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  • L'Axe du Rien

    images.jpegNous vivons, depuis un mois, dans l’hystérie du 13 septembre.
    Rien à voir avec l’histoire des jumelles (cf. American hysteria), hélas. Mais tout à voir avec une histoire de bourses, trop pleines ou désespérément vides. Des bourses où l’argent — semence de la guerre et du business — ne circulerait plus. Des bourses gangrenées, nécrosées, atteintes de tumeurs malignes.
    N’importe quel médecin, dans ce cas-là, fût-il américain et républicain, prescrirait un traitement radical : quand un organe est à ce point atteint par le mal, il faut l’éradiquer, immédiatement et définitivement. Autrement dit: couper la chose malade, avant que le mal ne touche, par contagion, les autres parties du corps, jusqu’ici restées saines.
    Mais personne, aujourd’hui, n’a le courage des médecins. Surtout pas les politiques, esclaves de l’économie et des sondages. Il faudrait, tout d’abord, reconnaître l’importance du mal, qui n’est pas extérieur, ni causé par la menace de pseudo-terroristes, iraniens, nord-coréens ou talibans. Non : le mal est intérieur. Il est ici, dans nos bourses, il progresse comme un cancer sournois. Le mal, depuis toujours, ronge l’Axe du Bien, comme son ennemi intime, son complice, son frère. Il faudrait, ensuite, oser donner un nom à cette maladie, vigoureusement niée à Wall Street, comme à la Maison Blanche.
    Mais si le Mal n’existe pas, pourquoi administrer au patient un remède radical ?
    On le voit : il n’y a pas plus d’Axe du Bien que d’Axe du Mal, aussi fantasmatiques l’un que l’autre. Il n’y a plus, aujourd’hui, qu’un immense Axe du Rien, célébration commune d’une monnaie virtuelle (on ne parole plus en milliards, mais en centaines, en milliers de milliards de dollars !). Faillite d’un système ou d’une société gangrenée par l’argent vide, la semence pourrie de la spéculation.

  • Cinéma Grand-Guignol

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    Ça commence comme un (mauvais) remake du chef-d'œuvre de John Boorman, La Forêt d'émeraude (1985). Puis ça ressemble (un peu) à Rangoon (1995), autre film magistral du même John Boorman. Enfin ça se termine comme une reprise, naïve et prétentieuse, d'un autre film-culte : Apocalypse Now, de Francis F. Coppola. Comme on le voit, le jeune cinéaste belge Fabrice Du Welz, qui signe Vinyan — chef-dœuvre de cinéma Grand-Guignol — n'a peur de rien. Et surtout pas d'être écrasé par ces références pourtant prestigieuses…

    Actualité oblige, la mode est aujourd'hui aux récits de deuil impossible : c'est tantôt des parents qui pleurent la mort de leur fils unique (La Chambre du Fils de Nanni Moretti), tantôt un homme anéanti par la mort de sa femme (Caos calmo d'Antonio Grimaldi), tantôt, comme ici, un couple dont l'enfant a disparu en Thaïlande, emporté par le tsunami. Le malheureux père a le visage du comédien anglais Rufus Sewell (perdu au milieu des rizières). Quant à la mère, elle est incarnée par la transparente Emmanuelle Béart, inexpressive et maigrichonne, qui verse beaucoup de larmes pour donner un semblant d'épaisseur à son rôle de madone inconsolable. Pas de chance. C'est l'époque des moussons. Il pleut pendant tout le film. La concurrence est rude. Le film de Welz chemine cahin-caha vers sa fin improbable, qui verse dans le grand-guignol. Le film est si mauvais, par moments, qu'on pourrait le croire français. Il faut bien du courage, en ces temps difficiles pour le cinéma d'auteurs, pour produire un film qui loue la culture du navet.

     

     
    Fabrice Du Welz
  • Le Clézio flibustier des lettres

    images.jpegBien sûr, on pourrait faire la fine bouche, comme chaque année, lors de l'attribution du Prix Nobel de Littérature. Le Clézio, c'est très bien. Mais les autres? Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Georges Haldas pour le domaine français? Et aussi les grands Américains: le génial Bob Dylan, le sulfureux Philip Roth? La déferlante Joyce Carol Oates? S'il faut récompenser le génie, c'est de ce côté-là qu'il faut aller…
    Mais Le Clézio?
    Hé bien, disons-le tout net: le choix du Jury Nobel est courageux. Il consacre un écrivain à l'indépendance farouche : proche, à ses débuts, du Nouveau Roman, il s'en est toujours tenu éloigné, et ne connaîtra donc pas la fin de carrière pathétique d'un Alain Robbe-Grillet ou d'un Robert Pinget. Il consacre, également, un écrivain du monde, comme on dit aujourd'hui, pour qui les frontières ne sont ni politiques, ni culturelles : il a écrit aussi bien sur sa belle ville de Nice (La Ronde, recueil de magnifiques nouvelles), que sur le Mexique (où il séjourne régulièrement), que sur l'Afrique (sublime Désert) ou encore l'Amazonie. Sans oublier un essai sur Lautréamont dont je me souviens avoir parlé longuement (et assez vivement!) avec lui. En d'autres termes, c'est un écrivain complet. Le Jury suédois récompense, enfin, un écrivain qui a toujours su tenir sa ligne, dès les premiers textes parus dans les années 60 (le célèbre Procès-verbal), jusqu'aux tout derniers : une ligne éloignée de tout dogme, comme de tout compromis.
    Mais le style?
    L'écriture de Jean-Marie Gustave Le Clézio, à première vue, en est presque dépourvue, si l'on entend par style les effets de manche ou de langue. Au contraire, elle est limpide, directe, coulante, sensible aux bruits du monde et aux balbutiements des hommes. En cela, elle est plus proche de l'écriture blanche d'Albert Camus que de l'emphase d'un Saint-John Perse ou les longues périodes d'un Claude Simon (pour prendre deux autres Prix Nobel français). Reposant sur un vocabulaire des plus restreints, l'écriture de Le Clézio est ancrée, profondément, dans la matière (qui mène à l'extase), la contemplation du monde, l'amour des hommes et des femmes, que chacun de ses romans chante à sa manière. 
    En attribuant à Le Clézio son Prix de Littérature, les jurés du Nobel ont récompensé un moderne flibustier des lettres, libre et obstiné, solaire et universel. On ne peut que s'en féliciter.