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  • Adam (13)

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    Souvent mon père vient me chercher sous l’aloès en fleurs. Je plonge le nez dans mon bouquin. Je fais semblant de lire.

    « Qu’est-ce que tu fais, mon fils ?

    — J’apprends la vie.

    — La vie ne s’apprend pas dans les livres ! Viens m’aider à rentrer le foufou… »

    Comme je ne bouge pas, mon père s’en va en maugréant. Je suis du doigt les lignes sur la page. Comme l’épinoche à l’hameçon, je m’accroche au fil noir qui court sur le papier. Je reconnais des signes. J’invente des histoires. Je passe toutes mes journées à l’ombre de l’aloès. Les autres se moquent de moi. Ils préfèrent nager ou grimper aux arbres. Du doigt je trace sur la page le serpent noir de mon destin. J’y déchiffre des présages. Des voix m’appellent. Des visages me regardent. Le soir les lignes flottent devant mes yeux comme une fourmilière.

  • Adam (12)

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    Je n’ai jamais connu ma mère. Ou plutôt j’en ai connu une ribambelle. Dans mon village, les mères s’appellent les Reines. Elles sont libres et farouches. Elles ont souvent un mauvais caractère. Les hommes les vénèrent. Ils doivent les honorer régulièrement, les couvrir de cadeaux, combler tous leurs caprices.

    À chaque naissance, les Reines s’occupent de tout. Elles mettent au monde le nouveau-né, tranchent le cordon avec leurs dents, prennent soin de l’accouchée. L’enfant est nourri par les Reines. Sa mère lui donne aussi le sein, car elle est devenue une Reine. Mais son enfant ne lui appartient pas. Il est élevé par les Reines, il dort avec elles, il mange avec elles, il écoute leurs histoires avant de s’endormir. Elles seules connaissent l’art du bonheur sur la natte.

    Voici ce que les Reines me racontaient le soir dans leur case.

    « Pour sauver ton âme, il faut atteindre la forêt sacrée. Seul. Il faut y écouter le chant des animaux. Si, par chance, un chasseur te perce d’une flèche trempée dans le sang d’un oiseau, tu reprendras la couleur que Dieu t’a donnée à la naissance. Alors, seulement, la folie t’abandonnera, tu retrouveras la langue maternelle et, comme les ondes invisibles qui rythment les va-et-vient saisonniers des bêtes, une étoile, la nuit, te ramènera au village des Reines. »
  • Adam (11)

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    On n’a rien retrouvé de la femme blanche et maigre. Ce qu’il y avait à dévorer, les crocodiles l’ont dévoré ; les congres et les murènes ont fait le reste. Son âme a rejoint la grotte des ancêtres. J’ai trouvé son appareil de photo, un peu plus loin, au pied des chutes. Il fonctionnait toujours. Je l’ai gardé pour moi. Comme les livres qui étaient dans son sac.

    Une fois de plus, mon père s’est trompé. Les livres sont très utiles. Ils remplacent la chasse et tous les jeux stupides (sauf le football). Ce sont des compagnons fidèles à qui l’on peut tout confier. Ils ne trahissent jamais un ami. Ils ne livrent leurs secrets que dans la solitude et le silence.