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amour nègre - Page 7

  • Confession d'un drogué

    OlivierCouv.jpgOui, je l'avoue, pour L'Amour nègre*, je me suis shooté. Pas au vin rouge ou au whisky (bien que les deux coulent à flot dans le livre). Je suis un médiocre buveur. Sans doute un reste de mon éducation protestante. Nul n'est parfait. Plus sûrement une incapacité physique à ingurgiter des litres de bibine Je ne me suis pas défoncé non plus à la coke ou à l'héro. Ayant, depuis toujours, une sainte horreur (terreur) des poudres qu'on renifle ou qu'on s'injecte. Je n'ai aucun mérite : cela ne me tente tout simplement pas. Quant au canabis, que toutes mes voisines font pousser amoureusement sur le rebord de leur fenêtre, c'est à peine si j'y ai touché.

    Non. Le vrai shoot, le grand shoot, c'est la musique. Victor Hugo interdisait qu'on mît ses vers en musique. En quoi, d'ailleurs, il a eu tort, si l'on pense aux sublimes poèmes que Brassens a mis en musique (Gastibelza, La Légende de la nonne). La musique, dans le livre, est partout. Il y a plus de cent titres cités, la plupart anglo-saxons (nous vivons à l'ére de la globalisation). Et chaque titre est essentiel. Soit comme bande-son d'une rencontre ou d'une scène entre plusieurs personnages. Soit comme bruit assourdissant qui empêche toute communication et tout dialogue. Soit comme incitation à la rêverie ou aux retours aux sources (The Dock of the Bay, Otis Redding, 1968). Soit comme moment de communication au-delà du langage.

    Parmi tous ces titres, qui forment la bande musicale du livre, il y en a un que j'ai dû écouter environ dix mille fois. Qui m'a shooté et inspiré. Redonné courage quand le livre s'enlisait et littéralement boosté pour certaines scènes de dialogues. Ce morceau, c'est Delicado, de Waldir de Azevedo, un musicien de samba très connu dans les années 50. Il en existe plusieurs versions instrumentales sur You Tube (voir ici). Mais la version que je préfère, c'est indiscutablement celle, funky, irrésistible, de Ramiro Musotto et son orchestra Sudaka, avec, en invités, le génial pianiste africain Omar Sosa, et le non moins génial Mintcho Garrammone (qui joue de cette petite guitare appelée cavaquinho). C'est grâce à l'énergie joyeuse de ce morceau que je suis parvenu au bout de l'odyssée de L'Amour nègre. Alors silence ! Enjoy !

    * Sortie en librairie samedi 9 octobre.

  • L'Amour nègre à Paris


    Mercredi 29 septembre 2010 (18h-21h) à la librairie L’Âge d’Homme

    (5 rue Férou – 75006 Paris)

    nous fêterons la sortie du roman de Jean-Michel Olivier, L’Amour nègre (de Fallois/L’Âge d’Homme)

    OlivierCouv.jpg
    images-2.jpegÀ cette occasion, le comédien Carlo Brandt lira des extraits de L’Amour nègre.
    Présentation du roman. Débat. Dédicaces.
    Pour tout renseignement, consulter le blog : http://librairieagedhomme5rferouparis.blogspot.com/
    Librairie L’Âge d’Homme
    5 rue Férou - 75006 Paris
    (entre la rue de Vaugirard et la place Saint-Sulpice)
    M° St-Sulpice
    01 55 42 79 79
    courriel : lagedhomme@orange.fr
  • Vallée de la Mort

    1013771711.2.jpgIci l'hiver ressemble au paradis. Il se décline en jaune. Brun délavé. Avec des couches d'un bleu cobalt intense. La lumière tombe à la verticale. Le vent souffle en bourrasques tièdes. La mer est oubliée. On roule dans le désert depuis deux heures. La Vallée de la Mort. Au début je croyais que c'est là que les Blancs enterraient leurs ancêtres. Chez nous on les enferme dans des grottes. Ou on les brûle. On conserve leur crâne dans le sel et le salpêtre. Mais Matt m'a expliqué que la Vallée n'est pas un cimetière. Il n'y a pas de nécropole ou de charnier.
    Juste quelques tombes disséminées le long des routes. Au bord des lacs gelés.
    « Ce sont des champs de sel, corrige Matt.
    — On dirait de la glace.
    — Non, Ad. C'est du sel. »
    La voiture roule à vive allure. Il n'y a personne sur la toute poudreuse. Matt a mis la sono à fond. Donald Fagan. New Frontier. De temps à autre, il actionne les essuie-glaces. Pas pour la pluie. Car il ne pleut jamais dans le désert. Mais pour balayer le tumbleweed. Une sorte de végétation sèche que le vent fait tourner. Et qui disperse ses graines aux quatre vents.
    « Comme la mauvaise herbe, dit Matt.
    — Tout est de la mauvaise herbe, je dis.
    — Ouais, dit Matt, étonné. On est tous de la mauvaise herbe.
    — C'est le secret du monde. »
    Midi.
    C'est la fournaise. Les portes de l'enfer.
    On roule au milieu des rochers sur une terre friable d'un brun décoloré. Pleine de rides. De craquelures.
    « On va où, papa ?
    — Nulle part, fiston. On roule.
    — Mais on va toujours quelque part, j'insiste.
    — On traverse la Vallée de la Mort. »
    Matt aime frimer. Il joue au dur. Mais il connaît le chemin par cœur. On traverse Pomona. Bloomington. Fontana. On prend la route 15 jusqu'à Victorville. La même route qu'il emprunte quand il va jouer à Vegas. Au craps. Au pocker. Il tombe sur des filles à la dégaine incroyable. Cheveux bouclés et teints en rose. Débardeur en jersey à bretelles spaghetti. Pour montrer qu'elles n'ont pas de soutien-gorge. Minijupe en cuir vert fluo. Talons strassés d'au moins vingt centimètres. Il les invite à boire un verre. D'autres filles rappliquent au bar. Cheveux peroxydés. Yeux maquillés comme des hiboux. Top moulant Calvin Klein. Ici tout le monde le connaît. Surtout les femmes. Pas besoin de présentations. C'est tout de suite de Oh ! Des Ah ! Des Cool !
    L'extase à portée de regard.
    Il rit. Toujours un peu embarrassé.
    « Le plus bizarre, Adam, c'est tous ces gens qui te connaissent. Et que toi tu ne connais pas.
    — Pourquoi ?
    — Ils savent tout de ta vie. Les petits drames et le bonheurs. Les angoisses. Les déceptions. Même les rêves…
    — Les rêves ?
    — Oui. Ils ont même pénétré dans tes rêves… Ils les habitent. Ils se les sont appropriés…
    — Comment ça ?
    — En lisant les journaux people…
    — C'est terrible !
    — Oui. D'autant que ces rêves, en général, ne sont pas les tiens. C'est de la pacotille…
    — Pourquoi ?
    — Une image fabriquée par les studios. »
    Matt allume une cigarette. Une chanson de Yes passe à la radio. Owner Of a Lonely Heart. Il augmente le volume. Il ferme les yeux. Il bat le rythme sur le volant de la voiture. Il aspire une longue bouffée de cigarette.
    « Le plus troublant, enchaîne Matt, c'est que tu n'es jamais toi-même…
    — Tu veux dire que les filles…
    — Ouais. Elles ne tombent pas amoureuses de toi. Mais d'un rôle. D'une image…
    — Ça ne t'empêche pas de les sauter !
    — Langage, Adam !
    — Je veux dire d'entretenir avec elles des relations rapprochées.
    — J'avais compris, fiston.
    — Qu'est-ce qui t'embête alors ?
    — Le problème, c'est qu'à la fin, tu ne t'y retrouves plus toi-même…
    — Comment ça ?
    — C'est le miroir aux alouettes. À force de jouer tous les rôles, on n'est plus rien. Plus personne. »
    Il fait des volutes de fumée. De sa voix haut perchée Dewey Bunnell chante A Horse With No Name. Guitare acoustique. Basse. Bongos. Le paradis sur terre.
    « C'est pour ça que tu viens dans le désert ?
    — Bien vu, Adam. »
    Il bâille. Des larmes noient ses yeux. Il prend une bouteille sous son siège. Il boit une rasade au goulot. Ce bon vieux Jack Daniels. Il récite quelque chose. Je ne comprends pas tout. La musique est trop forte. Ramiro Musotto et son Orchestra Sudaka. Avec Omar Sosa au piano. Delicado. On plane les deux au bord du vide.

    C'est ainsi que je veux te garder,
    loin au fond du miroir,
    comme toi-même tu t'y es mise,
    loin de tous.
    Pourquoi viens-tu autrement ?
    Pourquoi te renies-tu ?



    La musique s'est arrêtée. Matt boit une gorgée de bourbon.
    « Qu'est-ce que c'est ? je dis.
    Les Élégies de Duino. Un poème de Rilke. Il a trouvé les mots pour dire ce que je ressens. »
    Sa voix s'éteint. Il reste un moment sans parler. On est au cœur de la fournaise. Dehors il fait 50°. La clim tourne à plein régime. Pas un souffle de vent. Rien que le désert à perte de vue. La terre brune et durcie. Ridée comme une peau d'éléphant.
    « C'est l'hiver, dit Matt d'une voix mystérieuse. La Vallée de la Mort. »
    On roule encore un peu. Sheryl Crow chante Leaving Las Vegas. Matt arrête la voiture près d'une cabane abandonnée. Il sort. Il ouvre le coffre. Il prend la carabine enroulée dans un peau de chamois. Il me dit de venir avec lui. Le ciel est transparent. D'un bleu liquide. Comme les yeux de Matt. Je commence à avoir les jetons. Matt a mis sa casquette des Lakers. Il a des plaques rouges sur le visage. Il crie. Les doigts crispés sur la gâchette. Des trucs que je ne comprends pas. Il met la carabine en joue. Il la pointe sur moi. Mon cœur s'arrête. Non. J'ai envie de hurler. Ne me tue pas. Je ferai tout ce que tu veux. Je serai un bon fils. J'ai tellement peur que je mouille mon pantalon. Au dernier moment, Matt vise le ciel. Il tire. Il recharge son arme. Il vise les rochers. Nouvelle détonation. Avec l'écho les coups de feu font un boucan d'enfer. Matt vide son chargeur. J'ai les oreilles en marmelade.
    Mon père frissonne. Il est pâle comme un mort. Je cours vers la voiture. Matt me rejoint sans un mot. Visage bouffi. Regard perdu dans le vide. Il s'assied au volant. Il boit une rasade de bourbon. Il tourne la clé. Moteur au ralenti. Il allume la radio. On roule un bon moment sur la route grise. À un carrefour Matt tourne à gauche. On rejoint la 395 jusqu'à Ridgecrest. Janis Joplin chante I Got Dem Ol' Kozmic Blues Again Mama.