Je n’ai jamais connu ma mère. Ou plutôt j’en ai connu une ribambelle. Dans mon village, les mères s’appellent les Reines. Elles sont libres et farouches. Elles ont souvent un mauvais caractère. Les hommes les vénèrent. Ils doivent les honorer régulièrement, les couvrir de cadeaux, combler tous leurs caprices.
À chaque naissance, les Reines s’occupent de tout. Elles mettent au monde le nouveau-né, tranchent le cordon avec leurs dents, prennent soin de l’accouchée. L’enfant est nourri par les Reines. Sa mère lui donne aussi le sein, car elle est devenue une Reine. Mais son enfant ne lui appartient pas. Il est élevé par les Reines, il dort avec elles, il mange avec elles, il écoute leurs histoires avant de s’endormir. Elles seules connaissent l’art du bonheur sur la natte.
Voici ce que les Reines me racontaient le soir dans leur case.
« Pour sauver ton âme, il faut atteindre la forêt sacrée. Seul. Il faut y écouter le chant des animaux. Si, par chance, un chasseur te perce d’une flèche trempée dans le sang d’un oiseau, tu reprendras la couleur que Dieu t’a donnée à la naissance. Alors, seulement, la folie t’abandonnera, tu retrouveras la langue maternelle et, comme les ondes invisibles qui rythment les va-et-vient saisonniers des bêtes, une étoile, la nuit, te ramènera au village des Reines. »