Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 3

  • La télé de papa

    images.jpegDes lecteurs me reprochent ma sévérité excessive au sujet de la nouvelle série produite et réalisée par la TSR, Petits déballages entre amis (voir ici). Quoi? Pour une fois que notre télévision se lance dans quelque chose de nouveau… Pour une fois qu'elle offre aux comédiens romands une occasion de montrer leur talent, eh bien vous, vous les flinguez sans sommation!
    Précisons alors notre pensée.
    Tout le monde le sait : depuis qu'elle est dirigée par un pur gestionnaire (Gilles Marchand), la TSR, obsédée par ses « parts de marché », a abandonné aux autres chaînes toute ambition culturelle, toute émission sportive digne de ce nom (il suffit de lire l'édifiant ouvrage que Bertrand Duboux vient de publier aux éditions Slatkine*) et, enfin, toute forme de fiction originale.
    Mais alors, ces Petits déballages, n'est-ce pas une fiction créée par la TSR?
    Bien sûr que oui. Sur ce point, nous applaudissons des deux mains. C'est en produisant de telles séries que la TSR remplit sa mission de service public — ce qu'elle ne fait pas souvent…
    C'est ailleurs que le bât blesse. Dans la conception de la série, son scénario, ses dialogues, sa réalisation, tous pareillement bâclés ou empreints d'amateurisme. À qui doit-on le concept de la série, ses dialogues inoubliables, son scénario en acier trempé ? À deux vieux de la vieille : Gérard Mermet et Alain Monnet (qui se cachent sous les pseudonymes d'Alain Bolet et Gérard Mérou). Auteurs, entre autres, des Pique-Meurons, feuilleton familial sympathique qui embauchait une ancienne miss Suisse et une future terroriste écolo… Mais passons. On comprend mieux alors pourquoi le bât blesse: au lieu de faire appel à de nouveaux talents, à de nouvelles idées, la TSR se rabat sur les vieilles recettes (qui ne font plus recette). On nous sert une série qui sent le réchauffé, patauge dans les clichés nauséabonds (« Michel est pédé? Non! Pas possible… »), multiplie les incohérences. Autrement dit : ces Petits déballages (au niveau de la conception et de la réalisation) relèvent de la télé de papa. Des dialogues sans queue ni tête, une réalisation à l'emporte-pièce. Une conception complètement dépassée de la série télé, comme si ses auteurs ne regardaient jamais les autres chaînes…
    On savait que la TSR ressemblait à un vieux cargo soviétique enlisé dans les sables de la Baltique : cette nouvelle série, hélas, le prouve encore une fois.
    Mais répétons-le: embarqués dans cette galère, les comédiens n'y peuvent rien. Quand on leur laisse exprimer leur talent, ils excellent. Le problème, c'est qu'ils en ont rarement l'occasion. Qu'une comédienne aussi lumieuse que Barbara Tobola soit ainsi réduite à un rôle de « prof coincée » est déplorable, comme est déplorable le rôle d'inspecteur joué par Philippe Matthey (qui traîne son spleen) et celui de dentiste bi joué par Marc Money-Doney qui enfile les clichés…
    Encore un effort, chère TSR! Plutôt que de servir une énième resucée des vieux feuilletons éculés, essayez l'invention, l'originalité, la jeunesse! Faites confiance aux nouveaux talents. N'ayez pas peur de nous surprendre…
    *Chroniques d'un insoumis, Éditions Slatkine, 2008, 128 p.

  • Éloge de la librairie

    images.jpegOn ne dira jamais assez le plaisir qu'il y a de se retrouver dans une belle librairie. C'était, mardi soir, à l'enseigne du Rameau d'Or, à Genève. Il y avait là une poignée d'auteurs, quelques éditeurs, beaucoup de lecteurs, tous réunis par une même passion du livre. La presse avait même délégué quelques-uns de ses meilleurs journalistes, dont le haut en couleur Etienne Dumont. La télévision avait fait de même. Le Temps, comme d'habitude, avait boudé la manifestation. Qu'importe puisque la verrée fut excellente (le libraire est aussi oenologue), et la nouvelle moisson de livres prometteuse : Claude Frochaux et ses débats avec L'Homme religieux, Michaël Perruchoud qui analyse les secrets de la Grande Boucle, Jean Romain qui tente de Rejoindre l'horizon, Petit-Senn et ses chroniques savoureuses…
    Nous ne sommes pas dans une grande surface. Ici les libraires connaissent leur métier et savent l'emplacement de toutes les collections et de tous les ouvrages. De plus, ils sont à même de conseiller le lecteur curieux, indécis ou en mal de disputes philosophiques. En d'autres termes : une vraie librairie, c'est un autre monde. Un lieu de passage et de transmission (les auteurs comme les lecteurs réunis l'autre soir couvraient plusieurs générations). Un lieu d'échange et de rencontre, comme le furent les grandes librairies des siècles passés (dont la plupart, d'ailleurs, éditaient leurs propres ouvrages). Un lieu unique de vie et d'expérience (qu'est-ce qu'un livre, au fond, sinon un concentré d'expériences?).
    Un lieu d'espérance, enfin, en ces temps assombris par la politique et le règne des banksters.
     

  • Notre Dame du Fort-Barreau

    C_Olivier_-Notre-Dame_MY.jpgQui était Notre Dame du Fort-Barreau?
    Si vous désirez répondre à cette question, branchez-vous sur Radio Cité-92,2FM, lundi 10 novembre, entre 10h et 11h. Cette femme énigmatique — Jeanne Stöckli-Besançon (1908-1996) de son vrai nom, qui apparaît sur la vignette du livre — sera évoquée au cours de l'émission d'Olivier Delhoume, « C'est la vie ». Voici le début du livre qui lui est consacré :
     
    Il y longtemps que j’ai envie d’écrire sur vous : Jeanne. Notre Dame du Fort-Barreau. Je tourne autour des mots. J’interroge les visages et les voix. J’arpente les escaliers et les couloirs que vous avez si longtemps arpentés. Je marche sur la trace de vos pas.
    C’est la fin des années septante. J’habite un trois-pièces surchauffé, à Saint-Jean, entre la voie ferrée et l’avenue d’Aïre, une artère à grande circulation. C’est le quartier de mon enfance. Chaque ruelle y porte le nom d’un livre de Jean-Jacques Rousseau. Et comme lui, je connais tous les terrains vagues, les passages dérobés, les arbres creux où dissimuler mes rapines. C’est là que je dépose, aussi, des mots secrets à l’intention de mes petites amoureuses. De ma fenêtre, j’aperçois le stade des Charmilles, chaudron éteint toute la semaine, volcan en éruption le dimanche. C’est le cœur du quartier. La vraie maison de rendez-vous. Tout le monde s’y côtoie sans distinction d’âge ou de statut social, de langue, de race, de religion. Je ne manque pas un match. Et le soir, avant de m’endormir, je me repasse en boucle les plus belles actions de l’après-midi, puis les buts du match précédent, et ceux de tous les matches de la saison. Ça me tient en éveil jusqu’au matin. Ça m’ouvre les portes de l’écriture.
    C’est là, face à la voie ferrée, au stade immense et silencieux, que j’écris docilement mon mémoire, sur la petite Olivetti à boule que mon père m’a offerte. Tous les matins jusqu’à midi. Avant d’aller jouer au maître dans un collège à l’autre bout de la ville. J’écris depuis dix ans. Des poèmes, des chansons. Que je ne montre à personne. L’écriture est toujours musicale. Le sens ne vient qu’ensuite : c’est un après-coup dans le monde.
    C’est l’époque des Brigades Rouges et de la bande à Baader. À Rome, on vient de retrouver Aldo Moro assassiné dans le coffre d’une voiture française, comme on a retrouvé, un an auparavant, Hans Martin Schleyer, le patron des patrons allemands, dans le coffre d’une Audi 100 verte. C’est l’époque des cellules secrètes. Forums de réflexion, groupuscules révolutionnaires. Petites communautés de solitudes. Tout le monde lit Deleuze et Guattari, Marcuse, les théories sur la sexualité de Wilhelm Reich. Tandis que la France sommeille sous Giscard, un nouveau monde est en gésine. La guerre du Vietnam n’est déjà plus qu’un souvenir, comme la démission de Richard Nixon. À la télévision, les « nouveaux philosophes » ont envahi l’écran, verbe haut et chemise ouverte, pour enterrer toutes les idéologies.
    À l’Université, j’ai une amie qui s’appelle Théa. Elle fait partie de notre groupe de terroristes (c’est ainsi que Michel Butor, dans la préface à l’un de ses livres, nous a décrits très justement : des terroristes de salon). Toujours farouche et silencieuse, Théa, longs cheveux noirs ébouriffés, auriculaire presque entièrement enfoncé dans l’oreille, comme si elle refusait d’entendre ce qu’autour d’elle les gens racontent. Impavide telle une déesse inca, et secrète comme elle. C’est un peu notre pasionaria. Nous allons boire des cafés au Landolt. Nous échangeons nos notes de cours. Ensemble, l’Uni nous paraît d’un ennui moins mortel. Au fil des semaines, son visage s’arrondit, ses formes débordent des robes trop serrées. Tout le monde s’interroge. Elle, pas. Au contraire, elle se moque de nos constantes insinuations.
    Ensuite Théa disparaît complètement. Trois mois, six mois ? Je ne sais plus. Les questions sur son compte redoublent. Personne, dans notre petit cercle, n’a plus aucune nouvelle. Les professeurs, bien sûr, n’en savent pas plus. Elle a déménagé. Peut-être même a-t-elle quitté la ville ou le pays. Disparue sans laisser d’adresse.*

    * extrait de Notre Dame du Fort-Barreau, de Jean-Michel Olivier, récit, L'Âge d'Homme, 2008.