Pour mon ami Blondesen, un extrait (inédit) de mon prochain roman. En lui souhaitant un prompt rétablissement…
Appelez-moi Adam.
Je suis né en Afrique, il y a longtemps, dans un petit village coincé entre la mer et un volcan éteint. Mon père était petit et redouté. Il avait dix épouses et une kyrielle d’enfants. C’était le seul et le meilleur moyen qu’il avait trouvé pour ne pas travailler. Il passait ses journées sous l’aloès avec une calebasse remplie de vin de palme à rêver d’évasion ou de massacre. Le soir, il titubait d’une case à l’autre et distribuait des volées de bambou.
Malheur à celui qui croisait son chemin !
À cette époque, notre village comptait une centaine d'âmes (je ne parle pas des morts, bien plus nombreux que les vivants). Il était adossé, au nord, au flanc d'un volcan souffreteux, et dominait une longue crête boisée qu'il fallait traverser pour arriver au fleuve, le plus souvent à sec. Les cases étaient des huttes de terre rouge au toit de chaume. Elles dessinaient une sorte de colimaçon: au centre, se trouvaient les cases des femmes, tandis que les hommes occupaient toute la périphérie, elle-même protégée par une double haie d'épieux tranchants.
Une piste rudimentaire reliait le village à la ville de Blondie, distante de cinquante kilomètres. De temps à autre, une jeep l'empruntait. Elle s'arrêtait au centre du village, dans un nuage de poussière. Des militaires en descendaient, le fusil sur l'épaule, le visage luisant de transpiration. Ils allaient dans la case de mon père. Les Reines leur apportaient à boire et à manger. Les plus jeunes, parfumées au soumaré, les cheveux ornés de perles multicolores, restaient dans la case jusqu'au soir. Moi et les autres on collait notre oreille aux fenêtres. On entendait des cris bizarres, des couinements de chauve-souris. Le soir tombait. Comme on éloigne les mouches à merde, les Reines nous chassaient avec des touffes d'ortie. Enfin, les militaires sortaient, le fusil à la main, l'uniforme débraillé. Ils remontaient dans leur vieille land-rover, les yeux brillants, emmenant avec eux d'autres femmes du village. La voiture repartait comme elle était venue, dans un bruit effroyable de pistons. On revoyait rarement les femmes aux épaules garnies de chapelets de soumaré. Mais on avait la paix pendant des lunes.
D'autres jours, c'était un car de touristes aux yeux rougis par la chaleur, aux reins cassés par la mauvaise route, qui se garait devant les palissades. Ils ne restaient jamais longtemps. Les femmes s'éventaient nerveusement et les hommes prenaient des photos. Parfois ils nous donnaient du bubble-gum ; plus rarement des pièces de monnaie. Mon père en profitait pour vendre ses vieux trophées : ses défenses d'éléphant, ses gris-gris, ses peaux de crocodile.
Les gens venaient nous voir par petits groupes ou en troupeaux comme une curiosité. Dans leur regard, il y avait de la fascination, un peu de peur, beaucoup de nostalgie. C’était la nostalgie des temps anciens, la vie sauvage et libre, la communion avec Mère nature — toutes ces conneries. Ce n’est pas nous qu’ils regardaient, la larme à l’œil, mais eux-mêmes en état d’enfance. Ils contemplaient avec tendresse ce qu’ils avaient été, il y a très longtemps, des singes nus, avant que le train de l’histoire, qu’ils appellent civilisation, ne les emmène définitivement du bon côté du monde, sous des climats paisibles, à l’abri du soleil et du besoin. Sous la nostalgie subsistait la peur que cet enfant grandisse et réclame un jour ce qu’on lui avait pris. La peur diffuse qu’on quitte notre village, en hordes bruyantes et bigarrées, qu’on prenne la route du nord et qu’on débarque un jour chez eux, dans leur village, comme ils débarquaient chez nous.
Le pire, tout d’abord. C’est Tard pour Bar
Le meilleur, maintenant. C’est donc tous les jeudis sur France 5 à partir de 20h30. Cela s’appelle La Grande Librairie
N'ergotons pas : le Prix du Roman des Romands, doté de 15'000 Frs et qui vient d'être décerné vendredi soir en grandes pompes à la Comédie de Genève, est une magnifique initiative, qui va mûrir avec le temps et porter de beaux fruits. L'idée de génie de Fabienne Althaus-Humerose, enseignante au Collège de Saussure et initiatrice du Prix ? C'est de faire lire à quelques centaines d'adolescents romands — collèges, gymnases, écoles de commerce et de culture générale, etc. — une sélection de livres écrits ou édités en Suisse, puis, de manière très démocratique, d'attribuer le Prix du Roman des Romands à l'un des livres sélectionnés. Autrement dit, d'amener des jeunes, par la lecture et les rencontres avec les auteurs, à la littérature vivante d'aujourd'hui. En cela, ce Prix est unique et véritablement prometteur, puisqu'il ne fait pas que récompenser un auteur plus ou moins méritant, mais qu'il forme des générations de lecteurs à venir, et assure donc, d'une certaine manière, la pérennité de la littérature.