all that jazz - Page 85
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Ô rage, ô désespoir
Honte, déshonneur. Enfer et damnation. Caramba, encore raté !Quels dieux faut-il invoquer après la défaite pathétique de l'équipe professionnelle suisse face aux amateurs luxembourgeois?Toute la question est là, précisément. Alors que les Suisses font profession de footballeurs, les autres, plus modestement, se contentent d'être des amateurs. Autrement dit : des hommes qui aiment le jeu. Les premiers, on le sait, sont grassement payés. Les seconds, hormis l'honneur de faire la une des gazettes ducales, jouent pour la gloire, et le plaisir. En se défonçant et en rêvant, de temps à autre, d'une hypothétique performance.C'est là, sans doute, tout le nœud du problème. Choyés dans leur club, adulés comme des divas en équipe nationale, les joueurs suisses ne sont plus performants. Ils ne montrent plus rien, parce qu'ils n'ont plus rien à prouver. Ils croient le match gagné avant même d'avoir entamé la partie. Il n'y en a point comme eux. Et dès qu'on leur résiste, ils sont désemparés et partent en ficelle…Otmar Hitzfeld, l'un des meilleurs entraîneurs du monde, aura bien du pain sur la planche, s'il veut rendre à nouveau compétitive une équipe formée de onze délicates pouliches. Depuis la terrible défaite contre l'Ukraine, en 2006, l'équipe régresse à chaque match. Le ressort est cassé. Il faut un horloger subtil, intelligent, inventif, pour remettre la machine en marche. Faire de l'ordre, d'abord, puis imposer un nouveau contrat de confiance (et de performance). C'est un pari risqué, tant pour l'entraîneur que pour les joueurs. Mais il est nécesaire pour la suite, si l'on ne veut pas partir d'avance battu pour les prochaines compétitions.Lien permanent Catégories : all that jazz -
Éloge de la fofolle
Imaginez une jolie femme, 30 ans, célibataire, qui traverse la vie comme une salamandre le feu. Un peu fofolle…On lui vole son vélo ? Elle regrette seulement de n’avoir pas pu lui faire ses adieux, et décide, aussitôt, de prendre des leçons de conduite. Elle tombe sur un libraire neurasthénique ? Elle lui conseille de lire un bon livre. Un professeur d’auto-école paranoïaque ? Elle trouve les mots pour endiguer sa rage, sa haine des autres, ses frustrations.
En toutes circonstances, la jeune femme, Poppy dans le film, réagit de la même manière : elle rit. Non du malheur des autres, mais de la chape de noirceur qui enrobe aujourd’hui toute chose. Elle se moque de la dépression ambiante, du chagrin généralisé et obligatoire. Chaque jour, allez savoir pourquoi, elle se réveille armée d’un optimisme à toute épreuve. Comme le dit un personnage du film, elle a mystérieusement traversé les mailles du filet. Autrement dit, elle a échappé à la culture de la mort, à la normalisation négative. Dans une société où l’aliénation (par la famille, le travail, l’individualisme forcené) est la règle, elle fait tache.
Nul doute qu’un jour ou l’autre, hélas, la société la rattrapera pour l’interner ou la « soigner », c’est-à-dire la neutraliser. Mais, en attendant, elle dispense à qui veut l’entendre sa leçon de bonheur. Et cette leçon, chacun devrait l’apprendre par cœur, tant elle est belle, et qu’elle fait du bien.
Ah, oui, j’ai oublié de vous dire : le film s’appelle Happy-go-Lucky. Il est signé du réalisateur anglais Mike Leigh. Et c’est la lumineuse Sally Hawkins qui incarne la géniale fofolle. Il se joue actuellement à Lausanne, à Genève, à la Chaux-de-Fonds. Il ne faut surtout pas le manquer.
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Les années Warhol
Ce n’est pas un roman historique, ni sociologique, que propose Jean-Pierre Keller avec Andy le somnambule*. Il s’agirait plutôt d’une évocation, à la fois passionnée et passionnante, des années-Warhol. On se trouve à New York, bien sûr, au début des années 60. Warhol y invente le pop art et ouvre sa mythique Factory. L’air absent, toujours pareil à lui-même, impassible, Warhol observe les autres (musiciens, peintres, sculpteurs, photographes) : il laisse « juste monter la tension. »En réalité, plus qu’un artiste spécialiste d’un art ou d’un autre, c’est un observateur, un espion, un metteur en scène. Keller restitue avec humour et brio cette aura de folie qui entourait Andy Warhol. La création désordonnée et incessante dans toutes les formes d’art. L’expérimentation sans limite, avec ou sans l’aide des drogues, de la vie dans tous ses états. L’extraordinaire liberté d’un mouvement artistique que personne — surtout pas Warhol — ne maîtrisait…
« C’est sur ce manque intérieur, cette carence, cette incomplétude que tu as bâti ton Église — aux Église aux rites dérisoires et aux clinquantes icônes. Une Église qu’on poète de mes amis a baptisée d’un nom obscur et magnifique : l’Église du Pénis Inimaginable. Peut-être par nostalgie des rites que tu observais dans ton enfance à Saint-Chrysostome, as-tu voulu jouer le rôle du grand prêtre et du confesseur ? Mais que n’as-tu su donner à tes ouailles égarées l’amour qu’elles méritaient ? »
Encore une histoire d’amour qui se termine mal ! On sait l’idolâtrie qui entourait Warhol dans le courant des années 70. On sait aussi que tout idolâtre finit par tuer l’idole qu’il adorait. Cela se confirme avec Warhol qu’une adoratrice particulièrement remontée tenta d'assassiner de plusieurs balles de revolver. C’est d’ailleurs à l'idolâtre criminelle que Keller donne la parole dans la seconde partie du roman, qui tente d’élucider les raisons de son acte. Acte libératoire, une fois encore, de l’amour qui rend abject et prisonnier. Et geste fondateur, comme il se doit, d’une nouvelle religion qui reposera sur la mort de son dieu. Par où Andy le somnambule rejoint le Christ à la Croix !Jean-Pierre Keller, Andy le somnambule, roman, l'Âge d'Homme, 2007.
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