Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ecrivain de la comédie romande - Page 93

  • Les livres de l'année (9) : « Ça s'est fait comme ça » (Gérard Depardieu)

    images-1.jpegC'est un livre* sans chichis, une confession jouée, sans doute (comment pourrait-il en être autrement avec le plus grand acteur français vivant ?), mais émouvante, directe et bien écrite (l'excellent Lionel Duroy joue ici les nègres de luxe). Un livre qui vous attrape dès la première ligne et qui ne vous lâche pas…

    Dans Ça s'est fait comme ça*, autobiographie brève et intense, Gérard Depardieu revient sur son destin singulier, son enfance pauvre (mais heureuse), sa jeunesse de petite frappe (les flics de Châteauroux l'appelaient par son prénom), ses déboires sentimentaux — mais surtout sa soif de liberté. C'est le livre d'un homme longtemps privé de langage (autiste et quasi aphasique) qui, grâce à quelques rencontres miraculeuses (le comédien Jean-Laurent Cochet, par exemple, ou le docteur Tomatis), trouve les mots pour se dire — et exprimer le monde merveilleux qu'il porte en soi.

    On sait tout, déjà, de ce Pantagruel ivre de vin et de femmes, de ses excès, de ses colères, de ses passions, qui a longtemps donné à son pays près de 87% de ses revenus et s'est fait traiter de « minable » par un premier ministre dont le monde a déjà oublié le nom. images-2.jpegOn apprend dans son livre que le chemin vers la vraie liberté passe toujours par les mots. Les livres rendent libres. Les Romains le savaient déjà qui aimaient à jouer sur le double sens du mot « liber », à la fois livre et libre.

    Il faut lire ce livre gorgé de vie qui résonne comme un immense éclat de rire : « Et après, je prends sur moi tous les chagrins. Mais qu'est-ce que tu veux faire ? Je suis comme ça. Tu ne peux pas changer les rayures du zèbre. » Ou encore, à propos du film Danton de Wajda : « Ça, c'est mon élan profond : ne pas savoir ce qui va arriver, ce que je vais faire ou dire, mais marcher vers l'inconnu avec cet appétit pour la vie que chaque instant me porte. »

    Depardieu, évoquant les rencontres marquantes de sa vie, parle admirablement de Claude Régy, de la minuscule Marguerite Duras (qui lui arrive à la ceinture) et de l'immense Peter Handke. Chacun lui a donné les mots de son destin. 

    « Oublie ta famille, écrit l'écrivain autrichien, donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n'y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. »

    Quelle leçon !

    * Gérard Depardieu, Ça s'est fait comme ça, éditions XO, 2014.

  • Les livres de l'année (8) : Les colères de Jérôme Meizoz

    images.jpegIl y a à boire et à manger, comme souvent, dans le dernier livre de Jérôme Meizoz, Saintes Colères*, qui se présente, plutôt, comme un éloge du politiquement correct.  Et pourquoi pas, après tout, à une époque où l’incorrection politique cache parfois des pensées peu avouables et certainement pas fréquentables (je pense à Dieudonné ou à Richard Millet) ?

    Je passerai sur certains textes, typiquement d’humeur, qui brassent des idées convenues et mériteraient un plus large développement. Ainsi les sempiternelles  rengaines sur l’UDC et le goût de son chef pour des peintres comme Hodler ou Anker. Ou encore des brèves pages sur l’antisémitisme de Cendrars (faut-il, en conséquence, ranger ce poète génial au rayon des écrivains infréquentables ?). images-3.jpegOu encore la lettre, ouverte et légère, que l’auteur envoie à Marc Bonnant, et qui ne dit rien de la fascination que l’avocat genevois exerce sur ses auditeurs (plus que sur ses lecteurs). Ou encore la lecture très idéologique (et donc partielle et partiale) du roman de Slobodan Despot, Le Miel (Gallimard, 2014), réduit à sa plus pauvre expression politique. Ou encore les attaques très convenues contre Joël Dicker, dont le livre est ramené à « une bonne imitation de roman américain, aux ficelles grosses comme des cordages et aux dialogues consternants ».  Il y a toujours quelque danger à critiquer le succès populaire de certains livres : si tout cela est si facile, pourquoi Meizoz n’a-t-il jamais écrit de best-seller ?

    images-1.jpegBref, le plus intéressant, dans ce recueil de colères souvent datées, ce sont les textes plus personnels où l’auteur revisite son enfance « de peu de livres », par exemple,  quand il nageait « dans l’étang artificiel creusé pour le lit de l’autoroute » et dans lequel, la nuit, « les filles plongeaient nues sous une lune ambiguë. » Et les sept ans passés au Collège de Saint-Maurice où Meizoz, fils de mécanicien, côtoie les enfants des bonnes familles vaudoises et genevoises ! Et cette très belle évocation de Rome, promenade dans le passé, mais aussi dans les rues oordinaires du présent avec leurs cafés, « la vieille femme obèse qui mendie aux grilles du Pincio », une ville où « ça siffle ou ça chante malgré tout »…

    L’auteur est plus à l’aise dans l’évocation d’un passé riche de souvenirs et de sensations — comme sait si bien le faire Annie Ernaux — que dans l’analyse toujours un peu manichéenne, pour ne pas dire caricaturale,  des phénomènes culturels (comme le pratiquait  le sociologue Pierre Bourdieu).

    Un livre à lire, donc, pour attiser les colères et nourrir nos indignations !

    * Jérôme Meizoz, Saintes colères, éditions d’autre part, 2014.

  • Les livres de l'année ( 7) : Notre Dame du Fort-Barreau en Poche Suisse !

    Pour fêter la réédition de Notre Dame du Fort-Barreau* dans la collection Poche Suisse, voici un entretien avec Jeremy Ergas, paru en 2008 dans le mensuel SCÈNES Magazine. 

    Notre Dame_Couv_OK.jpegVotre dernier livre est un récit à la mémoire de Jeanne Stöckli-Besançon, une vieille dame atypique qui vous logea dans l’un des deux immeubles qu’elle possédait sur la rue du Fort-Barreau. Qu’est-ce qui vous a tant touché dans la personnalité de cette femme? Sa générosité, son ouverture d’esprit?

    — D'abord son excentricité, à la fois vestimentaire et psychologique. Qu'il gèle, qu'il vente ou qu'il fasse soleil, elle portait des espadrilles imbibées d'eau, un vieux chandail troué, des bas de laine mités. Elle était vraiment fagotée comme l'as de pique et ressemblait à une clocharde. Son caractère, aussi, n'était pas facile, à la fois irascible et espiègle. Elle aimait à sonner à la porte de ses locataires avec la pointe de son pied, par exemple ! Elle ouvrait sa maison à toute une faune interlope. Aujourd'hui, à notre époque politiquement correcte, on dirait qu'elle était socialement inadaptée

    Vous commencez Notre Dame du Fort-Barreau par la citation suivante de Georges Haldas: « Il faut donner beaucoup de soi pour n’être rien. » Ce livre est-il une façon de lui faire devenir quelque chose aux yeux des autres? Est-ce votre façon de lui rendre un peu de ce qu’elle vous a donné?

    — Certainement. Je voulais lui rendre hommage parce qu'elle a constitué l'une des rencontres décisives de ma vie. Non seulement elle m'a accueilli quand je cherchais un appartement, mais elle m'a donné un lieu pour écrire : sans elle, tout aurait été infiniment plus difficile, et peut-être impossible. Je voulais aussi lui rendre justice, et rendre justice à toutes ces « vies minuscules », silencieuses, dédaignées, qui nous entourent et nous aident à devenir nous-mêmes.

    Raconter l’histoire de Jeanne, c’est forcément raconter également celle de la rue Fort-Barreau et du quartier des Grottes. Pour vous, les deux semblent indissociables…

    — Jeanne a le même âge que l'immeuble de son père où elle est née ! Et, de toute sa vie, elle n'a quitté le quartier des Grottes que quelques semaines, pendant la guerre (on raconte qu'à l'époque, elle se rendait de Champel, où elle logeait, à la rue Fort-Barreau en trottinette!). C'est devenu une figure légendaire du quartier. On la surnommait d'ailleurs la « Mère Teresa » des Grottes.

    Ce récit est aussi l’occasion de faire le point sur votre propre parcours, de replonger dans le monde qui était le vôtre lors des années 70-80 qui constituèrent votre jeunesse…

    — Oui. À l'origine, je voulais écrire une sorte de biographie de Jeanne, et de Jeanne seule. Mais je me suis vite aperçu qu'écrire sa biographie, douze ans après sa mort, alors que la plupart de ceux qui l'ont connue ont disparu, relevait de l'imposture. Je n'avais pas assez de témoignages, de documents. Je me suis aperçu aussi que ce qui comptait vraiment, c'était la relation. Jeanne avait avec moi une relation particulière à la fois d'affection, de confiance, de genérosité. Et c'est cela que j'ai voulu creuser…

    Dans un passage de Notre Dame du Fort-Barreau, vous décrivez une humiliation publique subie par Jeanne dans une épicerie du quartier. Vous y aviez assisté, sans oser prendre sa défense. L’événement vous a marqué : vous vous en êtes voulu. Ce livre est-il une façon de vous racheter ? De prendre enfin sa défense?

    — Il y a longtemps que cette scène d'humiliation, qui a réellement eu lieu, m'obsède. J'ai mis longtemps à en faire le tour, à comprendre la cruauté de l'épicière, à accepter ma propre lâcheté, puisque je n'ai pas ouvert la bouche pour défendre Jeanne. Incapable de parler, sur le moment, j'ai pris la plume, douze ans plus tard, pour la défendre ! Cela n'efface bien sûr pas l'injustice, ni la lâcheté, mais cela réhabilite peut-être la victime, et cela soulage ma conscience!

    Au fil des pages, vous insistez sur la discrétion de Jeanne. Qu’aurait-elle pensé de ce récit? Avez-vous eu l’impression de violer sa sphère privée lorsque vous l’avez écrit, de pénétrer là où vous n’aviez pas le droit d’accès?

    — Très bonne question! Jeanne était fille de pasteur. Elle cultivait la discrétion, l'effacement, le sacrifice de soi. Autant de valeurs protestantes inculquées par son père. Elle aurait sans doute trouvé exagéré le portrait que je fais d'elle. À la fois impudique et flatteur. Peut-être cela l'aurait-il mise mal à l'aise? Elle aimait le silence et le secret. Sa vie, comme sa mort, aura été très solitaire. C'était sans doute son choix. Mais lorsqu'on écrit sur quelqu'un d'autre, on est confronté à ce genre de dilemme : dire ou ne pas dire? Jusqu'où aller dans l'aveu, l'intimité ? Écrire est alors une sorte de viol. Mais comment faire autrement, si l'on veut rester fidèle à soi-même ?

    Propos recueillis par Jeremy Ergas

    * Jean-Michel Olivier, Notre Dame du Fort-Barreau, Poche Suisse, l'Âge d'Homme, 2014.