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  • Adam (7)

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    Chaque tribu a ses rites bizarres, et personne, jusqu’ici, n’est parvenu à expliquer ceux de mon peuple.

    Chez nous, les Mmo, on choisit chaque année un jeune homme pour son courage, la beauté de son corps et son adresse à donner du plaisir aux Reines. Son âge ne dépasse pas vingt ans. Pour prouver sa vaillance, le jeune héros doit affronter, à mains nues, un buffle de la savane. Après l’avoir isolé du troupeau, il combat l’animal dans la prairie et le terrasse dans une lutte loyale, sous le regard des anciens, sans verser une goutte de sang. S’il y parvient, il a le droit de passer la seconde épreuve, qui est de descendre dans la gueule du volcan, un sombre puits puant infesté de serpents, et d’y passer une nuit entière. Enfin, s’il sort vivant de la bouche du monstre, il devra affronter le conseil des sages du village qui testeront sa perspicacité en lui posant une série d’énigmes :

    Y a-t-il une vie avant la mort ?

    Pourquoi le dieu de la montagne garde-t-il le silence ?

    Que murmure un galet que le ruisseau charrie jusqu’à la mer ?

    Si, par extraordinaire, le jeune homme fournit les bonnes réponses, il est livré aux mains des Reines. Elles détaillent sa grâce et sa beauté. Elles testent la douceur et la lenteur, la variété de ses caresses : détient-il, vraiment, l’art sans égal du bonheur sur la natte ?

    Alors seulement, le jeune homme aura droit au statut de héros. Il sera vénéré de tous. Pendant trois lunes, il aura la jouissance exclusive des Reines du village, passant d’une case à l’autre, d’une natte à l’autre, pour leur donner tout le plaisir dont il est capable. Il fécondera les Reines en âge de procréer et aura une nombreuse descendance (qu’il ne connaîtra pas).

    Une nuit de pleine lune, sur un tapis de braises, il entre en transe et doit danser jusqu’à l’aube, soutenu par le chant des Reines.

    Voici l’heure essentielle : autour de l’homme halluciné, les parrains affûtent leurs flèches, bandent leurs arcs. Les femmes se trémoussent, jambes libres et seins aigus, excitant les guerriers de leurs cris, au son des tambours lancinants. Le jeune homme lève au ciel ses bras chargés de bracelets multicolores, comme s’il implorait une dernière fois le dieu de la montagne.

    Dès que le jour se lève, notre héros est mis à mort, sa tête tranchée net, son corps soigneusement dépecé. Puis les Reines, toujours au son des flûtes et des tam-tams, apprêtent les morceaux de son corps avec de l’huile de palme, des piments rouges et des épices. Un grand festin réunit le village au cours duquel on partage les restes du héros glorieux.

    Chez les Mmo, aucune Reine ne connaît d’accomplissement plus absolu de l’amour que l’ingestion du bien-aimé.

    Après avoir dévoré leur amant, les Reines se retirent dans leur case pendant une lune entière. Elles prient. Elles pleurent beaucoup. Elles évoquent le souvenir du jeune homme qui les a comblées. Puis, une nuit, elles se rendent dans la grotte sacrée, au cœur du volcan. Là-bas, elles confectionnent une statue de terre glaise à l’effigie de l’amour magnifique. Elles recréent les merveilles de son corps, ses mains douces et ses longues jambes, son vigoureux dressé.

    Pour que son double, à jamais, reste inscrit dans la mémoire des Mmo.

  • Adam (6)

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    Mon bonheur, c’est le foot. Le football est un sport universel. Même les sauvages peuvent y jouer. On organise des matches dans l’allée de palmiers. Parfois avec un vrai ballon de cuir qui va vite et qui est difficile à maîtriser. Un cadeau des soldats qui viennent faire la fête au village. Mais ce ballon n’a pas la vie très longue. Dès le premier match, il crève en heurtant l’épine d’un arbuste. Ou un chacal l’emporte dans sa gueule. Alors on fabrique une balle grossière avec une pelote de résine séchée ou des feuilles de bananier. Cette balle est parfaite. Ni trop rapide, ni trop petite. On joue pieds nus, dans la poussière de la corniche. Même à midi, sous le soleil, on ne connaît pas la fatigue. Je joue à tous les postes, tantôt gardien de but, tantôt défenseur et tantôt attaquant. La joie est la même partout. Quand on arrête un penalty, quand on fait une passe décisive ou quand on marque un but. On ne fait pas souvent trembler les filets, parce qu’on n’a pas de filets, mais des pierres qui marquent les poteaux. On s’écorche les pieds sur les cailloux. On râle comme des hyènes. On se bat jusqu’au bout pour gagner. Le soir, on est couvert de poussière et de sang et on va se baigner dans la mer. Les filles viennent nous taquiner. On oublie de revenir au village.

  • Adam (5)

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    La nuit, dans la forêt profonde, on entend le tam-tam des négresses qui astiquent le bambou des nègres.

    « Tapez ! Tapez plus fort ! Plus vous taperez, plus mon ventre se chargera d’ondes électriques… Tapez, tapez ! »

    Encore aujourd’hui, mon sommeil est rythmé par les cris, les coups sur les tam-tams, la magie de cette musique nègre.

    J’ai toujours aimé le mot nègre. Il a une longue histoire de crimes, de joies et de douleurs, d’abjection. C’est une musique ancienne à mes oreilles. La couleur de la nuit et de l’encre, des passions clandestines. La couleur de l’amour. L’amour nègre, évidemment. Certains l’aboient comme une insulte. Ce n’est pas de leur faute. Ils ont été dressés pour ça. Mais il y a de la fierté, sur cette terre, à être un nègre. On est toujours le nègre de quelqu’un, n’est-ce pas ? L’inconnu. L’esclave ou le valet. Le travailleur au noir.

    C’est ainsi que l’homme blanc a toujours essayé de nommer l’autre, son cousin éloigné. Pour mieux le dominer. Le frère qui ne lui ressemble pas. Qui n’est pas blond, ni blanc de peau, qui n’est pas gai, comme lui, ni optimiste, qui n’a pas toujours le cœur pur.