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Ecrivain de la comédie romande - Page 173

  • Cantat mort ou vif

    bertrand-cantat-1-by-Taniou.jpgNoir Désir. Quel programme ! Eros et Thanatos. Aimer à en mourir. Aimer jusqu'à tuer.

    On peut dire que Bertrand Cantat a rempli sa devise. Sa première femme s'est suicidée et sa maîtresse, battue à mort, a dû agoniser toute une nuit avant qu'il lui porte secours. Pourtant, nous avons aimé Noir Désir. Passionnément. Et nous aimons toujours Bertrand Cantat. Comme on aime les voleurs et les assassins, les pédophiles et les criminels en col blanc. Repentis. Au nom de la miséricorde, tout le monde est prêt à lui donner une seconde chance.

    Mais personne n'est dupe. Qui ira-t-on admirer sur la scène de la Comédie ? La trilogie de Sophocle, mise en scène par Wajdi Mouawad, ou Bertrand Cantat, le chanteur devenu assassin ? Pourquoi a-t-il besoin des hourras de la foule ? Veut-il être admiré, applaudi, lapidé ? Exécuté en public ?

    Le théâtre, parfois, ressemble à la tragédie grecque. Il faut du sang et des larmes pour produire cette terreur sacrée qui trouvait son issue, chez Sophocle ou Euripide, dans la catharsis finale.

  • Jeanne ou Le Livre de ma mère (Jacqueline de Romilly)

    images-2.jpegC'est un livre à la fois très « public » et très secret que nous donne aujourd'hui Jacqueline de Romilly, la grande spécialiste de la Grèce. Très secret, tout d'abord, parce que le livre était achevé de longue date et gardé soigneusement dans un tiroir de son éditeur, Bernard de Fallois, car il ne devait être publié qu'à la mort de l'académicienne, décédée le 18 décembre 2010 à l'âge de 97 ans. Pudique et secret : le texte magnifique de Jacqueline de Romilly l'est constamment. Mais aussi très « public ». À la fois accessible, écrit dans une langue somptueuse, rythmée, vivante, et ouvert sur le monde.

    En retraçant la vie de Jeanne*, sa mère, son ange-gardien, Jacqueline de Romilly passe au scanner le vingtième siècle, depuis la Première guerre mondiale jusqu'à l'époque de Giscard (Jeanne est morte en 1976, à 89 ans). Cette traversée du siècle est impressionnante. Il fallait sans doute une historienne pour en restituer toute l'incroyable aventure. Car la vie de Jeanne, que rien ne prédisposait à un pareil destin, est une vie aventureuse. Mariée très jeune à un homme qui va mourir dans les tranchées aux premiers jours de la guerre, non sans lui avoir fait une fille, Jeanne va connaître le destin des jeunes veuves élevant seules leur enfant. Livrée à elle-même, elle doit trouver les moyens de survivre. images.jpegEt Jeanne multipliera les gagne-pain, exerçant plusieurs métiers plus ou moins bien payés, écrivant tout d'abord les lettres que ces messieurs ne savaient pas écrire, puis s'adonnant elle-même à l'écriture, avec succès, d'ailleurs, puisque plusieurs de ses romans ont paru, entre deux guerre, chez Grasset et Flammarion. Pendant ce temps, Jeanne élève jalousement Jacqueline, sa fille unique, qui brille dans ses études, s'apprête à devenir la grande historienne qu'elle fut, promise à être la première partout (deux prix au concours général l'année de ses 17 ans, Normale sup', l'agrégation, la Sorbonne)…

    Cette vie, d'abord précaire, puis plus confortable, est sans cesse menacée par les alea de l'Histoire. Si la Bourse, où Jeanne avait placé toutes ses économies, la rend riche quelque temps, la débâcle française, en 1940, lui fait tout perdre et oblige Jeanne et sa fille à changer plusieurs fois de cachette pour échapper à la persécution (la mari de Jeanne était un « demi-juif »). Jacqueline de Romilly raconte cette fuite avec les mots poignants d'une survivante, qui traverse mille épreuves, même les plus terribles, avec la certitude que la vie est la plus forte, que la justice — comme la liberté — doit toujours l'emporter.

    DownloadedFile.jpegAprès la guerre, Jacqueline se marie et Jeanne, son ange-gardien, change à nouveau de rôle et de place. D'abord isolée, comme abandonnée par le jeune couple qui mène sa vie. Puis, quand le couple se sépare, se rapprochant à nouveau de sa fille, dont elle prépare les repas et qu'elle accompagne aux quatre coins du monde pour des conférences ou des débats, car Jacqueline est devenue célèbre.

    À travers le portrait de Jeanne, on le voit, Jacqueline de Romilly, en même temps qu'elle fustige sa propre « ingratitude », rend hommage à sa mère, qui a sacrifié sa vie pour sa fille unique. Cela ressemble au Livre de ma mère d'Albert Cohen : le ton est ironique et gai, d'une élégance suprême, toujours éprise de vérité. Cet hommage est aussi un autoportrait en miroir : en retraçant la vie et les combats de Jeanne, qui a tout donné pour sa fille, Jacqueline de Romilly nous livre les étapes de sa propre aventure. Le parcours intime d'une grande intellectuelle du XXe siècle. Avec une rare générosité.

    * Jacqueline de Romilly, Jeanne, éditions de Fallois, 2010.

     

  • Souvenirs du Salon (2)

    IMG_0445.JPGLes Salons du Livre, croyez-moi, c'est la barbe. Bruxelles, Paris, Genève : le topo est toujours le même. A moitié dissimulés derrière une pile de livres, les auteurs font l'article, comme les dames dans les vitrines, mais avec sans doute moins de succès. Chacun essaie de vendre ses charmes. Sourires. Paroles amènes. Regards accrocheurs. Parfois, ça marche. Le plus souvent, on en est quitte pour un long soliloque, au terme duquel le chaland (et bien plus souvent la chalande) repose le livre qu'il tient dans les mains (le vôtre, donc) et s'en va avec une moue dédaigneuse. Pendant ce temps, votre voisin de table, qui, lui, a signé quelques livres, vous regarde du coin de l'oeil en ricanant...

    Mais faut-il rencontrer, à tout prix, les écrivains dont on aime les livres ? À part quelques fétichistes (dont je suis) toujours avides d'exemplaires dédicacés, qui peut bien s'intéresser aux auteurs ? La lecture n'est-elle pas ce plaisir solitaire, parfois même clandestin, qui exige du lecteur à la fois le silence, le secret et la solitude ?

    Heureusement, il y a les rencontres. C'est la seule et la meilleure raison de fréquenter les Salons du livre. Les rencontres obligées, qu'on appelle pompeusement « signatures » ou « dédicaces ». Et les rencontres imprévues. Comme, par exemple, celle de Stéphanie Pahud (photo 1), maître-assistante à l'UNIL et auteure/autrice d'un épatant Petit traité de désobéissance féministe* (voir un article du Temps, ici), qui signe, en toute quiétude, de sa plus belle plume, un exemplaire de son livre. Dans la seconde partie de son Petit traité, Stéphanie Pahud interroge une trentaine de personnalités romandes sur leur vision du féminisme. Réponses passionnantes, qui n'échappent pas à la doxa dominante (tout le monde ici, ou presque — même Michel Zendali ! —, est féministe!). Mais qui trace un portrait assez juste et nuancé de l'époque. Dans la première partie, Stéphanie Pahud analyse avec finesse et (im)pertinence les clichés qui entourent le féminisme aujourd'hui. Images à l'appui. Un livre à lire et à faire lire.

    Autre rencontre, au Salon africain, celle de Gorgui Wade NDOYE, journaliste et animateur du site continentpremier.com. IMG_0447.JPGJe me réjouissais et appréhendais au peu les débats prévus autour de L'Amour nègre. Vous imaginez pourquoi. Mais quand on aime la provocation (et le titre du livre est provocateur), il faut assumer, n'est-ce pas ? J'attendais ce moment depuis longtemps : parler du roman avec les premiers intéressés, lecteurs du continent premier, précisément : les Africains. La rencontre — et les débats (plus de deux heures !) — ont été passionnants, drôles, émouvants. En un mot : très enrichissants. Les questions ont fusé. J'ai essayé d'y répondre le mieux possible. Les débats étaient animés par Gorgui Wade Ndoye, blogueur émérite de la TdG et de 24Heures (voici son blog), journaliste et animateur du site Continent Premier. Un grand moment de partage et de dialogue. Merci Gorgui !

    * Stéphanie Pahud, Petit traité de désobéissance féministe, éditions Arttesia, 2011.