On dit souvent que la fiction dépasse la réalité. Et que les écrivains inventent des histoires tirées de leur propre folie. Kafka en est un exemple évident. Il faut être fou, n'est-ce pas, pour écrire Le Procès, Le Château ou La métamorphose. Pourtant, son œuvre, issue d'un cerveau névrosé comme on sait, a tout de même produit dans notre langue un adjectif qui colle très bien à notre époque.
Quoi de plus kafkaien, en effet, que l'affaire Polanski et ses suites, qui alimentent toutes les gazettes ? Voilà quelqu'un qui a été condamné, il y a 33 ans, pour une affaire peu glorieuse, par un juge avant tout soucieux de son image. Quelqu'un qui a purgé la peine de prison à laquelle on l'a condamné. Quelqu'un qui a été arrêté, dans un guet-apens tendu par la policer zurichoise le 26 septembre 2009, incarcéré pendant trois mois, puis assigné à résidence on ne sait jusqu'à quand. Et la victime ? me direz-vous. Pour la dixième fois, elle a supplié le juge américain d'abandonner les poursuites contre le cinéaste polonais. Son mari l'a quittée. Ses enfants souffrent chaque jour des révélations de la presse à scandale, alors qu'ils aspirent simplement à la tranquilité et à l'anonymat.
Vous avez dit kafkaien ?
"Honte à cette cour d'appel qui vient, une fois de plus, de déshonorer la justice californienne", s'est exclamé Bernard-Henri Lévy sur son site La Règle du Jeu. "Honte à ces juges, ivres d'eux-mêmes et de spectacle, qui n'avaient manifestement en tête qu'une idée: voir Roman Polanski humilié devant le tribunal de l'opinion. Honte, aux Etats-Unis et ailleurs, à tous ceux que ne révolte pas cet acharnement d'un autre âge, cette cruauté qui tourne à la rage, cette obsession pédophile de toute une société. "
Les écrivains, hélas, ont souvent raison. Ils imaginent le monde — c'est-à-dire la prison — qui nous attend. Ils dessinent les contours d'une justice inhumaine et inique, qui est celle d'aujourd'hui.
« Puisse la justice helvétique qui aura à juger des suites à donner, ou non, à la demande d'extradition, ne pas céder à l'intimidation » écrit encore BHL. On ne peut qu'abonder dans son sens. Ce serait l'occasion pour la Suisse, de racheter l'excès de zèle des fonctionnaires zurichois. Et l'occasion. aussi, de montrer son indépendance et son souci de raison face à une justice kafkaienne, c'est-à-dire devenue folle.
La France est un grand pays. Elle l'a toujours été. Patrie des Droits de l'Homme, berceau de la Révolution, elle a donné naissance aux plus grands artistes et écrivains, tant en peinture, qu'en musique ou en littérature. Elle a fait rayonner universellement une langue qui est devenue, assez vite, la langue de la diplomatie. C'est la France lumineuse, celle de Voltaire, Beaumarchais, Flaubert, Claudel, Camus, etc. Celle de la Résistance et de la Raison. Mais il y a aussi une autre France, profonde, ténébreuse, qui aime à se vautrer dans la boue des idées reçues, du racisme et de l'insulte. C'est la France de Yann Moix, médiocre cinéaste et écrivain raté. La France des pamphlets antisémites, des rafles et de la collaboration (un sport national). Une France à peine moins éternelle que l'autre, hélas, la France des Lumières.
Décidément, ces temps-ci, la Suisse multiplie les « affaires ». Quand elle n'est pas embourbée dans l'imbroglio libyen (feuilleton qui a encore de beaux jours devant lui), elle baisse son froc devant les menaces américaines ou européennes et se révèle prête à tout pour sortir de la fameuse « liste grise » dans laquelle on l'a rangée. Tout cela ne sent pas bon ; et nos chers Conseillers fédéraux, en la matière, n'ont pas été très efficaces, ni très glorieux.