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chroniques nouvelliste - Page 5

  • Notre sorcière bien-aimée

    images.jpegLa politique n’est pas un métier de tout repos. Certains y entrent avec leurs convictions, leur credo intangible et une bonne foi incontestable, comme naguère on prenait la soutane. Mais ils se heurtent à la réalité, qui est têtue. Ils doivent composer avec les opinions contraires, souvent issues des mêmes rangs, ruser avec l’ennemi, mentir à celles et ceux qui les ont élus. Arrivés au pouvoir, il leur faut se montrer « collégiaux », c’est-à-dire faire le poing dans leur poche. Et, ironie suprême, ils ont à charge, parfois, de défendre un point de vue diamétralement opposé au leur, comme Simonetta Sommaruga vantant les mérites d’une révision de la loi sur l’asile, combattue bec et ongles par son propre parti !

    C’est une scène de théâtre où se joue, dirait-on, une pièce longuement répétée, quelquefois bien écrite, le plus souvent bâclée. Les acteurs sont toujours les mêmes. Certains ont du talent. Ils se mettent d’accord pour changer de costume et de rôle à chaque représentation. Chacun connaît le fin mot de la pièce. Mais avant d’en arriver là, que de retournements de vestes !

    Combien de menaces et d’insultes ! De fausses indignations et de clins d’œil appuyés au public !

    Vous avez reconnu la pièce et les acteurs. Elle se joue cette semaine au Palais fédéral. Si vous avez manqué le début, ce n’est pas grave. Il y aura des représentations supplémentaires. Beaucoup de bruit et de salive pour rien. Et le dénouement, quelque peu différé, est attendu : ce sera oui ! Un oui du bout des lèvres, certes, contrit, susurré à mi-voix, comme une chanson de Carla Bruni, mais un oui clair et définitif.

    L’artisane de ce oui aux accords avec les États-Unis sur les banques s’appelle Eveline Widmer-Schlumpf. Fille d’un ancien Conseiller fédéral fort respecté, c’est aujourd’hui la femme la plus haïe de Suisse. Et la plus courageuse aussi. On l’a traitée de tous les noms : traîtresse, diablesse, sorcière. Au fond, Eveline, pour les médias, c’est Ève, sans le serpent ! La femme qui touche au fruit de l’arbre de la connaissance…

    Et la sorcière, mine de rien, a réussi à faire avaler aux élus fédéraux une potion saumâtre. images-1.jpegCertains ont toussé. D’autres ont été près de vomir. Mais à la fin, comme d’habitude, tous ont trempé leurs lèvres dans le calice amer. Et Eveline, qui s’est longtemps battue pour défendre les banquiers félons, a esquissé un sourire. Modeste, bien sûr, comme tout ce qu’elle fait. En remuant brièvement le bout de son nez, comme Samantha dans la série américaine du même nom, elle est devenue notre sorcière bien-aimée.

    L’avenir retiendra son courage : elle était seule, abandonnée de tous, pour plaider un dossier difficile. Il oubliera sûrement les vraies raisons de ce psychodrame : les pratiques pour le moins douteuses de certaines banques de la place. Mais ont-elles retenu la leçon ?

     

     

     


  • L'ère du soupçon

    images-3.jpegIl faut imaginer Adam heureux. Il était seul sur terre. Autour de lui, rien que la nature vierge et sauvage. Il pouvait délirer des heures dans la forêt sans que personne ne l’interrompe ou ne le contredise. Ève n’était pas encore là pour lui couper la parole. Mais parlait-il déjà ? Pour dire quoi et à qui ? Avait-il donné un nom aux fleurs des prairies, aux nuages du ciel, aux animaux qui menaçaient sa vie ?

     Le premier homme est important. Mais c’est un mythe : l’Unité primordiale, la Vérité immaculée, l’Origine pure. Tout cela a été inventé après coup. Par les religions, la philosophie, la morale. Il n’y a plus qu’une poignée de nostalgiques pour croire encore à l’unité indivisible de l’homme, et à sa pureté naturelle.

    Car tout commence, en vérité, avec le deuxième homme — autrement dit la femme. C’est Ève qui, en même temps qu’elle jette Adam dans les tourbillons de l’histoire et de la connaissance (c’est-à-dire de l’évolution), invente le langage. Les mauvaises langues prétendent d’ailleurs que depuis que la femme a inventé la parole, elle ne veut plus la rendre ! Oui, c’est l’autre qui invente la langue, qui suscite le dialogue, qui provoque la contradiction. C’est l’autre qui, par sa présence, son écoute, vous remet constamment à votre place quand vous vous égarez. C’est l’autre qui, d’un sourire ou d’un mot cruel, débusque vos mensonges.

     Avec le deuxième homme — disons la femme ! — commence l’ère du soupçon.

     Seul, l’homme n’existe pas. Il se ment sans cesse à lui-même. Il se berce d’illusions. Il se croit le maître du monde.

    DownloadedFile.jpegC’est ce qui est arrivé, il y a peu, à Jérôme Cahuzac, ministre français des Finances, donnant des leçons de morale à la terre entière avant de se prendre les pieds dans un tissu de mensonges. Certes, sa femme l’avait dénoncé. Médiapart a suivi. Et, comme une meute, les journalistes, l’ont dévoré vivant. C’est aujourd’hui le sort des gens que l’on soupçonne…

     En même temps, par un curieux hasard (à qui profite-t-il ?), des milliers de noms d’avocats et d’hommes politiques circulent sur des listes noires, les « Offshore leaks ». Tous des menteurs et des fraudeurs potentiels ! L’ère du soupçon est généralisée. Aux yeux de ces nouveaux inquisiteurs, tout le monde est suspect a priori. Il ne s’agit pas seulement de surveiller son voisin : il faut aussi le dénoncer si l’on remarque quelque chose d’anormal (on appelle ça des whistleblowers). La presse, chargée d’instruire le dossier, est ravie : elle peut jouer les redresseurs de tort. Le feuilleton est infini, et les tirages remontent. Mais est-ce bien moral ?

    Adam ne connaissait pas le soupçon. Il était seul et brave. Il luttait pour sa survie, terrassait des mammouths, traversait des fleuves à la nage. Était-il heureux pour autant ? Je n’en suis pas certain. Car quand il réalisait un exploit, à qui voulez-vous qu’il aille le raconter ?

  • Le temps des Pères est révolu

    images-2.jpegL’Italie vit des jours difficiles : le Saint Père est parti en vacances et son premier Ministre, le trop sérieux Mario Monti, a perdu les élections. Plus personne à la barre ! Est-ce un signe que les Pères, en Italie comme ailleurs, ont perdu la partie ? Qu’ils ne sont plus à même de diriger un pays — fût-il le plus petit du monde ? Ou est-ce un simple accident de l’Histoire ?

     Dans le cas du Saint Siège, hélas, rien ne risque de changer. Les rouages millénaires de l’élection d’un nouveau Pape sont bien rodés. Délibérations à huis clos. Vote à bulletins secrets. Le système est verrouillé de l’intérieur. Comme l’organisation ancestrale de l’Église, patriarcale et dogmatique, qui exclut des conclaves la moitié féminine de l’humanité et sait tuer dans l’œuf toutes les réformes, et étouffer tous les scandales. On se croirait au Moyen Âge. À l’heure où le sida ravage une partie de l’Afrique, on disserte doctement pour savoir si l’on a droit, ou non, d’utiliser des préservatifs. On institue des tribunaux pour savoir si les femmes ont une âme, ou non…

    Quant au monde politique, il a pris une claque comme peu de politiciens en ont reçue. Mario Monti, ancien premier ministre de la rigueur, a récolté moins de 10% des voix. Autant dire qu’il peut retourner à ses comptes d’épicier. L’Italie ne veut plus de lui. images-4.jpegL’ancien bellâtre Silvio Berlusconi — surnommé Papi par ses jeunes conquêtes féminines — revient sur le devant de la scène. Il incarne la politique spectacle qui plaît tant aux habitants de la Péninsule : la trilogie football-télévision-velline en négligés transparents. Mais, là encore, il ne fait plus l’unanimité. Les Italiens sont fatigués de ce vieux système politique reposant, pour l’essentiel, sur les alliances d’intérêt, la corruption, les affaires louches entre banques et coopératives, etc.

     Aujourd’hui, l’Italie est orpheline. Elle se cherche un nouveau Père. Est-ce la fin d’un monde ou une simple péripétie ?

    images-1.jpegUn nouveau Père se profile à l’horizon. Il s’appelle Beppe Grillo. Il a les cheveux blancs et crépus. Un grand sens de la dérision et le verbe haut (même si le mot vaffanculo revient souvent dans son vocabulaire !). Son parti, sur lequel personne n’aurait misé un centime d’euro, est aujourd’hui majoritaire. Il pourrait même être le nouveau chef du gouvernement, si les statuts de son parti ne le lui interdisaient (Grillo a été condamné naguère à la suite d’un accident de voiture, ce qui l’empêche de briguer ce poste). Son programme est éloquent : loi anticorruption, revenu minimum, référendum sur l’Euro, élection directe des candidats à la chambre des députés, loi sur les conflits d’intérêt, accès gratuit à l’Internet, etc.

    Une vraie révolution !

    Le temps des Pères est-il révolu ? Peut-être pas.

    Mais je rêve qu’un matin de printemps, une fumée blanche s’échappe des cheminées du Vatican et qu’un antique cardinal annonce d’une voix docte et joyeuse : Habemus Mamam !