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stéphanie pahud

  • Aux Nymphéas (Après l'Orgie J-4)

    images-3.jpeg- Dans les montagnes, j’apprends à jouer de la guitare. C’est un instrument intime. Il a la forme d’un corps à l’abandon. Un corps sur lequel on se penche. Un corps qui est toujours disponible. Toujours à votre écoute.
    - Comme moi.
    - Mouais.
    - Vous chantez aussi ?
    - Tout le temps. La musique me précède. Elle me suit. À Hollywood, elle est partout. Boutiques. Restaurants. Boîtes de nuit. Clubs de gym. Impossible d’y échapper. On ne l’écoute pas vraiment. Mais elle est déjà dans l’oreille. Elle nous fait croire que la vie est une fête permanente. Elle fait le vide dans nos têtes. Elle y verse l’oubli.
    - Comme la drogue. Et aux Nymphéas ?
    - La musique est secrète. Clandestine. On se retrouve la nuit dans nos chambres. Ensemble. Pour écouter la musique qu’on aime. Se tenir compagnie. Chanter des chansons à la mode.
    - Quelles chansons ?
    - Beyonce. Michael Jackson. Mariah Carey.
    - Marie Curie ?
    - Mais non ! Mariah Carey. C’est une chanteuse américaine. Botox et bonnets D.
    - Ah oui, j’aime bien.
    - La nuit, au collège, la vie reprend ses droits. Le couvrefeu donne des ailes à tout le monde. La prof de droit nous invite à venir dans sa chambre. Elle loge dans le donjon. C’est cossu. Discret. Des bâtonnets d’encens brûlent dans des vases. Les murs sont tapissés de photos de Simone de Beauvoir. Frida Kahlo. Stéphanie Pahud. images-5.jpegLa Combattante et la Martyre. Les deux visages de la femme moderne. On siffle une fiasque de tequila. Justine s’enflamme. Elle vitupère. Elle envoie des fléchettes sur la photo d’un type. Là-bas. Contre le mur. Il ressemble à DSK. Elle récite la vulgate féministe. Gisèle Halimi. Isabel Alonzo : « Le prix d’une marchandise diminue quand elle devient trop commune : ainsi la jeune fille n’est rare, exceptionnelle, remarquable, extraordinaire, que si aucune autre ne l’est. Ses compagnes sont des rivales, des ennemies ; elle essaie de les déprécier, de les nier ; elle est jalouse et malveillante. »
    - Mon Dieu !
    images-4.jpeg- Ça vous effraie ? Elle connaît par coeur tout Le Deuxième Sexe. Mais elle lit aussi Cosmo.
    - Ah, vous me rassurez !
    - Elle est incollable sur toutes les guerres de sexe. De religion. D’ailleurs, pour elle, le sexe est une religion.
    - Est-ce la même qui prétend que « la femme libre doit s’évader de trois prisons : la Nature, les moeurs et l’idée que le mâle se fait d’elle » ?
    - Je vois que vous connaissez la chanson.
    - Oh oui. Ma femme
    - Vous êtes marié ?
    - Je l’étais.
    - Séparé alors ?
    - Cela ne vous regarde pas.
    - Votre femme est partie ?
    - Occupez-vous de vos affaires. Quelles sont donc vos lectures ?
    - Avec qui ?
    - Je refuse de répondre. Dites-moi ce que Justine vous fait lire.
    - Qui vous l’a enlevée ?
    - Son analyste.
    - La honte !
    - Restez polie, Mademoiselle Ming ! Ce sont des affaires privées qui ne vous regardent pas. C’est vous qui êtes venue me voir. Pour sortir de l’enfer. Ce n’est pas moi.
    - Et depuis son départ vous êtes malheureux ?
    - Encore une fois, ce ne sont pas vos oignons.
    - Tout ce qui vous touche me regarde.
    - N’inversez pas les rôles ! Le maître ici, c’est moi. C’est moi qui écoute. Moi qui décide. Moi qui interprète. Votre boulot, à vous, c’est de descendre au coeur de vos ténèbres. Dans la boue et le sang. La merde. C’est tout ce que je vous demande. Alors ne perdez pas le fil. Que se passe-t-il ensuite ?
    - Justine nous apprend aussi à devenir des femmes fatales. Et à désobéir.
    - Comment ça ?
    - « S’exfolier le corps devient glam comme dans un hammam de princesse, et bio en plus. Dans ce flacon écrin, une texture épaisse, gris chiné, aux cristaux de canne à sucre et aux éclats de noix de coco. Ensuite, huiles de coco et de noix de cajou prennent le relais et laissent la peau parfumée et satinée. C’est qui le dessert à la nuit tombée ? »
    - C’est beau comme du Beauvoir.
    - Non. C’est Biba.

    *  extrait de Après l'Orgie, roman à paraître le 4 septembre.

  • Souvenirs du Salon (2)

    IMG_0445.JPGLes Salons du Livre, croyez-moi, c'est la barbe. Bruxelles, Paris, Genève : le topo est toujours le même. A moitié dissimulés derrière une pile de livres, les auteurs font l'article, comme les dames dans les vitrines, mais avec sans doute moins de succès. Chacun essaie de vendre ses charmes. Sourires. Paroles amènes. Regards accrocheurs. Parfois, ça marche. Le plus souvent, on en est quitte pour un long soliloque, au terme duquel le chaland (et bien plus souvent la chalande) repose le livre qu'il tient dans les mains (le vôtre, donc) et s'en va avec une moue dédaigneuse. Pendant ce temps, votre voisin de table, qui, lui, a signé quelques livres, vous regarde du coin de l'oeil en ricanant...

    Mais faut-il rencontrer, à tout prix, les écrivains dont on aime les livres ? À part quelques fétichistes (dont je suis) toujours avides d'exemplaires dédicacés, qui peut bien s'intéresser aux auteurs ? La lecture n'est-elle pas ce plaisir solitaire, parfois même clandestin, qui exige du lecteur à la fois le silence, le secret et la solitude ?

    Heureusement, il y a les rencontres. C'est la seule et la meilleure raison de fréquenter les Salons du livre. Les rencontres obligées, qu'on appelle pompeusement « signatures » ou « dédicaces ». Et les rencontres imprévues. Comme, par exemple, celle de Stéphanie Pahud (photo 1), maître-assistante à l'UNIL et auteure/autrice d'un épatant Petit traité de désobéissance féministe* (voir un article du Temps, ici), qui signe, en toute quiétude, de sa plus belle plume, un exemplaire de son livre. Dans la seconde partie de son Petit traité, Stéphanie Pahud interroge une trentaine de personnalités romandes sur leur vision du féminisme. Réponses passionnantes, qui n'échappent pas à la doxa dominante (tout le monde ici, ou presque — même Michel Zendali ! —, est féministe!). Mais qui trace un portrait assez juste et nuancé de l'époque. Dans la première partie, Stéphanie Pahud analyse avec finesse et (im)pertinence les clichés qui entourent le féminisme aujourd'hui. Images à l'appui. Un livre à lire et à faire lire.

    Autre rencontre, au Salon africain, celle de Gorgui Wade NDOYE, journaliste et animateur du site continentpremier.com. IMG_0447.JPGJe me réjouissais et appréhendais au peu les débats prévus autour de L'Amour nègre. Vous imaginez pourquoi. Mais quand on aime la provocation (et le titre du livre est provocateur), il faut assumer, n'est-ce pas ? J'attendais ce moment depuis longtemps : parler du roman avec les premiers intéressés, lecteurs du continent premier, précisément : les Africains. La rencontre — et les débats (plus de deux heures !) — ont été passionnants, drôles, émouvants. En un mot : très enrichissants. Les questions ont fusé. J'ai essayé d'y répondre le mieux possible. Les débats étaient animés par Gorgui Wade Ndoye, blogueur émérite de la TdG et de 24Heures (voici son blog), journaliste et animateur du site Continent Premier. Un grand moment de partage et de dialogue. Merci Gorgui !

    * Stéphanie Pahud, Petit traité de désobéissance féministe, éditions Arttesia, 2011.