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Ecrivain de la comédie romande - Page 71

  • À lire et à offrir : La petite galère (Sacha Després)

    images-3.jpegIl  y a une étrange poésie dans le récit intense et tourmenté de La Petite galère*, de Sacha Després. Le titre fait référence à une célèbre série américaine : La petite maison dans la prairie, qui mettait en scène, on s'en souvient, une famille à peu près parfaite dans les plaines de l'Ouest.

    Ici, bien sûr, c'est le contraire : Sacha Després (peintre, plasticienne) fait la chronique d'une famille à la fois ordinaire et poursuivie par le malheur. Les parents se sont rencontrés dans les années 80. Ils ont cru à l'amour fou, ont traversé tous les rites de passage du mariage, ont fait un enfant, puis un second pour essayer de sauver leur couple. Mais le malheur a frappé à la porte. La mère se suicide avec des somnifères. Le père déserte le foyer et se met à boire. Restent deux sœurs, qu'un écart de dix années sépare, qui vont vivre une relation très fusionnelle.

    images-2.jpegLa chronique douce-amère se transforme en roman d'apprentissage. Car l'aînée des deux sœurs, Marie, entreprend d'initier Laura, la cadette, aux ruses de l'amour. Elle va écrire au prof dont sa sœur est amoureuse des lettres enflammées, puis organiser un rendez-vous dans une loge de l'Opéra Bastille (scène chaude et très réussie). La grande sœur fusionnelle se révèle alors une manipulatrice de premier ordre. Et le malheur s'acharne sur La Prairie : Marie rencontre une sorte de traîne-patins, expert en beaux discours, Jack, qui peu à peu, à force de paroles lénifiantes et de fumette, va transformer la vie des deux sœurs en vraie galère. 

    Cette galère n'est petite que par litote : la fin du roman basculera dans la tragédie. Et c'est tout le talent de Sacha Després de décrire cette lente et inexorable descente en enfer avec des mots doux et précis, avec humour et sensibilité. Ce qui donne au récit (qui n'est trash qu'en apparence) un véritable souffle épique et poétique.

    L'auteur sera présente au Salon du Livre de Genève. Profitez-en !

    * Sacha Després, La Petite galère, roman, L'Âge 'Homme, 2015.

  • Donald Trump est une aubaine !

    images-2.jpegOn ne va pas refaire l'histoire: avant l'élection américaine, pas un journal, pas une radio, pas une télévision ne misait un kopek sur Donald Trump. Au contraire : soutenue par une campagne médiatique d'une rare unanimité, son adversaire Hillary Clinton avait déjà partie gagnée. On connaît la suite (et la fin) : victimes de leur aveuglement, vivant dans le déni de la réalité, les médias se sont trompés sur toute la ligne.

    Les artistes américains, en particulier, ont soutenu en masse la candidate démocrate. De Beyoncé à Robert de Niro, de Matt Damon à Barbra Streisand, de Meryl Streep à George Clooney, en passant par Steven Spielberg et Bryan Cranston, tout le gratin d'Hollywood a mouillé sa chemise pour Hillary en l'aidant à réunir les millions  nécessaires à sa campagne par des dîners de charité ou des concerts bénévoles. On ne peut pas imaginer soutien plus important !

    images-3.jpegEn face, rien, ou presque.

    Clint Eastwood, républicain de sang, a soutenu du bout des lèvres Mr Trump, qu'on a vu entouré de catcheurs (à la retraite), de rappeurs (Kanye West) et de vieilles gloires de la chanson country-western. C'est dire l'avenir culturel que nous prépare le plus démagogue des présidents américains, élevé au biberon de la télé-réalité, du catch et des jeux video !

    images-6.jpegAvec Trump, côté culture, c'est la régression assurée.

    Zéro pointé.

    Et si cet écroulement culturel (voire même mental) était une aubaine pour les artistes américains ? 

    Face à un homme dont la seule culture est l'argent, l'arrogance du self-made man, l'inexpérience politique, les artistes n'ont pas le choix : ils doivent entrer en résistance. Travailler comme jamais au réveil des consciences. Dénoncer les injustices. Clamer leurs désaccords. images-7.jpegSortir de leur cocon (on parle aujourd'hui de zone de confort) pour faire trembler le monde, comme Bob Dylan, le plus fameux Prix Nobel de Littérature, l'a si bien fait depuis 50 ans. 

    Un Président pareil, qui ne s'exprime que par tweets de 140 signes (souvent bourrés de fautes), est incapable de faire la différence entre un Rothko et un Monet, n'écoute que de la musique country, n'a jamais lu un livre de sa vie, un président pareil est une chance pour les artistes de son pays.

    Et quelle source d'inspiration ! Inépuisable…

    Alors, bardes états-uniens, mes frères d'arme, réveillez-vous ! Chantez ! Peignez ! Hurlez votre révolte, votre colère, vos indignations ! Imaginez des cités utopiques ! Des nouveaux rythmes ! Des mélodies inoubliables ! Montrez qu'un autre monde est possible ! 

    Donald Trump n'est qu'un accident de l'histoire.

  • À lire et à offrir : De père à père (Pierre Simenon)

    images-2.jpegQue faire d'un père qui écrit six à dix livres par année, et qui fanfaronne (face à Fellini, autre grand fanfaron) d'avoir possédé 10'000 (dix mille!) femmes dans sa vie ? Quelle place trouver dans la famille d'un démiurge ? Y a-t-il, d'ailleurs, dans cette folie, une place pour les autres ?

    C'est le propos du livre de Pierre Simenon, De père à père*, qui tient à la fois du recueil de souvenirs et de l'examen de conscience. Le prétexte en est simple, mais subtilement traité : Pierre Simenon doit traverser les États-Unis, d'ouest en est, et quitter la Californie pour s'en aller rejoindre sa femme et ses enfants dans le Vermont. La traversée, qui dure presque une semaine, lui donnera l'occasion de se pencher sur son passé, d'évoquer une foule de souvenirs, et de renouer le dialogue avec Georges, le démiurge, son père, devenu la statue du Commandeur.

    Longtemps confiné dans le rôle de « fils de », Pierre Simenon parle aujourd'hui à Georges en tant que père. De père à père. images-3.jpegIl cherche une impossible égalité dans ce dialogue posthume (Georges est mort en 1989). Une nouvelle place dans la fratrie. Il n'est pas seuls, comme on le sait, dans le « clan Simenon ». Il y a le frère aîné (fils du premier mariage de Georges), Marc Simenon, né en 1939, scénariste et réalisateur de cinéma, qui épousera l'actrice Mylène Demongeot. Marc mourra accidentellement chez lui en 1999. Il y a ensuite Johnny, né en 1949.
    images-5.jpegEt enfin Marie-Jo, né en 1953, qui tentera une carrière de comédienne à Paris, avant de se tirer une balle dans le cœur en 1978. La mort de Marie-Jo est au centre du livre de Pierre : on l'attend, on la redoute, on la pressent avec effroi. Cette fille trop sensible, très fragile, probablement abusée par sa mère, images-4.jpegqui considérait son père comme un Dieu : « tu étais mon Dieu concret, la force à laquelle je me raccrochais… »…

    Dans son récit, Pierre essaie de dénouer l'écheveau des névroses familiales. Il ne s'attribue jamais le beau rôle. Il n'accable pas son père non plus, même s'il lui fait, depuis sa mort, quelques reproches (voir ici la dernière interview de Simenon). Le témoignage qu'il livre est plutôt une charge contre sa mère, Denyse Ouimet, qui a manipulé ses enfants et accusé son mari de tous les maux. On apprend peu de choses nouvelles sur la vie du grand Georges (la biographie** de Pierre Assouline nous la livre intégralement). Mais Pierre éclaire certains épisodes — essentiellement la période lausannoise — d'une lumière empathique.

    Au final, cela donne un récit haletant, non dépourvu d'angoisse (on ne sait jamais comment cela va se terminer), qui est à la fois un hommage au Père, de père à père, et une tentative de réconciliation avec un passé (une dette, un don) particulièrement lourd à porter.

    * Pierre Simenon, De père à père, Flammarion, 2015.

    ** Pierre Assouline, Simenon, Folio.