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all that jazz - Page 31

  • Retour d'Égypte

    DownloadedFile.jpegMarlène Belilos n'est pas une inconnue. Née à Alexandrie en 1942, elle est obligée de fuir l'Égypte à l'arrivée de Nasser. Puis c'est l'Italie, la France, la Suisse où Marlène, en tant que journaliste, travaille pour les journaux et la télévision romande, dont elle est exclue, à l'époque de Lôzanne bouge, avec quelques autres (dont Nathalie Nath et Michel Boujut). L'affaire, à l'époque, fait grand bruit. Et la TSR, où règne une chasse aux sorcières, n'en sort pas grandie ! Un peu d'enseignement, ensuite. Puis direction Paris, où elle produit des émissions sur TV5 Monde et France-Culture. Et devient, last but not least, psychanalyste…
    Elle nous donne aujourd'hui un petit livre épatant*, qu'on lit avec délectation. Il raconte l'exil forcé du roi Farouk, 32 ans, qui a porté tous les espoirs de liberté du peuple égyptien. Nous sommes le 26 juillet 1952. Farouk embarque sur son yacht, « le Bien Protégé », pour quitter à jamais son pays. Marlène Belilos, 10 ans à l'époque, reconstitue avec douceur et nostalgie cette journée historique : la ville d'Alexandrie où vivait sa famille, le mélange harmonieux des langues et des cultures, les parfums des échoppes d'épices, le marchand d'eau de rose. « L'air sent le sel et il ne pleut jamais… »

    Peu à peu, les choses vont changer. Les étrangers (expats, juifs sépharades, Anglais, Français) ne sont plus bienvenus. Le pays croule sous les dettes et Nasser, bientôt, va nationaliser le Canal de Suez. images.jpegPour la famille Belilos, riche famille juive venue d'Alep, en Syrie, l'heure de l'exil a sonné. « Mon père aussi avait perdu, tout comme Farouk, sinon son royaume, en tout cas son palais. » C'est alors le départ forcé. Pour les plus pauvres, israël. Pour les plus fortuné, l'Europe imaginaire. L'Italie, la France, la Suisse, selon le grand loto des passeports.

    À travers une série de souvenirs, qui sont autant de photographies, tantôt nettes et tantôt un peu floues, Marlène Belilos reconstitue une patrie perdue : l'Égypte de son enfance. La langue est belle et émouvante. Elle trouve les mots justes pour dire la brisure, l'exil, la séparation. C'est la langue du cœur.

    Ce livre lumineux se termine sur l'évocation du plus grand héritage égyptien : l'écriture, qui ressuscite l'enfance, et permet de transmettre l'émotion, les souvenirs, les connaissances. En un mot, ce qu'on a perdu.

    * Marlène Belilos, Le Yacht du roi Farouk, éditions Michel de Maule, 2013.

  • Les livres de l'été (29) : John Goetelen

    images.jpegTapez « féminista » sur Google, et vous tomberez aussitôt sur une boutique de lingerie intime proposant soutien-gorges et porte-jarretelles, ainsi qu'une panoplie impressionnante de sextoys…

    Mais le terme « féminista » ne se résume pas aux artifices de séduction. Il désigne aussi, aujourd'hui, une mouvance féministe, qui s'inspire du Women's Lib des années 70. En plus extrême. C'est ce mouvement qui, dernièrement, a tenté de faire interdir, à Lausanne, certaines affiches jugées sexistes. Ou encore, qui tente de mettre un terme à l'émission Tango, animée par Sofia Pekmez et Michel Zendali sur la RTS, au prétexte que cette émission, fondées sur des stéréotypes, offrirait une image dégradante de la femme…

    Comme on le voit : les « féminista » essaient de remplacer, sous nos latitudes, les anciennes ligues de vertu qui voulaient protéger les femmes (toujours pauvres et dominées) contre l'affreuse agression des mâles (toujours violents et dominants)…

    Un petit livre dû à la plume alerte et ironique de John Goetelen (alias hommelibre, voir son blog, ici), apostrophe brillamment « Féminista »* images-1.jpegDans cet essai effronté, Goetelen reprend la plupart des idées en vogue aujourd'hui dans les milieux féministes, les interroge et en discute la pertinence. Ainsi, bien sûr, de l'image de l'homme (et de la femme), de la fameuse (et fumeuse) question des « genres » (qui cherche à nier toute différence biologique au profit d'une différence « culturelle », forcément stéréotypée), de la violence conjugale (pas exclusivement masculine), de la sexualité, etc. La discussion est vive, souvent provocatrice, fondée sur l'analyse de nombreux documents. On sent que Goetelen exprime un peu plus que sa seule opinion dans ce livre, mais aussi et surtout son amour des femmes. Un amour délicat, total, et parfois contrarié.

    C'est drôle, tendre et intelligent.

    Si les questions de « genre » vous intéresse, il faut le lire séance tenante.

    * John Goetelen, Féminista : ras-le-bol, Éditions Atypic, 2012.

     

  • Les livres de l'été (22) : Jean-François Duval

    images.jpegAvant eux, à Paris, il y a eu les existentialistes, qui mélangeaient le jazz et la philosophie dans les caves de Saint-Germain-des-Près. On refaisait le monde en rêvant de révolutions, ici et maintenant, de justice et de liberté. Après eux, il y a eu les zazous, les beatniks, les hippies, les punks, les grunges, inspirés par Kurt Cobain, le chanteur du groupe Nirvana. Entre les deux, marquée par Sartre et Camus, il y a eu la Beat Generation, mouvement initié par un petit groupe de poètes américains en rupture, parmi lesquels Allen Ginsberg, William Burroughs et, bien sûr, le ténébreux Jack Kerouac, auteur de Sur la Route*, le roman qui lança véritablement la mode beat dès sa sortie en 1957. Plus encore qu'un mouvement littéraire, il faudrait parler de phénomène sociologique. Au début des années 50, on voit apparaître des films avec Marlon Brandon et James Dean, mettant en scène des personnages de rebelles. En musique, Elvis Presley invente le rock 'n roll. Et en littérature, Kerouac, Québécois d'origine bretonne, publie un livre culte qui poussera des milliers de jeunes gens à prendre la route, comme Dean Moriarty et Sal Paradise, les héros du roman.

    images-1.jpegBien sûr, cette quête de soi dans le voyage n'est pas nouvelle. En Occident, elle commence avec les aventures d'Ulysse qui erre pendant dix ans en Méditerranée avant de retrouver son île et son épouse. Mais avec Kerouac, l'exploration du monde n'est pas seulement géographique : elle est quête de sens et de sensations fortes, d'expériences nouvelles. Beat, en anglais, signifie à la fois battu, perdu, rythmé (on le retrouve dans Beatles et beatniks). En français, il ouvre les portes de la béatitude, qui doit nécessairement arriver à la fin de la quête. Mais cette béatitude s'obtient par toute sorte de dérèglements et d'excès : drogues, alcool, frénésie sexuelle, etc. C'est dire qu'elle n'est pas sans danger. Pour soi, comme pour les autres. D'ailleurs les héros de la Beat Generation n'ont pas fait de vieux os : Jack Kerouac meurt à 47 ans, en 1969, des suites de son alcoolisme. Son compère (et idole) Neal Cassady meurt à 42 ans après une nuit d'excès. D'autres « rebelles sans cause » n'ont pas une fin plus glorieuse.

    Mais brûler ne vaut-il pas toujours mieux que durer ?

    images-2.jpegUn film, tiré du roman de Kerouac, et un livre de Jean-François Duval nous invitent à replonger dans ce mouvement qui a marqué tant de routards et d'écrivains (dont Nicolas Bouvier ou encore Bob Dylan). Le film, d'abord, signé Walter Salles, est une adaptation trop sage du roman, qui ne rend pas justice à la folie de l'écriture de Kerouac. En revanche, le livre de Duval**, qui se présente comme une enquête policière, est passionnant. images-3.jpegL'auteur a retrouvé, au fil des ans, tous les protagonistes, proches ou lointains, de Sur la Route, qu'il a interviewés longuement : la femme de Cassady, la petite amie de Kerouac, Ginsberg, le prophète du LSD Timothy Leary, etc. Il livre un document exceptionnel sur cette génération perdue qui n'a pas fini de fasciner le monde.

     

    ·* Jack Kerouac, Sur la Route, Folio.

    ** Jean-François Duval, Kerouac et la Beat Generation, PUF, 2012.