Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • J'ai dix-sept ans

    767650979.4.jpg

    J’ai dix-sept ans et des poussières et je ne suis pas seul, pas encore libre, en tout cas pas moi-même, et je somnole dans le fauteuil en velours indigo du vol Maputa-Geneva (via Kuala Lumpur et Zurich) en première classe et je regarde Iris, la tête sur mon épaule, un magazine people sur les genoux, elle dort profondément, elle a pris deux Xanax, je la regarde et je me demande quel âge elle a. Question tabou. De son visage elle a gommé les ridules et les taches disgracieuses (botox, huile de figue de barbarie). Ses seins remodelés sont juvéniles (implants). Son ventre est lisse et plat (plusieurs lipos). Ses jambes épilées au laser ont été sculptées par les pilates et les steps. Elle a trouvé l’élixir de jouvence. Son âge, alors ? Même si elle y pense nuit et jour, Iris n’en parle pas. Comme elle ne parle jamais de son mari (Édouard, 53 ans, trader dans la banque de son père). Le seul type dont elle parle, c’est Grafenstein. Pas le Prix Nobel de physique, ni le chien qui fait toujours des gaffes. Non, Grafenstein, c’est son psy. Dr Abi Grafenstein. Ils s’appellent tous les jours. Iris lui demande des conseils pour que sa vie ne ressemble pas au 11 septembre ou au Radeau de la Méduse. Et Grafenstein, qui aime jouer au Sphinx, lui répond par des phrases sibyllines auxquelles Iris ne comprend rien.

    « La vérité chemine obscurément, répète-t-il en tétant son cigare. Même moi je n’y vois pas toujours clair… »

    La tête sur mon épaule, Iris rêve sa vie en couleur, dans mon casque passe une chanson de Muse, Uprising, j’essaie de dormir un peu, mais je n’y arrive pas, je me tourne et retourne sur mon siège, je prends un Xanax, je joue à Secret World, puis à Dead to Rights, je mets la musique à plein tube, un type en pirogue s’éloigne du sanctuaire avec une corbeille remplie de diamants et ce type c’est mon père transformé en puma, tandis que Paramore hurle dans mes écouteurs Misguided Ghosts, je change de chaîne et je tombe sur un film qui vient de sortir en Amérique, une mère qu’on voit de dos dit au revoir à son fils, puis s’en va au travail. Quand elle revient à la maison, son fils a disparu. Elle fond en larmes, le cherche partout, ameute les détectives de la ville. Plus tard un garçon de onze ans lui est restitué. Il s’appelle Adam. Il affirme être son fils. Désorientée par la police et les paparazzi, la mère ramène l’enfant à la maison, mais au fond de son cœur elle sait que ce n’est pas le sien…

    Je ne vois pas la fin du film, mes yeux sont brouillés par les larmes, cette histoire est la mienne, cet enfant a mon âge, et cette mère qui part à sa recherche dans l’Amérique des années 30 c’est simplement ma mère ! Dolorès Hanes ! Elle joue le rôle principal et Jacob Horowitz, un des meilleurs amis de Jack, lui donne la réplique dans le rôle du détective en chef de la police. Je n’en crois pas mes yeux, je revois Dolorès et Matt dans mon village, il y a longtemps, lui en tenue de broussard et elle sublime dans sa robe en soie mauve, les tractations avec mon père #1, puis l’arrivée en Amérique, la vie factice, les mercredis dans les boutiques de Sunset Boulevard et Dolorès qui me répète sans arrêt :

    « Pour exister, tu dois porter des marques, Adam ! Et tu dois devenir une marque… »

    * Extrait d'un roman en chantier.

  • Littérature morte, littérature vivante

    L'écrivain Georges Bataille disait qu'il y a deux sortes de livres : ceux qui sont mauvais, et qui se vendent beaucoup ; et les autres, qu'il faut aller chercher et mériter, et qui se vendent mal. Sans être aussi moral, je dirais, pour ma part, qu'il y a deux sortes de littérature : la littérature morte et la littérature vivante.

    Deux Prix littéraires, attribués récemment en Suisse romande à Jean-Marc Lovay et à Antonio Albanese, en sont l'illustration.

    images-1.jpegLe Prix Lipp, tout d'abord, créé il y a vingt ans par l'extraordinaire Anton Jaeger, directeur de la Brasserie Lipp de Genève, personnage chaleureux et haut en couleur, hélas décédé. Cette année, après moultes tergiversations, le Prix a été attribué à l'écrivain valaisan Jean-Marc Lovay (né en 1948) pour son dixième roman, Tout là-bas avec Capolino*. Je ne dirai jamais que Lovay écrit de mauvais livres. Je suis incapable d'en juger, n'étant jamais parvenu à en terminer un seul. En revanche, il me semble que ses livres relèvent d'une littérature morte. Autrement dit, d'un mode ancien, désuet, suranné, d'écrire, reposant sur le délire et l'hallucination (dans la proximité d'Henri Michaux, le génie en moins), l'absence d'intrigue, de personnages, de relation au monde réel et à l'histoire, etc. Ceux qui lisent régulièrement des livres auront reconnu les années 70 dans toute leur splendeur. L'âge de glace du Nouveau roman et des théories littéraires. La sublimation du Rien.

    antonio-albanese-copyright-hugues-siegenthaler.jpgFace à Lovay, Antonio Albanese, un jeune auteur lausannois (né en 1970) qui vient de recevoir le prestigieux Prix des Auditeurs de la Première, fait figure de nobody. Pourtant, son premier roman, La Chute de l'Homme**, est un coup de maître. Il raconte les mésaventures d'un personnage, critique d'art et père d'une petite fille de sept ans, fait de chair et de sang qui mène une enquête autour d'un tableau mystérieux, lequel va servir bientôt de miroir à sa propre vie. Le style est vif et dynamique, profond, élégant. L'intrigue est bien menée. L'humour brille à chaque page. Difficile, en tout cas, de lâcher le roman avant d'en avoir découvert la chute, précisèment, qui surprend le lecteur. Bref, un petit miracle de roman, comme tombé du ciel, qui laisse augurer d'une brillante suite.

    * Jean-Marc Lovay, Tout là-bas avec Capolino, Zoé, 2009.

    ** Antonio Albanese, La Chute de l'Homme, l'Âge d'Homme, 2009.

     

  • Dans la jungle du Salon

    images.jpegOn le savait depuis longtemps : le monde du livre est une vraie jungle. L'édition, en général. Et les Salons du Livre en particulier. Fondé en 1986 par Pierre-Marcel Favre (photo), Vladimir Dimitrijevic et quelques autres, le Salon du Livre de Genève a longtemps été le rendez-vous obligé des éditeurs, comme des auteurs et des lecteurs. À ses débuts, il faisait la part belle aux éditeurs romands, qui pouvaient ainsi mettre en vitrine leurs livres, et mieux les faire connaître. À cette époque, le livre est ses acteurs fidèles étaient encore au cœur des débats…

    Mais, au fil des années, le Salon du Livre de Genève a changé de visage. Les éditeurs, suisses et étrangers, ont été lentement (mais sûrement) chassés du centre du Salon pour se voir repoussés dans ses marges. Au point d'occuper, aujourd'hui, à peine un strapontin — soit l'extrémité des boulevards et des allées. Les diffuseurs (au grand pouvoir financier) se sont alors taillé la part du lion et ont transformé l'ancien Salon du Livre en immense souk où régne la dure loi de la jungle. Les marchands de kebab ont remplacé les imprimeurs. Les journaux rivalisent d'animations bruyantes pour apâter le chaland. Il y a même des attractions foraines au village alternatif…

    Ce n'est pas tout. Comme les temps sont difficiles, et certains exposants de plus en plus réticents à venir à Genève, on leur propose des tarifs particuliers. Ainsi, pour une même surface, il n'y a pas deux exposants qui payent le même prix. On va même jusqu'à consentir des rabais de 50% à ceux qui voulaient s'abstenir de participer au Salon 2010 ! Car tout est bon pour remplir l'espace, chaque année plus restreint, de la grande halle de Palexpo !

    Ne voulant pas participer à cette mascarade, certains éditeurs, et non des moindres (l'Âge d'Homme, Flammarion, Xenia, etc.), ont décidé d'aller tenir salon ailleurs. Dans certaines librairies genevoises, par exemple, comme le Rameau d'Or ou le Parnasse, où des rencontres-signatures sont organisées avec des auteurs. Il faut saluer leur courage.