Souvent mon père vient me chercher sous l’aloès en fleurs. Je plonge le nez dans mon bouquin. Je fais semblant de lire.
« Qu’est-ce que tu fais, mon fils ?
— J’apprends la vie.
— La vie ne s’apprend pas dans les livres ! Viens m’aider à rentrer le foufou… »
Comme je ne bouge pas, mon père s’en va en maugréant. Je suis du doigt les lignes sur la page. Comme l’épinoche à l’hameçon, je m’accroche au fil noir qui court sur le papier. Je reconnais des signes. J’invente des histoires. Je passe toutes mes journées à l’ombre de l’aloès. Les autres se moquent de moi. Ils préfèrent nager ou grimper aux arbres. Du doigt je trace sur la page le serpent noir de mon destin. J’y déchiffre des présages. Des voix m’appellent. Des visages me regardent. Le soir les lignes flottent devant mes yeux comme une fourmilière.