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drogue

  • Josette Bauer, femme fatale en cavale (Pierre Béguin)

    Unknown-2.jpegPierre Béguin aime les affaires au carrefour du droit, du fait divers et de la littérature. Il s'était déjà penché sur l'affaire Jaccoud, qui défraya la chronique judiciaire dans les années 50, et en avait tiré un très bon roman, Condamné au bénéfice du doute*, couronné par le Prix Édouard-Rod en 2016. Ensuite, il s'était inspiré d'un fait divers colombien, mêlant trafic d'organes et guerre des gangs, pour nous donner un roman baroque, Et le mort se mit à parler**. Aujourd'hui, il réinvente, à la suite d'une enquête minutieuse, la fameuse « affaire Josette Bauer », dont certains Genevois se souviennent encore.

    Le résultat ? La Scandaleuse Madame B.***, un roman sulfureux et détonant, très au-dessus de ce qui se publie d'ordinaire en Suisse romande.

    detective-n-740-du-02-09-1960-josette-bauer-rehabilitation-de-pierrre-jaccoud-1007653656_ML.jpgRappelons les faits : en 1957, Josette Bauer, une jeune femme genevoise qui aime les fêtes et la belle vie, se voit accuser de complicité dans le meurtre, assez atroce, de son père. Ce n'est pas elle qui l'a tué, mais son mari, Richard Bauer, un homme très faible, mais amoureux, pris à la gorge par ses soucis financiers. A l'heure du meurtre, Josette se trouve dans une boite de nuit de Rolle en train de faire la bamboula avec son amant. Josette n'a pas tué, mais très vite elle va devenir, aux yeux des jurés et des journalistes, l'instigatrice du meurtre, celle qui a incité son mari à tuer son père. Après une longue enquête, dont Béguin reconstitue minutieusement chaque détail, le couple est arrêté. Le mari passe aux aveux. Déjà condamnée par la vox populi, Josette écope de plusieurs années de prison. Elle sera emprisonnée en Suisse alémanique et purgera, en détenue modèle, la presque totalité de sa peine. Pourquoi « presque » ? Eh bien, à quelques mois de sa libération, Josette s'évade !

    La plus grande erreur de sa vie, avoue-t-elle. Mais aussi le début d'une fantastique épopée…

    Pendant plusieurs années, on perd la trace de la « scandaleuse Madame B. ». Josette vit en cavale, se fait refaire le visage (l'opération de chirurgie esthétique, réalisée clandestinement à Paris, tourne à la boucherie), vit d'expédients. Béguin suit cette femme ordinaire au destin extraordinaire à la trace, comme s'il vivait dans son ombre. L'Algérie, puis l'Espagne : autant d'étapes d'une cavale douloureuse. A chaque fois, dirait-on, l'histoire se répète : alors qu'elle tâche de refaire sa vie dans le milieu de l'équitation (elle a toujours eu la passion des chevaux), Josette est obligée de fuir, en perdant tout à chaque fois, comme si un destin funeste s'acharnait sur elle.

    On retrouve sa trace aux États-Unis, en Floride plus précisément, dans les années 60, où l'audacieuse Genevoise est arrêtée, avec son complice, alors qu'elle transporte, cachés dans son corset, deux kilos d'héroïne. Nouveau procès (expéditif). Nouvelle condamnation. Unknown-3.jpegJosette — qui entretemps a changé d'identité et s'appelle maintenant Jean Baker ! — conclut un marché avec la police américaine à qui elle livre les noms de plusieurs trafiquants de drogue européens — des gros bonnets qui forment le fameux réseau de la French Connection (rien que ça!). Une fois encore, Josette s'évade pour recommencer sa vie ailleurs, dans l'anonymat et la clandestinité. L'histoire n'est pas finie. Elle connaîtra encore bien des rebondissements. Mais j'en ai déjà trop dit…

    Le roman de Béguin est écrit à deux voix. Deux styles. Deux rythmes différents. La voix du narrateur, factuelle et sûre d'elle-même. Et la voix suraiguë, un peu flûtée,  très vite reconnaissable, de l'écrivain américain Truman Capote qui se passionne pour cette affaire. Deux styles, donc, deux voix et deux rythmes. Tandis que le narrateur fonce et enchaîne les faits sur un rythme soutenu, la voix de Truman Capote marque une pause, un temps de réflexion, une méditation sur le destin de Josette et l'œuvre à venir (car Capote rêve d'écrire LE grand livre sur l'affaire Bauer, un livre qui établira définitivement son génie d'écrivain). images.jpegC'est le tour de force de ce livre que de faire alterner ces deux voix si différentes, chacune allant sa propre allure. Le narrateur décrit les faits, comme un policier ou un historien, et Capote les éclaire, les interroge, les passe au scanner de son propre regard. Réussite absolue. Pour nous faire entendre la voix de Capote, Béguin nous livre une partie (inventée) de sa correspondance. Capote écrit à ses amis, nous fait part de ses soucis de santé et tient au vitriol la chronique de ses sorties mondaines. C'est un délice que de le suivre à travers le monde (Capote voyage beaucoup) et de croiser au fil des pages Jackie Kennedy, les Rolling Stones, la famille Agnelli et quelques autres people

    __multimedia__Article__Image__2020__9782226444974-j.jpgAvec La scandaleuse Madame B., Pierre Béguin nous donne sans doute son meilleur livre, le plus abouti, le plus inventif et le plus ambitieux. Il place la barre très haut et relève brillamment le défi de raconter le destin extraordinaire d'une « petite » Genevoise, insouciante et délurée, dont la vie est une perpétuelle fuite en avant — une tentative désespérée de se sauver. Car au cœur du roman de Béguin, il y a la question du crime et de la rédemption. Peut-on se racheter d'un crime que l'on n'a pas commis ? (Josette a toujours nié est coupable du meurtre de son père) ? Comment refaire sa vie ? A-t-on droit à une seconde chance ? Et au droit à l'oubli ?

    Pierre Béguin brasse toutes ces questions et laisse le lecteur décider par lui-même du verdict de cette scandaleuse affaire.

    * Pierre Béguin, Condamné au bénéfice du doute, roman, Bernard Campiche éditeur, 2016.

    ** Pierre Béguin Et le mort se mit à parler, roman, Bernard Campiche 2017.

    *** Pierre Béguin, La scandaleuse Madame B., roman, Albin Michel 2020.

  • Melgar et les Tartuffe

    images-1.jpegIl n'est pas sûr que la récente polémique autour du cinéaste Fernand Melgar rende service au cinéma romand, qui a déjà tant de peine à exister. Pour un observateur extérieur au milieu, la « lettre ouverte » adressée à Fernand Melgar (que ses courageux auteurs n'ont même pas pris la peine de lui envoyer!), signée par une poignée de cinéastes connus et une armée de suiveurs inconnus, transpire en effet l'aigreur, la jalousie et surtout la mauvaise foi. Le ton est martial. Il rappelle celui des tribunaux staliniens de la grande époque ou les beaux temps, aux USA, du maccarthysme (the witch hunt, autrement dit : la chasse aux sorcières). Il est aussi pastoral et moral (on est en Suisse romand et plusieurs cinéastes sont des fils de pasteurs) : Unknown-2.jpegon s'arroge le droit de donner des leçons, on condamne, on ostracise : on cloue l'un des siens au pilori public, comme le faisait Georges Oltramare dans les années 1930 dans son journal Le Pilori

    Autrement dit, on fait exactement la même chose que l'on reproche à Fernand Melgar (en prenant des photos des dealers de rue, il les aurait « ostracisés ») ! Le tribunal de la bien-pensance, fait de bric et de broc, de vieux soudards oubliés (Francis Reusser) et de jeunes loups aux dents longues, est en réalité une congrégation de Tartuffes : aigreurs, mauvaise foi, hypocrisie sournoise. Pas un mot ne sonne juste dans cette dénonciation de l'« éthique » d'un cinéaste dont les œuvres (qu'on ne cite jamais, et pour cause) plaident pour lui.

    À cet égard, les signataires de cette « lettre ouverte » sont tout à fait dans le ton d'une époque qui célèbre les maîtres du double discours, comme Tariq Ramadan, maître incontesté en la matière.

    Unknown-1.jpegUn autre aspect, révélateur, de cette triste affaire, est la mise à l'écart du cinéaste par la direction de la HEAD (Haute École d'Art et de Design de Genève) où Melgar devait enseigner à la rentrée. Levée de boucliers. Protestation des étudiants. Le directeur de l'école, Jean-Pierre Greff, ne cherche pas à jouer les médiateurs et laisse triompher la vox populi : Melgar ne viendra pas donner ses cours en automne. La HEAD doit être la seule école au monde où les étudiants choisissent eux-mêmes leurs professeurs…

    En lisant le programme de travail que Melgar leur avait concocté, certains étudiants doivent avoir des regrets, tout de même : il voulait étudier l'exploitation des migrants en Espagne et songeait à inviter en classe le photographe Raymond Depardon et l'artiste Sophie Calle. Beau programme !

    La tête de Melgar est désormais mise à prix. Et pas par n'importe qui : par ses pairs. La chasse aux sorcières est ouverte. C'est bientôt le Grand Soir. Selon les directives du Parti, l'avenir sera éthique et radieux.

  • Confession d'un drogué

    OlivierCouv.jpgOui, je l'avoue, pour L'Amour nègre*, je me suis shooté. Pas au vin rouge ou au whisky (bien que les deux coulent à flot dans le livre). Je suis un médiocre buveur. Sans doute un reste de mon éducation protestante. Nul n'est parfait. Plus sûrement une incapacité physique à ingurgiter des litres de bibine Je ne me suis pas défoncé non plus à la coke ou à l'héro. Ayant, depuis toujours, une sainte horreur (terreur) des poudres qu'on renifle ou qu'on s'injecte. Je n'ai aucun mérite : cela ne me tente tout simplement pas. Quant au canabis, que toutes mes voisines font pousser amoureusement sur le rebord de leur fenêtre, c'est à peine si j'y ai touché.

    Non. Le vrai shoot, le grand shoot, c'est la musique. Victor Hugo interdisait qu'on mît ses vers en musique. En quoi, d'ailleurs, il a eu tort, si l'on pense aux sublimes poèmes que Brassens a mis en musique (Gastibelza, La Légende de la nonne). La musique, dans le livre, est partout. Il y a plus de cent titres cités, la plupart anglo-saxons (nous vivons à l'ére de la globalisation). Et chaque titre est essentiel. Soit comme bande-son d'une rencontre ou d'une scène entre plusieurs personnages. Soit comme bruit assourdissant qui empêche toute communication et tout dialogue. Soit comme incitation à la rêverie ou aux retours aux sources (The Dock of the Bay, Otis Redding, 1968). Soit comme moment de communication au-delà du langage.

    Parmi tous ces titres, qui forment la bande musicale du livre, il y en a un que j'ai dû écouter environ dix mille fois. Qui m'a shooté et inspiré. Redonné courage quand le livre s'enlisait et littéralement boosté pour certaines scènes de dialogues. Ce morceau, c'est Delicado, de Waldir de Azevedo, un musicien de samba très connu dans les années 50. Il en existe plusieurs versions instrumentales sur You Tube (voir ici). Mais la version que je préfère, c'est indiscutablement celle, funky, irrésistible, de Ramiro Musotto et son orchestra Sudaka, avec, en invités, le génial pianiste africain Omar Sosa, et le non moins génial Mintcho Garrammone (qui joue de cette petite guitare appelée cavaquinho). C'est grâce à l'énergie joyeuse de ce morceau que je suis parvenu au bout de l'odyssée de L'Amour nègre. Alors silence ! Enjoy !

    * Sortie en librairie samedi 9 octobre.