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livres en fête - Page 61

  • Grégoire Müller l'insoumis

    images-3.jpegÉtrange ouvrage que celui de Grégoire Müller (né en 1947 à Morges), peintre et sculpteur figuratif, mais aussi critique et enseignant, ayant roulé sa bosse un peu partout et travaillé avec César, Arman et Phil Glass, entre autres, avant de s'installer, avec sa femme et ses deux filles, à La Chaux-de-Fonds. Son livre s'intitule Insoumis*. Il prend la forme d'un journal intime, sous-titré « Cent jours d'une vie de peintre ». Étrange, tout d'abord, parce qu'il ressemble peu aux journaux de peintres qu'on connaît, comme le fameux Journal de Paul Klee, ou encore au Journal de Pontormo publié naguère par Jean-Claude Lebensztejn. Il cherche à mettre à jour « les ingrédients de cette alchimie qu'est la peinture ». Mais son journal, en fin de compte, nous en apprend assez peu sur les secrets de la peinture. En revanche, il nous parle des conditions matérielles, affectives, psychologiques de la création.

    Toutes les journées de l'artiste semblent obéir à un même rituel, comme s'il devait suivre un ordre invisible. Il commence par prendre un bain brûlant, qui lui dégage l'esprit, libère son corps des tensions négatives, le rend disponible à l'appel du tableau à peindre. « Méditation, respiration… Atteindre cet état second proche du sommeil… État d'éveil dans lequel les images et les idées semblent faiure surface tout naturellement dans l'esprit… ». Ensuite travail dans l'atelier. Corps à corps acharné avec la toile, les formes et les couleurs. À midi, rendez-vous avec sa famille, pour un repas dont Grégoire Müller nous donne chaque jour le menu détaillé. L'après-midi est plus libre. Retour à l'atelier ou promenade ou verrée avec ses amis. Les soirées, également, semblent obéir à un rituel assez strict. Repas de famille. Discussions animées avec ses filles et sa femme, Pascal. Etc.

    Alors, me direz-vous, quel intérêt à publier un Journal qui semble répéter, jour après jour, le même ordre immuable ?

    DownloadedFile.jpegC'est qu'au fil du journal, malgré tous les rituels rassurants, la trame des jours se déchire. « La soufrance est partout dans le monde » écrit Müller. Elle est aussi au cœur de sa vie et de sa famille. Il nous parle de la longue dépression de sa fille aînée, Saskia. Des soucis professionnels de sa cadette, Misha. Et peu à peu, au fil des jours, traverse des épisodes mélancoliques ou maniaco-dépressifs. Cette souffrance déchire l'artiste et nourrit son travail en même temps. On comprend mieux, alors, l'importance de ces repas partagés « dans la bonne humeur », de cet intermèdes heureux qui sont comme des bouffées d'air dans une vie surplombée de nuages.

    « Je n'ai ni méthode, ni style ; j'ai un désir, une conscience et un instinct qui échappe à la raison. » Au fil des jours, dans sa confrontation avec la peinture, Grégoire Müller nous livre des réflexions passionnantes sur l'art et la création, qui éclairent son travail et forment une manière d'esthétique tout à fait personnelle. C'est l'un des aspects les plus intéressants du livre. « Je sais ce que j'attends de ma peinture. Je veux ouvrir de grands espaces dans lesquels on puisse pénétrer, je veux mettre en scène la figure humaine (qui me semble définitivement être au centre de toute l'histoire de la grande peinture), je veux peindre avec des gestes larges qui impliquent tout mon corps, sans fignolage et sans tarabiscotage, quelque chose de direct, de clairement lisible, sans maniérisme et sans stylisatoion évidentes, quitte à accepter une certaine maladresse… »

    Un mot encore sur titre, Insoumis, singulier pluriel. Il se rapporte, d'abord, à l'artiste lui-même, insoumis par nature, pourrait-on dire. Qui ne peut que remettre en question l'ordre établi du monde et de son propre travail. Il se rapporte aussi à ses filles, insoumises, chacune à sa manière, dans ses combats quotidiens. Il peut se rapporter enfin à sa femme, Pascal, Américaine déracinée, qui ne peut se soumettre à la vie trop tranquille de la Suisse. Il pointe en chacun d'entre nous ce noyau de révolte qui vibre et nous fait avancer.

    * Grégoire Müller, Insoumis, Cent jours d'une vie de peintre, L'Aire, 2010.

    P.S. C'est un petit défaut, mais cela gêne la lecture : j'ai dénombré près d'une centaine de coquilles (orthographiques, typographiques, grammaticales) dans le texte ! Dommage pour un livre de qualité…

     


  • Houellebecq, malgré tout

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    Pas de surprise, hier, à l'annonce des lauréats du Prix Goncourt et du Prix Renaudot. Après avoir raté deux fois Houellebecq, le jury Goncourt se rachète une bonne conscience en récompensant La Carte et le Territoire (voir ci-dessous), qui n'est de loin pas le meilleur Houellebecq, mais peut-être pas le plus mauvais non plus. Quant au Renaudot, il est attribué, comme souvent, au loser du Goncourt. Cette année, l'écrivaine « trash » Virginie Despentes, pour Apocalypse bébé (Grasset).

    J'ai toujours aimé Michel Houellebecq, auteur improbable d'une œuvre qui sans doute le dépasse, tant elle surmédiatisée, comme son auteur. Dans Extension du domaine de la lutte (1994), Houellebecq explore les méandres et la détresse du monde de l'entreprise. Les rages, les jalousies, l'obsession du succès retournée en échec. Sa plume s'affine dans Les Particules élémentaires (1998), à mon avis son meilleur livre, qui retrace la vie de deux frères jumeaux aux destins inextricablement liés. Satire des années post soixante-huit, de l'idéal communautaire et de la fameuse « libération sexuelle ». Le sexe, précisément, est au centre de Plateforme, roman qui dénonce à la fois la misère affective du monde occidental et sa recherche désespérée du plaisir à tout prix, en particulier dans ce qu'on appelle le tourisme sexuel. En 2001, La Possibilité d'une île renouait avec la veine des Particules, en proposant un roman de science-fiction tout entier construit autour du thème du clonage.

    Près de dix ans plus tard, le petit lutin triste (de son vrai nom Michel Thomas, né à la Réunion en 1956) nous propose un objet bizarre, à la fois séduisant et un peu mal fichu. Séduisant, tout d'abord, parce qu'il commence comme une biographie d'artiste, celle d'un créateur contemporain Jed Martin, dont on suit pas à pas le cheminement vers le succès (qu'il s'acharne à fuir, mais qui le poursuit). Bien vite, on comprend que Jed Martin est un clone de Houellebecq. Même attitude désinvolte vis-à-vis de la société, des femmes, des amis. Même fond d'indicible tristesse qui paralyse notre héros dans certaines circonstances. Même besoin de « rendre compte du réel » dans ses œuvres, la plupart mal comprises.

    Mais le roman vire une première fois de bord dans la deuxième partie, lorsque Jed Martin rencontre le « vrai » Michel Houellebecq. Une sympathie mutuelle unit les deux hommes qui décident de travailler ensemble. Jed fait le portrait de MH et celui-ci accepte d'écrire un texte pour le catalogue d'exposition de Jed. Jeu de miroir troublant. Où les mots et les images se croisent et se reflètent. Au portrait de l'artiste en jeune louip succède le portrait de l'écrivain tel qu'on le connaît, ou que les médias le présentent. Solitaire, quasi aphasique (il ne parle qu'à son chien, et encore, pas tous les jours!), vivant dans une grande maison vide. Buvant comme un pochtron du vin de médiocre qualité. Un homme pathétique, en somme. Sans famille, sans ami, sans projet. Sans désir. L'auteur (Houellebecq) s'amuse (et nous amuse) beaucoup dans ce portrait pouilleux et désabusé d'un auteur à succès. Cela nous vaut quelques pages hilarantes sur la triste condition de star littéraire !

    images-1.jpegBien sûr, cela ne dure pas. Et la troisième partie du roman amorce un nouveau virage. On retrouve Houellebecq assassiné, le corps découpé en lambeaux, sans raison apparente. Commence alors une longue, trop longue enquête policière. L'auteur (qui n'est pas mort, lui) ne nous épargne aucun détail. Ni sur le crime lui-même, ni sur la vie tranquille (et déprimante) des inspecteurs chargés de résoudre l'affaire. On se retrouve plongés dans Les Experts dans le Loiret. Le roman, brusquement, s'enlise et le lecteur remâche son ennui (sans doute voulu par l'auteur, maître en manipulation).

    Heureusement l'épilogue, même s'il ne nous apprend pas grand-chose de plus, revient sur la figure de Jed Martin, cet artiste au parcours à la fois singulier et banal. On retrouve le double de Houellebecq à la fin de sa vie, qui aborde la question de sa postérité et de son héritage artistique. L'auteur laisse libre cours à sa veine satirique (c'est là, à mon sens, qu'il est vraiment incomparable). Il imagine une société post-industrielle qui reviendrait aux valeurs traditionnelles. Le tourisme. L'agriculture (!). Malgré ses dénégations, on sent le besoin pour l'auteur non seulement de « rendre compte du réel », mais aussi de laisser une trace, picturale, graphique ou photographique. Comme son père architecte, en secret, lui a légué ses dessins de jeunesse, qu'il découvre à la fin de sa vie.

    Le roman se termine sur une sorte de pied-de-nez, très houellebecquien. Mais il a aussi des allures de testament. On n'est pas sûr que Houellebecq écrive un jour un autre livre.

    * Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion, 2010.

  • Petit hommage à l'ami Georges Haldas

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    Fascinante entreprise, surhumaine et sans doute infinie, que celle de Georges Haldas, commencée il y a cinquante ans sous le signe de la poésie, et qui emprunte, depuis, les chemins les plus divers, les plus inattendus (chroniques, carnets, entretiens). Avec Meurtre sous les géraniums, une extraordinaire chronique des années de guerre, Haldas touche, peut-être, au secret même de sa recherche : à l’indicible enfoui sous le silence des gestes et des comportements quotidiens.

    Nous sommes en 1940, dans une petite ville de province, cernée par l’ennemi. L’« empire du meurtre », écrit Haldas, a gagné, peu à peu, toute l’Europe. Et même Genève qui, sous ses allures de cocote, se garde bien de choisir son camp. Autant, sans doute, par idéalisme, que par nécessité financière, Haldas décide d’entrer dans le journalisme. Et pas n’importe où, puisqu’il entre au Journal (de Genève), où il occupera bientôt, et à tour de rôle, tous les postes. Correcteur, d’abord, des articles des autres, puis chroniqueur de théâtre, et enfin grand reporter.

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