires oubliés de l’enfance : celle du poète fidèle à ses origines qui a su garder le goût de la nature et des choses vraies ; celle de son petit-fils Nicolas, victime d’une mort prématurée. Le talent de Voisard, c'est d'évoquer, dans une constante oscillation, les sujets les plus nobles (la vie, la mort) et les réalités les plus ordinaires (le coquelicot ou « l'ortie qui n'ose pas dire son nom »). Par la magie des mots, ces deux réalités, la noble et l'ordinaire, le haut et le bas, le Bien et le Mal, se trouvent inextricablement liées. Dans chacun de ses livres, Alexandre Voisard nous rappelle cette leçon. C'est la force de cette œuvre ouverte, à la fois, au souffle de la vie et parfaitement singulière.
     
    Le Prix Edouard-Rod sera remis à Alexandre Voisard samedi 20 septembre 2008, à 17 heures, à Ropraz (VD).  Venez nombreux saluer le poète!

    * Le Mot musique ou l’Enfance d’un poète, récit, par Alexandre Voisard, Bernard Campiche, 2004.
    ** De cime et d'abîme, par Alexandre Voisard, poèmes, Seghers, 2007.

  • American hysteria

    images.jpegLa manière dont les médias  (disons européens) traitent actuellement des faillites à répétition qui se succèdent à Wall Street nous rappelle l'hystérie qui a entouré la chute des tours jumelles du WTC, il y a déjà sept ans (encore un chiffre biblique!). Ressassement jusqu'à plus soif des mêmes sempiternelles informations, recours habituel à une foultitude d'experts auto-proclamés (qui avaient tout prévu, mais s'étaient bien gardés de le dire!), commentaires bêtifiants des correspondants sur place, etc. Une fois de plus, on ne nous aura rien épargné. Est-ce la proximité du 11 septembre qui ravive les angoisses de mort (dont on sait bien, grâce au bon Dr Freud, que ce sont des désirs de mort!) ? Est-ce la faute des récentes expériences de l'accélérateur de particules du CERN? Sommes-nous tous au bord du trou noir? Le monde entier va-t-il être emporté dans la tourmente par la faute de quelques traders illuminés et amateurs de cocaïne? Que de questions angoissantes…
    Et si, tout simplement, c'était un signe supplémentaire de l'inexorable déclin américain? Celui du capitalisme sauvage et fou, du profit à tout prix, du mensonge, de la bêtise érigée en système (je pense ici bien sür à George W.)?
    Quelle différence entre deux tours qui s'effondrent et une grande banque qui coule? Aucune. C'est la même faillite du système politique, économique, ethique.
    Une dernière preuve du déclin de l'Amérique (ou plutôt des États-Unis)? La brusque remontée dans les sondages du candidat républicain Mc Cain, l'AmériCain, et de sa terrible et séduisante colistière, Sarah Palin, qui incarne, à elle seule, toutes les valeurs ringardes de l'Amérique profonde (créationniste, lobbyiste, ségrégationniste, grande amatrice d'armes à feu, etc.). Que ces deux-là, dans quelques semaines, s'installent à la Maison Blanche et nous voilà repartis, pendant quatre ou huit ans, pour une nouvelle équipée sauvage ! L'Iran et la Georgie vitrifiés! L'Afghanistan rasé ! La vieille Europe ignorée…
    images-1.jpegPour ma part, quand on me parle des jumelles, je préfère penser à celles que j'ai rencontrées, cet été, sur les plages croates, et qui, j'en suis sûr, vous envoient leurs meilleures pensées.

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